Omar M’A Tuer

A la rentrée, cette année, on retrouvera sur les écrans l’affaire Outreau par Vincent Garenq avec Philippe Torreton (Présumé coupable), celle de la prise d’otages sanglante d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie par Mathieu Kassovitz (L’Ordre et la Morale), l’assassinat de deux dirigeants d’une banque par un employé joué par Darroussin (De bon Matin de Jean-Marc Moutout). Un peu plus tard, Eric Guirado portera lui aussi à l’écran « son » fait divers. Nouvel effet de mode ? Symptôme d’un manque d’inspiration chez les scénaristes et cinéastes français ? Roschdy Zem, qui sort ce mois-ci Omar m’a tuer, son deuxième film en tant que réalisateur, cinq ans après la jolie comédie Mauvaise Foi, s’en défend. A ses yeux, il est normal de se sentir attiré en tant qu’artiste, en tant que raconteur d’histoires ou simplement d’être fasciné en tant qu’individu par ces affaires qui marquent l’actualité. Il le dit sans cynisme : pour lui, l’affaire Omar Raddad « EST un scénario », un ensemble de faits, une succession de rebondissements que certainement aucun scénariste n’aurait pu inventer. Fruit d’un long travail de recherches et de rencontres avec les principaux protagonistes de l’affaire, à commencer par Raddad lui-même, le film vise à rappeler l’ensemble des faits tout en étant avant tout centré sur l’humain, le ressenti émotionnel. Le pari était certainement trop ambitieux. Mais il n’est en rien tué dans l’œuf, surtout grâce au talent évident de Sami Bouajili, l’interprète de Raddad.

Rappel des faits : le 24 juin 1991, Ghislaine Marchal, une riche veuve, est retrouvée morte dans la cave de sa villa de Mougins. Des lettres de sang accusent : « Omar m’a tuer ». Quelques jours plus tard, Omar Raddad, son jardinier, immigré marocain sachant à peine parler français, est écroué à la prison de Grasse. Il n’en sortira que 7 ans plus tard, gracié par le Président Chirac à la demande, notamment, du Roi du Maroc Hassan II, mais toujours coupable aux yeux de la justice. Aujourd’hui encore, celui qu’on a longtemps appelé « le jardinier marocain » mène un combat pour sa réhabilitation. Sans que cela ait été prévu par son réalisateur, le film sort au moment même où la chancellerie accepte, neuf ans après la demande de Raddad, de comparer les ADN masculins trouvés dans la cave avec le registre national, puisqu’ils sont différents de celui du principal suspect. Qui n’est que vaguement au fait de l’affaire – comme l’était Zem lui-même lorsqu’il s’est lancé dans le projet après que Rachid Bouchareb a décidé de n’en être que le producteur et non plus le réalisateur – se retrouvera face à la reconstitution prenante d’un cas non seulement fascinant sur le plan purement criminel, mais non moins terrible sur celui de son traitement par l’appareil judiciaire. Le metteur en scène-scénariste aurait de son propre aveu aimé introduire davantage d’éléments à charge dans le scénario. Mais le fait est que le dossier en manque cruellement. Ils sont en gros au nombre de deux : Raddad était accro au jeu – voilà un mobile – et cette inscription mal orthographiée, en lettres de sang, le désignait à priori sans ambiguïté.

