The Secret

Apprendre de ses erreurs. C’est une philosophie que certains cinéastes suivent. Si ils commettent des erreurs sur leurs tournages, celles-ci doivent être différentes de celles précédemment entreprises. Ce créneau, Christophe Gans le suit par exemple depuis Crying Freeman. En raccord avec celui qui l’a repéré, Pascal Laugier semble suivre une même voie. Après tout, en enchaînant Saint Ange avec Martyrs, Laugier prenait volontairement le contre-pied de son premier long-métrage. Alors que Saint Ange s’était vu reproché une sorte de beauté insensible, Martyrs s’offrait comme une expérience instinctive et viscérale. Nouveau changement de cap à attendre donc avec son troisième film The Secret ? Bizarrement, pas vraiment. Laugier cèderait plutôt une démarche dite défaitiste pour une autre plus optimiste. Plutôt que de se concentrer sur la manière de ne pas reproduire les mêmes défauts, Laugier offre une combinaison des qualités de ses deux premiers films. Après un Martyrs tourné sans storyboard et avec un découpage pensé sur l’instant, The Secret revient au certain degré de classicisme de Saint Ange avec des recherches visuelles murement pensées. Pour autant, on se retrouve face à une œuvre proche de Martyrs par ses explorations malsaines et manipulatrices. En soit, la grande qualité de The Secret se rapprocherait d’un sentiment malheureusement trop peu approfondi dans le premier acte de Martyrs. La scène d’ouverture de ce dernier reste clairement en tête. On retrouve l’image d’Epinal du petit déjeuner familial qui va prendre une drôle de tournure lorsqu’une jeune femme rentrera dans la maison pour tuer tout le monde. La suite démontrera que la perception des rôles de bourreaux et de victimes n’était pas si claire. Un tel renversement de valeur est le cœur même de The Secret où la manipulation atteint une forme de génie décuplant sa portée émotionnelle. Si la promotion de Martyrs n’a pu préserver le mystère de cet aspect et donc le choc de la révélation, The Secret lui y a réussi (on passera cela dit sur la filiation avec Sixième Sens mise en avant par l’affiche). Malgré les précautions prises par cet article pour ne point trop en dire, le spectateur non averti s’aventure à ses risques et périls dans la suite du texte.

Décor : Cold Rock, petit bled du fin fond des Etats-Unis à l’agonie depuis la fermeture de la mine. En quelques plans, Laugier installe l’ambiance sinistrée d’une région où le temps semble s’être figé (idée renforcée par la réutilisation des mêmes plans dans les dernières minutes du film). Mais plus que la misère, la ville souffre d’un autre mal : une entité surnommé le Tall Man rode et enlève les enfants à intervalle régulier. Bien sûr, au moment où débute l’intrigue, la silhouette menaçante va refaire son apparition. A partir de ce point de base, Laugier construit un récit classique mais mené avec ce qu’il faut d’efficacité. Ainsi présente-t-il le personnage principal interprété par Jessica Biel, les difficultés qu’elle affronte pour assurer son rôle d’infirmière et le réconfort sous la forme d’un tout jeune bambin qui l’attend à la maison. De quoi nous attacher à elle jusqu’à ce que le dit Bambin devienne évidemment la cible du Tall Man. Se développe donc la quête traditionnelle de l’insurmontable femme forte qui fera tout pour protéger sa progéniture. Les émotions face à une telle figure ne sont pas nouvelles mais demeurent accrocheuses. Laugier construit avec soin et beaucoup d’idées attrayantes sa longue course poursuite. Tout ceci ne fait que renforcer notre sentiment vis-à-vis du personnage. Puis, Laugier nous balance son pouvoir manipulateur. Ce qui fait l’intérêt de la manipulation ne tient pas à son côté petit malin. Non, Laugier offre là une vraie et belle manipulation qui prend à revers son audience pour servir au mieux sa narration.

L’étonnement face à la révélation est une chose mais cet étonnement sert surtout à clairement nous faire ressentir le malaise du sujet qu’aborde Laugier. En provoquant un attachement fort envers son personnage principal pour en modifier le sens par la suite, il nous pousse à comprendre l’ambivalence évidente des émotions humaines vis-à-vis du propos. On ne peut pas révéler celui-ci évidemment, si ce n’est en évoquant qu’il provoque depuis quelques années des prises de positions radicales et pas forcément dénuées d’hypocrisie. En soit, cela justifie pleinement la démarche du cinéaste assez proche de la théorie d’un certain John McTiernan. Pour le réalisateur de Piège De Cristal, il apparaît nécessaire d’éviter les centres logiques du cerveau et se concentrer sur les émotions pour toucher le cerveau reptilien. Ainsi, il est possible d’éviter les opinions reçues et les interdits sociaux. Etant donné les inébranlables aprioris l’entourant, le thème de The Secret est typiquement un de ceux qui ne peuvent être concrètement abordés par l’intellectualisation. En optant pour l’émotion par le biais de sa révélation, Laugier pousse son audience à prendre conscience de la dualité de son être. En nous immergeant auprès de l’héroïne, il crée un lien qui ne peut être rompu. Car à l’aune de révélation, il devient impossible de nier la charge émotive qui s’est agglutinée jusqu’alors.

Bien sûr, un tel jeu sur les émotions laisse le spectateur désemparé. Un état sain à partir duquel il peut se reconstruire, même si il y a le risque de céder à la colère et au rejet face à une mécanique si performante et dérangeante. Laugier reste cela dit lucide sur ce qu’il montre. Si beaucoup relèveront le plan dit de la martyre pour qualifier l’objet d’un brin douteux, c’est omettre que le film ne se conclut pas avec celui-ci. L’ultime plan nous renvoie à l’élément central du film avec les enfants. Il est après tout logique de finir sur cette note. Pour autant, l’apport de ce point de vue ne fait que nous renvoyer à l’état de détresse dans lequel nous avons été plongés. Lorsque Jodelle Ferland nous regarde droit dans les yeux en demandant (ou plutôt implorant) si le bon choix a été fait, elle nous renvoie à notre propre dilemme et indécision sur le sujet.

The Secret reste cependant une œuvre imparfaite sur certains points. Quelques mouvements de caméra sont hésitants, deux-trois longueurs se font ressentir, la voix-off parasite une narration visuelle bien rôdée et ne trouve sa justification que dans la conclusion… Mais c’est bien peu face à l’ensemble d’une œuvre contée avec un talent brillant.

Réalisation : Pascal Laugier
Scénario : Pascal Laugier
Production : SND
Bande originale : Todd Bryanton
Photographie : Kamal Derkaoui
Origine : France/USA
Titre original : The Tall Man
Date de sortie : 5 septembre 2012
NOTE : 4/6

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