Panic Room

[Écrivez pour Courte-Focale !] Film de commande, Panic Room n’est certainement pas le plus considéré dans la filmographie de David Fincher ; pour beaucoup, il reste un objet mineur, presque volontairement déceptif après le bouleversement que représente l’arrivée de Fight Club dans le paysage cinématographique moderne, film dont Panic Room ne serait qu’une digestion récréative ; un exercice de style qui permet de prolonger les nombreuses innovations contenues dans Fight Club.
Ainsi, je ne peux m’empêcher de citer la critique des Cahiers du Cinéma par Jean-Marc Lalanne lors de la sortie du film, qui oscille entre un dédain conservateur et une certaine lucidité :

[…] rien ne doit faire barrage à la virtuosité du cinéaste. Fincher fait ses gammes en public, compliquant à l’envi par des plans et des mouvements d’appareils sophistiqués son argument squelettique. Dans cet espace morcelé, où les personnages, comme des souris de laboratoires, sont coincés dans leurs cases, le film oppose une caméra omnipotente, qui peut entrer partout (jusque dans les serrures des portes) et slalomer à coups d’effets numériques entre les barreaux d’une cage d’escalier ou entre une cafetière et son anse. Dans ce petit monde modélisé, le spectacle tient moins aux difficultés des protagonistes qu’à l’aisance virevoltante d’une caméra qui ne montre pas grand-chose, mais se donne à voir. […]

En effet, Panic Room reprend à son compte les travellings virevoltants qui rythment Fight Club et que beaucoup jugèrent « clipesques » à l’époque, là où on reconnaitrait plus volontiers aujourd’hui qu’il s’agissait de l’un des films précurseurs quant à l’appréhension de la mise en scène à l’aide d’une caméra virtuelle, détachée de toutes contraintes physiques.
Le David Fincher de l’époque ne jouissait pas encore de sa présente réputation. Il faudra attendre Zodiac et son ascétisme (tout relatif) pour qu’on commence à voir en lui autre chose qu’un clippeur dégénéré et que la critique se réapproprie sur le tard son œuvre antérieure – loin de moi l’idée de lui en tenir rigueur tant je suis le premier à pratiquer le yoyo sentimental vis-à-vis des films, au gré de mes lectures, des revisionnages et de l’éclairage qu’apportent parfois les nouvelles pièces d’une filmographie.

David Fincher a réuni autour de lui une équipe qui représente la quintessence du cinéma hollywoodien des années quatre-vingt-dix : à l’écriture, David Koepp (c’est lui qui a présenté Andrew Kevin Walker, le scénariste de Se7en à David Fincher). Il est un des scénaristes-clé de cette décennie avec notamment l’adaptation de Jurassic Park et Le Monde perdu écrits pour Steven Spielberg et L’impasse, Mission: Impossible et Snake Eyes pour Brian de Palma.
Ce dernier film est comme Panic Room une impressionnante variation sur le huis-clos. Les deux films détournent les normes et règles du genre ; Snake Eyes est un huis-clos pharaonique qui se situe dans un casino avec plus de treize milles personnes et Panic Room un huis-clos double puisqu’au huis-clos dans la maison new-yorkaise s’ajoute celui dans la panic room.
Comme si David Koepp avait voulu éprouver les limites extrêmes du genre, les deux films s’opposent en de nombreux points ; sur le nombre de protagonistes par exemple ou sur le passif du lieu : la dernière soirée avant destruction d’un casino d’Atlantic City avant qu’il ne soit détruit et la première nuit dans une maison new-yorkaise, tout en gardant la même temporalité d’une nuit.
Les deux dispositifs semblent cousus-main pour leur réalisateurs respectifs ; à Brian de Palma, les centaines de caméra de surveillance et la multitude des points de vue, à David Fincher un huis-clos en forme de poupées russes qui permet à sa caméra flottante de naviguer avec élégance dans ce labyrinthe et ses divers canaux de communication.

Il faudrait développer sur l’importance et la perception du huis-clos dans un pays comme les États-Unis, tant le rapport des Américains à l’espace est culturellement différent du notre, Européens ; dans « Amérique », Jean Baudrillard en parle en ces termes : « Ils n’ont certes pas de grâce aristocratique, mais ils ont l’aisance de l’espace, de ceux qui ont toujours eu de l’espace, et ceci leur tient de quartier de noblesse ». De bien des manières, le huis-clos est un cauchemar très américain, qui s’oppose au western et à ses grands espaces, à l’épopée d’une Amérique qui semblait alors extensible à l’infini (Rio Bravo est typiquement le genre de film qui joue sur ce contraste).
Darius Khondji, directeur de la photographie emblématique de cette période de par son style marqué ; une photographie très contrastée, mêlant couleurs et filtres sombres à une lumière saturée, souvent créée à base de néons pour les intérieurs, entame là sa seconde collaboration avec David Fincher après Se7en, film qui servira de canon esthétique à une génération de réalisateurs.
Le tournage est bouleversé par de nombreux problèmes ; ainsi Nicole Kidman, initialement envisagée dans le rôle principal doit quitter le plateau au bout d’un mois. A cela s’ajoute la lenteur excessive et maniaque de Fincher.