Le constat objectif que le cas n’a été qu’à moitié bien traité par les autorités policières et judiciaires (trois médecins légistes ont fait la même faute de frappe sur la date du décès, les gendarmes se sont débarrassés de l’appareil photo qui contenait des clichés pris par la victime peu avant son décès, son corps a été incinéré moins d’une semaine après le meurtre, alors que de nouvelles autopsies auraient dû être effectuées) motive l’introduction, dans le film, d’un personnage fictif, bien que nettement inspiré du romancier et chroniqueur français Jean-Marie Rouart, auteur du livre-enquête « Omar, la Construction d’un Coupable » dont Zem et Olivier Gorce ont partiellement tiré leur scénario. A l’écran, le journaliste Pierre-Emmanuel Vaugrenard emprunte les traits de Denis Podalydès. Il lui est adjoint une jeune assistance, qu’incarne Salomé Stévenin. Les desseins des scénaristes sont évidents : créer des situations de dialogue entre les deux enquêteurs, nous faire retracer de manière didactique l’enquête sur l’assassinat en compagnie de personnages qui, décontractés, charismatiques, lumineux, relativement positifs, contrebalancent la noirceur de l’itinéraire de Raddad. De fait, Podalydès et Stévenin parviennent à rendre tout à fait bonnes ces scènes de reconstitution des faits, de confrontation de documents, etc. Maniant verbe et humour avec une légèreté et une grâce que Zem recherchait, Podalydès est une fois de plus excellent.

Si l’on peut affirmer, un peu vite, que les trajectoires de Raddad et Vaugrenard se superposent, il apparaît que le second n’est pas vraiment un héros en quête de justice et de liberté mais avant tout – et bien que passionné et consciencieux – un enquêteur dévoré d’ambitions dont le but premier est de publier un livre en forme de thriller haletant. On regrette qu’à force de sobriété narrative, Zem et Gorce n’aient pas cherché à mêler de manière plus complexe les deux parcours qu’ils décident de suivre. Pourquoi ne pas souligner davantage le fait que, d’une certaine manière, le travail de Vaugrenard, assez égoïste et orgueilleux sous des dehors altruistes, participe de ce battage médiatique qui dépasse et étouffe Raddad ? On relèvera tout de même cette scène de rencontre tant attendue, à l’Académie Française où, lorsqu’un journaliste demande une photo aux deux hommes avant d’inviter Vaugrenard à laisser Raddad poser seul, l’orgueil froissé du premier s’oppose à l’indifférence, au désintéressement total du second. Il y a également le fait que la mise en scène soit pensée de manière différente pour un personnage et pour l’autre. Tandis que la caméra, stable, sur pied ou sur rails, laisse Podalydès évoluer de manière relativement aérienne au sein du cadre, elle colle de très près le visage de Bouajila.

C’est bien évidemment dans ces moments que le film devient vraiment intense. L’acteur, collaborateur et ami de longue date de Roschdy Zem (ils ont tourné à deux reprises chez Rachid Bouchareb), est littéralement habité par son personnage. Le travail de l’accent, que Raddad avait très prononcé à l’époque de son arrestation, ou la transformation physique du comédien ne sont pas grand-chose à côté de cette prestance immédiate et évidente qui nous frappe dans les scènes d’emprisonnement ou celles, peut-être plus fortes encore, où il est entouré de corps agités, ceux des journalistes, des passants qui le défendent ou l’accablent, des policiers et des juges. Son avocat Jacques Vergès (Maurice Bénichou l’incarne très bien, mais on regrette de ne presque pas retrouver à l’écran le vrai visage de ce fascinant personnage dont Barbet Schroeder avait fait son sujet dans L’Avocat de la Terreur en 2007) le concède lui-même lors du procès : Raddad est un homme étonnamment calme, froid, étrange même, au point qu’il puisse avoir, certainement, des airs terribles de meurtrier. Il est arabe également, le film se refuse à l’appuyer, certainement pour ne pas être perçu comme un tract contre les politiques menées à l’égard des populations issues de l’immigration. Là encore, le passage sous silence semble plus puissant que l’explicitation par les mots, et c’est là à la fois la principale limite (disons-le, cette retenue peut également être perçue, évidemment, comme un manque de prise de risque) et la principale force d’Omar m’a tuer : laisser au hors-champ, au silence et, finalement, au spectateur ce dont ceux-ci sont les mieux à même de s’emparer.


Réalisation : Roschdy Zem
Scénario : Roschdy Zem et Olivier Gorce
Production : Rachid Bouchareb et Jean Bréhat
Bande originale : Alexandre Azaria
Photographie : Jérôme Alméras
Montage : Monica Coleman
Origine : France
Date de sortie : 22 juin 2011
NOTE : 3/6

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