Tomboy

REALISATION : Céline Sciamma
PRODUCTION : Hold Up Films, Arte France Cinéma, Lilies Films
AVEC : Zoé Héran, Malonn Lévana, Jeanne Disson, Sophie Cattani, Mathieu Demy
SCENARIO : Céline Sciamma
PHOTOGRAPHIE : Crystel Fournier
MONTAGE : Julien Lacheray
ORIGINE : France
GENRE : Drame
DATE DE SORTIE : 20 avril 2011
DUREE : 1h22
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Laure a 10 ans. Laure est un garçon manqué. Arrivée dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa et sa bande qu’elle est un garçon. Action ou vérité ? Action. L’été devient un grand terrain de jeu et Laure devient Michael, un garçon comme les autres… suffisamment différent pour attirer l’attention de Lisa qui en tombe amoureuse. Laure profite de sa nouvelle identité comme si la fin de l’été n’allait jamais révéler son troublant secret.

On se souvient, en 2007, de Naissance des Pieuvres, premier long-métrage où Céline Sciamma sondait chez un trio d’adolescentes de quinze ans une naissance du désir dépourvue de toute loi, notamment parce que la metteuse en scène refusait la présence dans le champ de toute figure parentale et qu’elle s’efforçait d’éviter les poncifs et les discours inhérents à l’évocation de l’adolescence au cinéma. Le résultat s’en trouvait saisissant de sensibilité et de sensualité, et parce que les actes et les regards des personnages n’étaient jamais confrontés à quelque norme que ce soit, parce qu’ils étaient autosuffisants aux yeux de la cinéaste et finalement aux nôtres aussi, une ambiguïté pouvait naître dans l’interprétation de la relation qu’entretenaient ces jeunes filles, sur le fil entre une amitié fascinée et un amour homosexuel.

Tomboy (« garçon manqué » en français) ne fait que confirmer le principal parti-pris de la réalisatrice : effacer la dramatisation au profit de la seule action, qu’elle nous donne à voir, à ressentir et à interpréter selon notre propre subjectivité. Le sujet que choisit Sciamma a une fois encore à voir avec l’ambiguïté sexuelle, bien qu’elle déplace son attention du monde adolescent vers plus une tranche d’âge plus jeune encore : des enfants de dix ans et moins. L’ambiguïté elle-même glisse du domaine des sentiments vers celui de l’apparence physique. Le film s’ouvre sur le visage, en plan rapproché, du personnage principal, ses cheveux courts agités par le vent, le haut du corps dépassant du toit ouvrant de la voiture paternelle. Qui voit le film sans n’en rien savoir au préalable ne saura pas, pendant les dix premières minutes, s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Jusqu’à une séquence de bain où l’on voit son corps nu, l’ambiguïté est maintenue et toute problématique d’identité sexuelle écartée. Le protagoniste est un visage, des cheveux blonds et courts, des mimiques, un habillement et des attitudes avant d’être un sexe et une identité clairement définie – et socialement établie, on y reviendra.

Dès lors que l’on découvre que le personnage s’appelle Laure et qu’elle emménage tout juste dans un nouvel appartement suite à ce qu’on découvrira être un énième déménagement de ses parents, le problème ne tarde pas à se poser autour du prénom que donne la protagoniste à Lisa, la première enfant qu’elle rencontre dans le voisinage. Puisque celle-ci l’a prise pour un garçon comme le dénote la manière dont elle s’adresse à elle, alors Laure s’appellera Michaël. Une fois présentée à la bande d’enfants qui se retrouve chaque jour pour jouer dans les bois, elle trompe tout le monde. L’artifice fonctionne, on le constate en même temps qu’elle. Au cours de cet été qui devient un grand terrain de jeu et – pour elle – d’expérimentation, elle sera alors un garçon comme les autres, ceci découlant de cela le plus simplement du monde. Elle sera un garçon comme les autres… mais suffisamment différent pour attirer l’attention de Lisa qui en tombe amoureuse.

Toujours les nouvelles complications de la situation dans laquelle Laure s’est elle-même mise arrivent par des actions et non par des conversations : une partie de foot où elle décide de se mettre torse-nu comme les autres garçons sous une chaleur accablante, Lisa qui lui prend la main ou la maquille et lui dit – ou plutôt à Michaël – qu’il serait « bien en fille » tout en continuant à le regarder et à l’aimer comme un garçon, sans se douter de rien. Les évènements se présentent les uns après les autres, sans dramaturgie surlignée par quelque audace narrative ou quelque musique que ce soit – le film en est dénué à l’exception d’une chanson sur laquelle dansent Michaël et Lisa -, et Laure semble toujours infléchir sa trajectoire en conséquence, commettre des actes sans conscience… naturellement. C’est du moins de cette manière que nous sommes contraints d’appréhender l’histoire, aucune psychologisation n’étant jamais à l’œuvre.