Les studios Sony, dépités par les surcouts engendrés, vont renvoyer Khondji (le seul responsable facilement atteignable, Fincher est intouchable et la productrice est sa femme).
A la mi-tournage, il est remplacé par Conrad H. Wall – les deux hommes ne se parleront plus jamais, Khondji estimant avoir été lâché par Fincher face au studio.
Pour la musique, David Fincher fait appel pour la troisième fois – après Se7en et The Game – à Howard Shore, le compositeur de David Cronenberg, au style aussi élégant qu’inquiétant.
Les acteurs principaux sont tous des pointures ; Jodie Foster (qui devait initialement jouer dans The Game) en remplacement de Nicole Kidman , Forest Withaker et Jared Leto qui jouait déjà dans Fight Club et dont David Fincher s’amuse une nouvelle fois à casser l’image de jeune premier (au sens figuré comme au sens propre : défiguré dans Fight Club après un combat avec le héros, brûlé au visage ici).
La jeune Kristen Stewart, Dwight Yoakam (qui joue pratiquement tout le film le visage caché par une cagoule) et Patrick Bauchau complètent le casting.

David Fincher soigne particulièrement ses génériques : bien que sobre, celui de Panic Room n’échappe pas à la règle ; les noms du générique sont écrits avec une typographie flottante en volumes qui projette son ombre sur des buildings de Manhattan. Filmé en plongée, il est intégralement composé de plans aériens, fixes ou en lents travellings inquiétants, impression soulignée par la musique à base de cordes d’Howard Shore. Très reprise par la suite dans d’autres films, cette technique l’a rarement été avec autant de profondeur et de sens. Car au-delà de la tonalité sombre qui se dégage de cette séquence, il y a une certaine malice dans ce choix de plans larges et aériens pour le générique d’un huis-clos (on ne reverra plus du tout la ville avant l’ultime scène du film).
De plus cette introduction souligne l’importance de l’architecture dans le cinéma de Fincher, souvent utilisée comme projection mentale des personnages ; en particulier dans Fight Club qui jouait constamment sur cette idée : opposition entre l’appartement de l’ « ikea-boy » (décrit dans un plan extraordinaire qui s’inspire d’un catalogue de meubles), clinique et encastré dans un grand ensemble et la maison isolée et délabrée de Tyler Durden. L’explosion de l’appartement correspond au basculement psychique du héros, par la suite, il s’acharnera sur le mobilier urbain et sur les buildings symboles de l’institution.

Dans Panic Room, la maison est un personnage à part entière du film ; elle est la matrice qui engloutit les personnages, qui va opérer la gestation propre au principe du mythe de l’éternel retour de Mircea Eliade. Elle représente l’épreuve que doit surmonter Meg Altman ; l’inconnu angoissant de sa nouvelle vie de mère célibataire, coupée du mari protecteur (le principe sociologique du patriarcat est complètement démonté dans le film).
La scène post-générique nous montre Meg marchant d’un pas pressé avec sa conseillère immobilière qui lui dresse une description très froide de la maison, tout en chiffres, l’agent immobilier, tout aussi pressé fera de même. Cette introduction urgente est volontairement stressante ; Meg Altman est poussée rapidement par sa conseillère à prendre la maison (aussitôt le pas de la porte franchi, puis encore une fois après l’expéditive visite).
Cette scène a aussi pour but de nous montrer la panic room et la claustrophobie de Meg ; si la maison symbolise l’angoissante nouveauté de la condition de Meg et de sa fille, la panic room en est la partie refoulée et inconsciente : sombre, impénétrable et cachée. Le dernier plan de cette séquence montre Meg Altman se regardant dans le miroir qui masque l’entrée de la panic room, nous signifiant par avance qu’il s’agira pour elle de surmonter ses propres peurs.

