The prodigies

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On ne peut que regretter que l’équipe du film n’ait pas souhaité communiquer à ce sujet : le film d’Antoine Charreyron fait pourtant partie d’une lignée de longs-métrages conçus selon une méthodologie bien particulière, celle que Robert Zemeckis avait élaboré sur Le Pôle Express et qu’il appellera lui-même « cinéma virtuel ». S’il serait trop long d’en parler en détail, sachez juste que The prodigies est le second représentant français de cette méthode employée par ailleurs sur Monster House ou le futur Secret de la licorne, Renaissance ayant ouvert la voie à ce qui constitue, depuis sept ans et sans que notre presse ne s’en émeuve, une véritable révolution. Pour faire court, c’est toute la chaîne classique de fabrication d’un film qui est remise en question, la mise en scène se déroulant par exemple en postproduction, après le tournage effectué via la motion-capture ou, mieux encore, la performance capture. Ceci étant, la compréhension et l’acceptation d’une telle méthode de travail n’est pas à l’ordre du jour dans la profession, même si depuis peu, l’académie des oscars a enfin décidé qu’une œuvre faisant appel à la capture de mouvements ou de performance ne saurait être éligible au prix récompensant le meilleur film d’animation (ce qui s’est déjà produit avec celui remporté par Happy Feet en 2007). À défaut de susciter un maximum de réactions enthousiastes, voilà une étape conséquente franchie dans l’évolution de cette nouvelle forme de cinéma.

Mais ce que d’aucuns considèrent comme un cinéma total, de par la liberté infinie qu’il offre notamment à son réalisateur, ne peut se passer d’un certain budget, ne serait-ce que dans l’optique d’une finesse et d’une précision optimale des captations de la gestuelle des acteurs. Le cas de The prodigies est particulier. Pensé en premier lieu en prises de vues réelles, puis en animation manuelle, pour finalement être travaillé en images de synthèses, le film se heurte entre autres au système de financement français. Celui-là même qui aurait pu permettre à la France d’arriver première sur le terrain de l’animation en images de synthèse de l’histoire (les projets Starwatcher, et surtout 20 000 lieues sous les mers, auraient pu devancer Toy Story), qui laisse les investisseurs quitter une production en route sans danger de perte et qui de toute façon, ne se lancent que trop rarement dans une entreprise risquée car plus atypique et ambitieuse que la normale. Aussi, le fait que The prodigies ait été mené à son terme est un petit miracle en soi. Non sans connaître quelques déboires (notamment Attitude studio, déjà à l’œuvre sur Renaissance, qui a fermé ses portes pendant l’élaboration du film), il faut bien admettre qu’au pays de Kirikou, l’adaptation d’un roman tel que La nuit des enfants rois fait plaisir à voir. D’abord parce qu’il promettait d’offrir au paysage cinématographique français un univers plus sombre qu’à l’accoutumée (le bestseller de Bernard Lenteric est particulièrement violent), ensuite parce que son incursion dans le cinéma virtuel autorisait toutes les folies de mise en scène. Et si au final The prodigies est très loin d’être une réussite, nécessitant cependant d’être nuancé par l’instabilité de sa mise en chantier, il demeure trop peu de réels moments de cinéma pouvant contrebalancer de pénibles défauts.

Antoine Charreyron l’aura répété : « en animation, le budget donne le minutage du film ». On peut y voir là l’une des explications à la principale imperfection du métrage. Adapter un ouvrage comme La nuit des enfants rois en 87 minutes implique, outre les altérations propres à toute adaptation, un souci particulier dans les informations à donner au spectateur (ainsi que dans la façon de les lui donner) de sorte que toute la progression du récit se fasse logiquement, de manière fluide, presque automatique. Bref, ce qui fait dire à beaucoup que le scénario d’un film comme Avatar est « convenu ». Un élément certes impératif à tout bon long-métrage, mais qui revêt ici une importance capitale dans la mesure où les 280 pages du roman multiplient les passages nécessaires au développement de son intrigue. À cet impératif d’écriture, The prodigies répond malheureusement par une temporalité réduite et des dialogues injustifiés.
Dans le roman, les sept génies (ici au nombre de cinq, sans que cela ne soit gênant) ont pour point commun une immense solitude, mâtinée d’incompréhension due à leur extraordinaire intelligence. C’est cette caractéristique essentielle de leur personnalité qui les mène à agir comme ils le feront. Dans ses partis-pris d’écriture, Bernard Lenteric insistait également sur l’unité que le groupe formait (et ce qui le rendait donc dangereux) notamment en ne précisant pas quel membre parlait lors de quelques-unes de leurs discussions. Dans The prodigies, ces éléments du passé de chaque adolescent ne seront clairement dévoilés que dans les dernières minutes du film. La seule évocation préalable de leur ressenti se fait de manière maladroite, par le biais d’une réaction absurde d’une jeune fille quant à l’incapacité de sa mère à comprendre un raisonnement mathématique. De même, si la notion de groupe est, de manière relativement intelligente, montrée à deux reprises (la scène du viol, les mains qui s’effleurent), jamais on ne la percevra réellement.