Bien sûr l’expérience va assez loin, et l’on se regardera bien d’en révéler toutes les étapes. Mais le parti-pris demeure, et plus le film avance et se complexifie, plus un certain suspense s’installe, reposant à un premier niveau sur une appréhension que Laure finit par avoir elle-même (les autres enfants finiront-ils par la percer à jour ?) et à un deuxième niveau sur ce que nous redoutons nous, adultes, concernant l’équilibre psychologique du personnage. Celui-ci ne risque-t-il pas de se voir perturbé par cette expérience dont on sait qu’elle ne pourra durer bien longtemps ? Une autre question s’impose alors, plus générale encore : demeure-t-on tout le long du film dans le domaine du jeu sans conscience ou le fait que Laure décide de se faire passer pour un garçon dénote-t-il, dès son jeune âge, une ambivalence sexuelle voire une homosexualité ? Tout l’impact du parti-pris de Sciamma apparaît alors : ne rien expliciter – sans pour autant jouer lourdement la carte du flou -, se cantonner à la description de l’action ne ferme la porte à aucun de ces questionnements et de ces ressentis que le spectateur peut déposer sur le matériau qui lui est donné à voir.

La prestation des comédiens a toute son importance, car c’est en grande partie elle qui rend le matériau en question si riche d’ambivalences et de véracité. Dans le rôle de Laure, Zoé Héran est naturellement hallucinante, et le premier plan du film, évoqué précédemment, suffit à dire toute la pertinence de ce choix d’une actrice qui n’en fait jamais trop. Malonn Levana, retenue pour le rôle de Jeanne, la petite sœur de Laure, peut paraître plus théâtrale du fait de facilités d’élocution impressionnantes pour son âge (6 ans) mais qui s’avèrent nécessaires pour certains moments du film où la confrontation entre sœurs, entre une Laure qui agit et une Jeanne qui regarde agir et commente, touche à une belle intensité, toujours avec naturel et simplicité.

La crédibilité des acteurs jouant les enfants mais aussi de Mathieu Demy et de Sophie Vattani, qui incarnent les parents de Laure et Jeanne, est essentielle pour restituer à l’écran la tendresse et la complicité qui règnent dans le cocon familial et ainsi écarter d’autres clichés que l’on peut trouver habituellement dans les relations parents-enfants au cinéma. Oui, Laura se sent bien chez elle. Non, la cellule familiale n’est pas un facteur d’explication psychologique de l’expérience dans laquelle s’embarque la protagoniste ou un contrepoint qui donnerait les clefs du personnage. Là encore, les rapports entre personnages ne sont pas instrumentalisés par la fiction. Tout juste un soupçon de propos peut-il être trouvé dans le moment du nécessaire retour à la norme. Il apparaît alors que ce « tomboy », cette figure de garçon-fille bien sous tous rapports n’est pas tant en butte au rejet des individus pris un à un qu’à celui d’un ordre social plus diffus, là encore difficile à saisir. La flexibilité, l’ouverture d’esprit de ces parents que Sciamma réussit sans problème à préserver de toute caricature – quand bien même elle les avait exclus, rappelons-le, de Naissance des Pieuvres – ne fait rien à cette pression sans visage ni voix qui doit immanquablement ramener l’itinéraire de Laura dans une certaine norme (soulignons d’ailleurs qu’en dépit de ce retour « à la normale », certains personnages – et en premier chef Lisa – ne peuvent s’empêcher de prolonger en eux une expérience qui tenait à l’appréhension d’un corps ambigu et à un ressenti émotionnel en lien avec cette appréhension. Pour Lisa, on peut supposer que Laure demeurera toujours un peu Michaël).

Si pression il y a, Sciamma semble en protéger son héroïne par la douceur du regard qu’elle pose sur celle-ci et sur tout le reste. Son Tomboy séduit aussi parce qu’il est un film solaire et par moments d’une belle poésie visuelle, celle-ci émanant d’un dépouillement formel qui laisse toute la place à la beauté naturelle de choses simples. Que cette simplicité cohabite avec une telle complexité des enjeux émotionnels et des questionnements de spectateur confirme le talent d’une cinéaste qu’on ne quittera plus des yeux.

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