La séquence d’emménagement suit sans transition, seul un bref plan, presque subliminal (il y a un vrai sentiment de continuité entre les deux séquences), nous montre le camion de déménagement partir avant que la caméra ne revienne se centrer sur la façade de la maison.
La soirée qui précède la nuit de l’action est l’occasion de souligner encore plus le caractère angoissé du personnage de Meg ; où on peut la voir affalée dans son bain (ce qui figure une sorte de régression ontogénique, du même ordre que la position fœtale) près duquel un verre de vin traine, puis elle essaye de désactiver la panic room sans y arriver (soulignant encore une fois sa peur d’affronter ce refoulement inconscient).

L’intrusion des malfaiteurs dans la maison est la séquence du film la plus remarquable techniquement. C’est aussi elle qui marque le début de l’épreuve qui va amener l’héroïne à se dépasser.
La scène est filmée entièrement en un long plan-séquence à la fluidité irréelle. La caméra ne sort jamais de la maison et filme les malfaiteurs à travers les divers filtres que forment les vitres, la pluie et les grilles, masquant et rendant indiscernables les traits des hommes.
La caméra est un passe-muraille qui navigue paisiblement dans cet espace confiné afin de capturer les mouvements de chacun des protagonistes. Mouvements qu’elle anticipe toujours et qu’elle souligne par ses travellings, ceci donne à la séquence un air de balai méticuleux. Il y a évidemment une dimension ludique et une ostensible provocation de la part de Fincher à faire passer sa caméra par l’anse d’une cafetière ou par une plainte du parquet comme pour mieux en souligner la toute puissance (dans ce premier exemple du plan, la caméra file tout droit d’une fenêtre à l’autre, comme pour signifier qu’aucun obstacle ne peut désormais l’arrêter – il n’est pas interdit de penser au plan d’ouverture de Citizen Kane qui marquait la même volonté émancipatrice pour la caméra).
Lalanne n’a pas tort quand il dit que la caméra nargue les personnages ; aux efforts qu’ils doivent déployer, s’opposent ses mouvements irréels et gracieux. Son omnipotence vient de cette faculté déconcertante qu’elle a à suivre ses personnages, sans cassures, sans raccord. Le montage n’est plus fait de plans mais de mouvements à l’intérieur d’un seul plan qui englobe fièrement l’architecture pourtant tortueuse du lieu.
Le basculement de l’action est marqué par celui de la caméra qui filme Meg face caméra en gros plan sur son lit, faisant apparaitre progressivement la silhouette floue de Burnham dans le cadre de la porte au second plan, c’est la première fois que les deux camps sont réunis dans une même composition.

Une fois entrés dans la maison, s’en suit une rapide scène d’introduction des assaillants ; il y a Junior, un des héritiers du précédent propriétaire, qui a planifié le vol afin de récupérer le butin laissé dans la panic room, pour cela il convaincu Burnham un des employés de la compagnie qui a fabriqué la panic room, et qui se trouve dans une situation financièrement délicate. Enfin, Raoul, homme de main masqué qu’on devine violent et impulsif.
C’est la maison qui va provoquer la mise en place du double huis-clos. D’abord avec la panic room restée entrouverte et dont la lumière, comme un avertissement, éblouie Meg dans la nuit, l’obligeant à se lever pour en fermer la porte et la plaçant nez-à-nez avec les moniteurs de surveillance. Encore une fois, cette scène est symptomatique du caractère de Meg, personnage qui cherche à tout prix à fuir la « lumière » de la révélation, préférant masquer ses appréhensions plutôt que d’y faire face.

Ensuite, c’est Junior qui va buter dans un ballon de basket en montant les escaliers, le son des rebonds se juxtaposant alors avec les images des moniteurs de surveillance.
Avec la course-poursuite qui suit à travers les différents étages de la maison (avec notamment l’utilisation de l’ascenseur dans lequel se réfugie les Altman et qui annonce la panic room), s’esquisse la perception de la maison comme un système complexe contenant différents éléments, plus ou moins hermétiques les uns aux autres, reliés par des canaux de communications plus ou moins accessibles, unilatéraux ou bilatéraux ; l’ascenseur, les escaliers, les couloirs… plus tard, suivront les moniteurs de la panic room, le haut-parleur, le conduit de ventilation, le réseau électrique, le réseau téléphonique, …
De cette configuration – les deux femmes enfermées dans la panic room et désirant en sortir (claustrophobie pour Meg, diabète pour sa fille Sarah), et les trois hommes désirant y entrer afin de récupérer l’argent – nait la tension dramatique du film. Cette situation est définitivement scellée par le calfeutrage de la maison par les malfaiteurs ; l’isolement est alors total.

