Warrior

Gavin O’Connor serait-il un porte-poisse ? Le metteur en scène semble avoir le chic pour se faire voler la vedette et ne récolter que de l’indifférence. En 2008, il réalise Le Prix De La Loyauté, fresque policière sur fond de conflit familial. O’Connor porte en lui ce projet depuis des années et a déjà dû faire face à quelques déconvenues. En effet, la production sera annulée en 2001 suite aux attentats de New York (hors de question d’écorner l’image des autorités dans le contexte) et ne refera surface qu’à partir de 2006. O’Connor semble récompensé toutefois pour sa persévérance en accouchant d’une œuvre percutante où défilent quelques belles têtes d’affiche (Edward Norton, Colin Farrell, Jon Voight). Malheureusement, son film sort juste un an après La Nuit Nous Appartient. Partageant le même sujet que ce dernier, l’œuvre d’O’Connor n’apparaît alors que comme un ersatz du film de James Gray. Et voilà qu’il rejoue de malchance pour son nouveau long-métrage. Warrior sort en salle six mois après The Fighter. Là encore, les deux films jouent dans la même cour par leur mélange de sport de combat et de drame social. Et le film de David O. Russell a largement eu le temps de se faire une place au soleil en cumulant succès public et critique avec une kyrielle de nominations aux oscars (deux récompenses pour les interprètes seront finalement décrochées). Cette aura va-t-elle encore priver O’Connor d’être reconnu ? On espère bien que non puisque, malgré toute la sympathie que l’on peut avoir pour The Fighter, Warrior se pose juste comme un des plus gros chocs de l’année.

En soit, l’approche des deux films est extrêmement proche par la manière de mettre en relief les enjeux liés à la pratique d’un sport de combat. Dans le genre, vaincre l’adversaire n’a guère d’importance si on le prend au sens propre du terme. Le sport noble et ses dérivés sont des combats effectués avec éthique et généralement avec respect. Mettre au tapis son « ennemi » ne consiste pas à juste asseoir sa supériorité en assujettissant l’autre à son pouvoir par une expression de violence pleine et entière. Cela aurait un caractère humiliant qui ne sierait pas à un sport qualifié de noble. Le combat est un médium pour la quête de soi et autres motivations du même ordre. L’un des exemples les plus parlants reste probablement la série des Rocky. Il n’est un secret pour personne que Sylvester Stallone a injecté une bonne partie de sa personnalité dans la création et l’évolution du personnage. La série est ainsi considérée comme le baromètre de sa carrière. En conséquence, Rocky ne peut être un personnage juste obsédé par la victoire. Si il combat, c’est avant tout pour se connaître lui-même et savoir jusqu’où il est capable d’aller. Nos deux films de combat sortis cette année partagent le même soin dans le traitement. Dans The Fighter, Mark Wahlberg doit autant combattre sur le ring que dans sa vie quotidienne afin de s’affranchir du cocon familial et de l’influence de son entourage. Ce désir de se faire valoir par le combat se retrouve dans Warrior mais de façon bien plus poussée par la multiplication des personnages dans l’arène.

Brendan et Tommy sont deux frères qui ont été élevés par un père violent et alcoolique. Afin de mener leur propre vie loin de cette figure paternelle peu conciliante, ils vont chacun choisir de combattre à leur manière. Tommy s’enfuiera avec sa mère là où son géniteur ne pourra le retrouver. Brendan, lui, refusera de fuir et réussira à construire sa vie idéale dont son père est exclu. L’opposition peut paraître mathématique et froide, surtout au regard du dispositif de mise en scène mis en place. Le modèle de perfection familiale monté par Brendan est mis en valeur par une photographie illuminée et propre. La fuite de Tommy le conduit dans des bas-fonds poisseux où règne la pénombre. Pourtant, le résultat ne dénote pas un caractère de calculateur insensible et est au contraire bouleversant. O’Connor fait ainsi le choix judicieux d’éclipser tous les éléments relatifs à l’enfance des personnages. Ces éléments ne nous sont révélés qu’au fur et à mesure du long-métrage par des démarches on ne peut plus cinématographiques. La scène de retrouvailles entre Nick Nolte et Tom Hardy (tous deux formidables) est époustouflante en ce sens. En quelques plans et répliques cinglantes, cette séquence établit avec efficacité leurs rapports. De tels dispositifs créent un sentiment de spontanéité immédiatement accrocheur et une impatience quant à voir toutes les pièces de la tragédie s’assembler.

Il met également en relief la complexité des combats en question. Désertant son poste en Irak, Tommy retourne au pays pour se retrouver après avoir connu une désillusion. Sa cellule familiale originelle ayant éclaté, il trouva une nouvelle famille dans l’armée (« Mon frère est un marine » lâchera-t-il à son frangin à veille du tournoi). Mais cette institution l’aura trahi et revenir aux sources de ses problèmes semble un bon moyen de pouvoir repartir (« le démon que tu connais vaut mieux que le démon que tu ne connais pas » lâchera son père lorsqu’il acceptera de reprendre l’entraînement). Mais la rencontre avec le père n’est pas ce qu’il espérait. Là où il croyait renouer avec une figure à affronter, il trouve un être repentit lui enlevant son seul objectif à abattre. Pire, le changement d’attitude de son paternel ne fait que ressortir sa ressemblance avec ce dernier. Le combat de Tommy devient alors celui d’un capitaine Achab poursuivant une folie vengeresse et violente. La citation à Moby Dick est bien sûr dictée par les nombreux passages du roman d’Herman Melville qui parsèment le film. C’est d’ailleurs par le biais du livre que le père exprimera dans un poignant moment que son fils doit mettre fin à un combat sans finalité et accepter l’idée de la réconciliation. Cette séquence est le sommet désespéré d’un autre combat, celui d’un père cherchant à se rapprocher des fils que son comportement a éloigné. À cela se rajoute le troisième axe peut-être plus traditionnel où Brendan se voit obligé de reprendre le chemin des combats pour protéger une existence qu’il a eu tant de mal à acquérir. Mais cela fonctionne parfaitement à l’ensemble par la pertinence de l’écriture et son intégration au sein d’une faste construction mettant constamment en avant le concept du combat, aussi anecdotique soit-il (les lycéens souhaitant à tout prix disposer de l’auditorium pour soutenir leur professeur).

Les coups de poings et les altercations sur le ring ne font que donner le rythme de ces luttes sentimentales. D’ailleurs, les techniques de combat privilégiées par les personnages symbolisent leur état d’esprit. Tommy opte pour des attaques frontales et expéditives marquant la poursuite aveugle de son but. Brendan, lui, tente au contraire de trouver la bonne configuration pour immobiliser son adversaire et le forcer à déclarer forfait. Le personnage exprime là son besoin de maintenir à tout prix la position qu’il a acquise. Cette utilisation de la force brute pour faire naître une tension émotionnelle achève d’établir Warrior comme une tragédie exemplaire dont la puissance nous hante bien après la projection.


Réalisation : Gavin O’Connor
Scénario : Cliff Dorfman, Anthony Tambakis et Gavin O’Connor
Production : Lionsgate
Bande originale : Mark Isham
Photographie : Masanobu Takayanagi
Origine : USA
Titre original : Warrior
Date de sortie : 14 septembre 2011
NOTE : 5/6

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