On l’a dit, Antoine Charreyron est à la tête d’un projet sinon audacieux, en tout cas ambitieux du cinéma français. Le pari était d’arriver à traduire visuellement la violence du roman, sans s’attirer pour autant les foudres du comité de classification et voir son parc d’exploitation ainsi réduit. The prodigies n’est pourtant pas totalement violent. Évidemment, viol et morts sont comme dans le matériau d’origine au rendez-vous, mais le réalisateur compense par des idées visuelles élégantes à défaut d’avoir l’effet escompté. Ce que l’on peut appeler le « point de vue mental » des enfants rois revêt une forme épurée, à la fois en termes de couleurs et de décors, et permet au film de montrer la cruauté des faits sans lui faire face. Une belle idée a priori, qui voit paradoxalement son but s’amoindrir, puisqu’aucune tension ne nait d’un choix qui éloigne le spectateur de l’horreur plus qu’il ne l’oblige à s’y confronter. Ce qui ne dérange pas tant que ça en règle générale s’avère plus problématique dans une séquence primordiale comme celle du viol. Il s’agit là d’un passage clé, à la fois dans le film et le roman, puisqu’il marque la naissance du groupe, de son unité et de la source de ses actes futurs. La nuance établie envers la violence empêche toute empathie, et de fait parasite des enjeux par ailleurs bien peu clairs.
Pour autant, The prodigies ne se montre pas non plus sans intérêt. Ne serait-ce qu’en termes de mise en scène, Antoine Charreyron se fait plaisir en multipliant les mouvements de caméras spectaculaires et effectue un travail parfois superbe sur les transitions du récit. Le cinéma virtuel lui offre toutes les possibilités, et ça, le jeune cinéaste (il s’agit de son premier long-métrage, ne l’oublions pas) l’a bien compris. La séquence d’ouverture se révèle ainsi tout simplement bluffante dans sa construction. En cinq minutes, c’est tout un pan du roman qui est traduit à l’image : la brutalité d’une violence imprévisible et la notion de faux-semblant (hormis un cercle restreint d’individus, personne ne connait ici les pouvoirs des ados) conditionnaient l’histoire originale, elles sont ici parfaitement identifiables et d’une totale cohérence thématique (The prodigies parle du mal qui est en nous, de la difficulté à la contenir). Non sans employer quelques procédés ringards, il y a là une rafraichissante énergie de déployée.

Néanmoins, il faudra s’affranchir de partis-pris visuels délicats. En dehors de son aspect lissé et l’impression d’obsolescence qu’il dégage du début à la fin, The prodigies a du mal à se défaire d’un problème précis. Le jeu d’acteurs obtenu grâce à la motion-capture s’accommode mal d’un character-design très inégal (on se fait à Jimbo, beaucoup moins à certains personnages secondaires), d’où un résultat hybride qui peine à convaincre. Par ailleurs, le fait que les enfants rois tirent la gueule tout le long du film agace plus qu’autre chose. On a connu plus subtil pour exprimer la rage intérieure.
Malgré tous ces écueils (on passera sous silence le jeu télévisé) et les réserves qu’il aura suscité, on ne peut qu’encourager ce genre de projet (et on parle bien là de projet, non d’un produit entre autres mal finalisé). La démocratisation du cinéma virtuel en a besoin, bien que cela ne puisse se faire sans une production saine et un scénario à la hauteur des ambitions qu’il autorise.


Réalisation : Antoine Charreyron
Scénario : Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, d’après l’oeuvre de Bernard Lenteric
Production : Marc Missonnier, Olivier Delbosc, Aton Soumache et Alexis Vonarb
Bande originale : Klaus Badelt
Direction artistique : Viktor Antonov, Francisco Herrera, Humberto Ramos et Jean-Marc Pannetier
Montage : Benjamin Weill, Vincent Tabaillon et Sébastien Prangère
Origine : France, Royaume-Uni, Belgique, Canada, Luxembourg
Date de sortie 08 juin 2011
NOTE : 2/6

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