Le film joue sur toutes les oppositions possibles entre les deux camps, la plus évidente est sexuelle.
Sans qu’elle soit marquée, la place de la femme dans la filmographie de David Fincher semble osciller entre l’archétype de la femme-guerrière (Ripley dans Alien 3, Meg Altman, Lisbeth Salander dans Millénium), celui de victime (Tracy Mills dans Se7en, Meg Altman, Lisbeth Salander) ou dans un plus classique rôle de muse (The Social Network, Fight Club, L’étrange histoire de Benjamin Button). Comme dans le personnage de Millénium, Meg Altman occupe à la fois la place de victime et celle de guerrière.
Mais plus sûrement Meg Altman ressemble à une réminiscence du lieutenant Ripley dans Aliens de James Cameron. Film qui la voyait accompagnée de Newt, une enfant retrouvée sur une colonie. Il faut ainsi se rappeler la terrible séquence d’ouverture de l’épisode suivant réalisé par David Fincher ; dans le module de survie où elles ont pris place avec le caporal Hicks et l’androïde Bishop, Fincher nous montre la mort de tous les personnages à l’exception de Ripley. La séquence est d’une froideur étourdissante, illustrée par les seuls indicateurs des moniteurs des caissons de cryogénisation. Faisant du personnage de Ripley, une mère stérile et même pire, seulement capable d’engendrer un monstre (dans la revue JUMP CUT, on trouve un excellent texte de David Greven qui parle du rapport à la maternité dans les deux premiers Alien : Demeter and Persephone in space : transformation, feminity and myth in the Alien films). Dans le troisième épisode, cette stérilité est affichée par la coupe de cheveux de Ripley, rasée à blanc, qui rappelle une entrée dans les ordres religieux, une désexualisation ; elle arrive sur une planète-prison habitée uniquement par des hommes ; elle est rasée afin de ne pas trop raviver la libido des prisonniers. Ripley devient un héros générique, sans sexe, semblable à tous les autres personnages présents dans le film.

Dans Panic Room aussi, on retrouve une filiation certaine avec le mythe de Déméter et Perséphone (la mère et la jeune fille) ; dans le mythe originel, Déméter élève sa fille en Sicile (île, isolement) pour la protéger, mais Hadès repère Perséphone et l’enlève un jour qu’elle se promène seule.
La filiation de l’histoire avec une agression sexuelle n’est jamais présente explicitement, mais compte tenu de la symbolique évidente du dispositif (des hommes tentant de « pénétrer » de force dans la panic room où se sont réfugiées les femmes), cela tient du tabou, une impression larvée mais latente qui se diffuse tout le long du métrage.
L’opposition sexuelle ne se réduit pas à celle avec les malfaiteurs puisque l’image du père est elle aussi mise à mal ; Stephen Altman a délaissé sa femme (et sa fille) au profit d’une autre, faisant éclater la structure familiale. Lorsqu’il débarque dans la maison, c’est pour se faire immédiatement maîtriser par les malfaiteurs qui se serviront de lui pour essayer de faire sortir Meg. Par la suite, immobilisé dans un fauteuil, impotent, il ne réussira pas à viser correctement sur Raoul dans la séquence de dénouement ; il est réduit à l’impuissance et est exclu du plan final où Meg et sa fille cherchent un nouvel appartement.
Le deuxième axe d’opposition est de nature sociale ; la panic room revêt alors une allure de tour d’ivoire inaccessible. C’est l’argent qui est la motivation des trois hommes. Ce n’est pas un hasard si la riche divorcée et sa fille se réfugient dans l’endroit qui contient les vingt-deux millions de dollars. Junior, l’héritier qui a planifié le vol sera tué dès qu’il rejoindra le camp des riches auxquels il appartient réellement, en se résignant à récupérer l’argent « honnêtement » (ce qui implique qu’il doive le partager avec les autres héritiers et payer des taxes dessus).
Le personnage de Burnham est le pendant des Altman dans cette opposition ; comme le souligne cruellement son commanditaire : « I want that money, but you, you need it ». Burnham, seul afro-américain du film, est un personnage qu’on sent piégé par des impératifs financiers. Il paiera cher sa condition ; dans une scène pathétique où il réussit à quitter la maison, commençant à escalader la palissade, il revient sur ses pas pour aider la famille Altman, provisoirement recomposée, à tuer Raoul. S’enfuyant à nouveau, il est stoppé par les sommations de la police alors qu’il s’apprête à passer de l’autre côté. Lorsqu’il lève les mains sous les injonctions des officiers, les bons du trésor américain qu’il a réussi à récupérer s’envolent en tornade autour de lui dans un plan tragique.

De cette opposition prononcée entre les Altman et les trois malfaiteurs, découle une impossibilité de communiquer entre les deux camps ; en plus de l’infranchissable porte de la panic room, ce sont les autres voies de communication qui vont signifier cette impossibilité, l’imperméabilité (pas totale) qui existe entre ces deux groupes.
Aux moniteurs sophistiqués et multiples, couplé au haut-parleur des Altman, s’opposent l’aveuglement des trois hommes et la contrainte d’écrire sommairement sur de panneaux ou de mimer leurs doléances.
Les autres voies de communication entre la panic room et le reste de la maison sont fragiles ; comme le circuit de ventilation par lequel Burnham tente de faire passer du gaz. En réaction, Meg provoque une étincelle dans le conduit (après avoir vainement essayé d’en isoler la panic room avec du scotch), rappelant aux trois hommes que la communication est bilatérale. Il y a aussi les fils téléphoniques qui échappent des mains de Burnham, tirés par Meg (pour un instant, variation ironique de l’Ariane Crétoise) au même moment et qui lui permettent de téléphoner brièvement à son mari (là encore la communication est coupée). Ou la petite lucarne d’aération par laquelle les Altman tentent de communiquer avec le voisin d’en face en morse à l’aide d’une lampe torche. Voisin qui se contentera de fermer ses volets, gêné par la lumière.

En ce sens, Panic Room reprend en la déformant singulièrement une des caractéristiques de certains huis-clos ; la contrainte du rapport à l’autre que l’on peut voir à l’œuvre dans Boule de suif de Maupassant ou dans Huis clos de Sartre ; si Boule de suif n’est pas à proprement parlé un huis clos, il en est une des matrices avec son motif de confrontation sociale dans un espace réduit, sans échappatoire. Ici et du fait du dispositif en double huis-clos, le motif est bien présent mais porte cette fois sur l’étanchéité entre les couches sociales. Le huis-clos imaginé par Koepp, plutôt que de les confronter directement, s’efforce de montrer le cloisonnement de la société, tout en convoquant l’opposition et l’incompréhension réciproque (les différents modes de communication utilisés par les deux partis) propres à ce type de huis-clos.
Si le retournement moral ne s’opère pas totalement comme dans Boule de suif (les bourgeois bien pensant se révèlent dans toute leur mesquinerie et étroitesse, la prostituée se sacrifie pour le bien de la petite communauté sans rien recevoir en échange), le personnage de Burnham, qui sauvera la famille Altman par deux fois (en faisant l’injection à Sarah lorsqu’il se retrouve enfermé avec elle dans la panic room dans le retournement attendu de la situation qui marque l’accomplissement de Meg Altman qui sort de la panic room pour se transformer en furie implacable, puis en revenant tuer Raoul) est sacrifié presque dans l’indifférence au nom d’une morale qui préserve les seuls intérêts des plus riches. La panic room reste avant tout un symbole de la paranoïa des riches envers les pauvres, une illustration de l’isolement auquel ils aspirent. La fin, qui montre Meg et Sarah Altman installées en plein jour sur un banc de Central Park, unies (Sarah est allongée et sa tête repose sur les genoux de sa mère) et révélées par l’adversité, est débarrassée de toute référence à Burnham. Mère et fille sont à nouveaux isolées et peuvent continuer leurs vies et leur recherche d’appartement (de taille plus modeste cette fois-ci) sans se soucier du reste.

Il est difficile de vendre Panic Room comme un grand film, il manque peut-être d’une certaine ampleur pour cela, et s’il s’intègre plutôt bien dans les filmographies de David Koepp et David Fincher, il n’en est pas pour autant une pièce essentielle. Mais au-delà, le film montre toute la précision et la méticulosité dont sont capables les « artisans » hollywoodiens dans le cadre d’une série B. Le film impressionne par sa façon de transcender le genre auquel il appartient, par le nombre et la qualité des propositions cinématographiques qui le composent. Bien loin par exemple, d’une production européenne comme Carnage de Roman Polanski, soignée mais sans audaces. Un film captif et cloisonné par son genre, formant ainsi une étrange mise en abyme du huis-clos, non dénuée d’une certaine beauté crépusculaire qui irradie souvent dans le cinéma européen, là où Panic Room ou Snake Eyes en font éclater les parois.

Réalisation : David Fincher
Scénario : David Koepp
Production : Cean Chaffin, David Koepp, John S. Dorsey et Juddy Hofflund
Bande originale : Howard Shore
Photographie : Conrad W. Hall
Montage : James Haygood et Angus Wall
Origine : Etats-Unis
Année de production : 2002

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