The Green Hornet

Il était temps qu’on s’en rende compte, ça aura mis un certain temps à devenir une évidence, mais voilà, les faits sont là : les geeks sont revenus sur le devant de la scène. Entre les quadragénaires de Frangins malgré eux pour qui la question capitale consiste à savoir quel est son dinosaure préféré, les deux potes supercools de Clerks 2 refusant le conformisme social pour rester fidèle à leur univers, les fanboys de Kick-Ass en plein trip « fuck-off » et le héros de Scott Pilgrim conquérant le cœur de sa dulcinée dans des scènes visuellement démentes, l’heure n’est plus à la branlette auteuriste, ni même aux considérations politico-morales qui parcouraient les quelques adaptations de comics récemment transposées au cinéma (Watchmen et The dark knight, pour ne citer que les deux plus beaux exemples). Non, désormais, le film-geek n’est plus là pour se la jouer intelligent et sérieux (même si cela peut donner des films géniaux), mais pour se faire plaisir. Et ces derniers temps, s’il y a un sous-genre de cette tendance qui a fleuri au-delà des espérances, c’est bien le film de super-héros. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la tendance à remettre cette figure au premier plan se sera répétée et déclinée jusqu’à l’overdose, surtout de la part d’un Hollywood fermement entêté à essorer sa liste des super-héros jusqu’à saturation complète, avec des résultats plus ou moins minables (Thor, Captain America, Green Lantern…), et ce en attendant le crossover maousse des Avengers dont les premières images ne sont pourtant pas très rassurantes. Le plus fort, c’est que cette année, au milieu de toute cette galerie de figures héroïques en pyjama vert ou armure de statue grecque, il y aura eu un magnifique intrus. Une raison à cela : au-delà d’une nouvelle adaptation de série télévisée culte, The Green Hornet s’est imposé avant tout comme la nouvelle création du tandem Seth Rogen/Evan Goldberg, deux jeunes scénaristes surdoués que le triomphe de SuperGrave (dont ils avaient rédigé le script à l’âge de 13 ans) aura placé très haut chez les studios hollywoodiens. Cette fois-ci, avec beaucoup plus de moyens et une liberté d’action totale, la paire passe la seconde : hier antihéros, Seth Rogen devient super-héros, mais sans rien renier de son statut de showman prêt à s’éclater comme un fou. Du coup, la figure matricielle du super-héros, en général définie à travers le prisme d’un trauma enfantin qui mènera le « héros » à basculer dans le monde du « super », est ici jetée à la poubelle dès le début du film (une figurine de super-héros que le père du héros décapite d’un coup sec) au profit d’un vaste terrain d’action (le réel) où tout est prétexte à casser les règles. Ce qui suffit à faire de The Green Hornet la première hybridation parfaitement aboutie entre le film de potes régressif à la Judd Apatow et le film de super-héros dans ce qu’il peut avoir de plus fun.

A l’origine, il y a donc une émission de radio intitulée « Le frelon vert », laquelle aura ensuite été déclinée sous forme de BD dans les années 40, et vingt ans plus tard, en une série télévisée ultra-culte d’à peine 26 épisodes, avec Van Williams dans le rôle-titre et un Bruce Lee encore débutant à ses côtés. Sans doute en raison de la présence d’une méga-star du kung-fu dans le rôle du sidekick comique, la particularité de cette série aura été de rendre son personnage secondaire plus intéressant que celui dont il était censé être le faire-valoir. Une idée assez judicieuse dans la mise en place d’un équilibre des forces opérant au cœur d’un tandem de buddy-movie, et que Rogen & Goldberg ont eu la justesse de mettre en avant dans une pure optique de confrontation de ces forces. C’est en effet de cette relation entre Britt Reed, jeune milliardaire insouciant devenu héritier de l’entreprise de son père décédé, et Kato, chauffeur chinois dissimulant un incroyable génie de la mécanique (incarné ici par l’excellent Jay Chou), que le film réussit à extraire un humour et une cool-attitude que peu de films du même genre ont su égaler. En outre, Seth Rogen aura beau avoir incarné les couillons avec classe dans un nombre incalculable de comédies récentes, sa prestation assez incroyable dans l’étonnant Funny People laissait paraître un vrai désir de mutation dans son jeu d’acteur. Sur ce point, The Green Hornet lui permet en effet de changer, mais pas comme on l’aurait soupçonné.

Enfant gâté, assez crétin, à l’attitude régressive et insouciante, Britt Reed débute le film en transformant une chambre d’hôtel en fiesta apocalyptique (mobilier saccagé, télévision explosée, tableaux déchirés, etc…), en se tapant une pouffe dans chaque bagnole de luxe appartenant à son père (merci au joli panoramique en accéléré) et en ne tenant pas compte des critiques de son père. Il suffira donc que ce dernier casse sa pipe dans d’étranges circonstances pour que le retour au réel puisse éventuellement s’étoffer d’un retour dans le droit chemin. Sauf que non : à peine mis à la tête de l’empire journalistique bâti par son paternel, Britt commence surtout par pousser un coup de gueule sous prétexte que son café matinal a un goût de merde ! Autant dire qu’avec un tel je-m’en-foutisme et le retour immédiat de l’énergique Kato à son service, la maturité se prend un violent coup dans les canines. Une impression confirmée par la suite, les deux compères, désormais copains comme cochons, ne croyant plus au concept d’autorité et voyant simplement leur champ des possibles s’élargir jusqu’à l’infini : un journal qu’il va s’agir d’utiliser dans un but précis, une statue funéraire à décapiter afin de couper le cordon avec une influence paternelle trop encombrante, et surtout, la volonté de redéfinir à leur manière les règles de l’univers qui s’offre à eux. La principale règle est celle de la justice : ayant découvert en Kato des pouvoirs surpuissants, à savoir une gestion du kung-fu dévastatrice et une vision matrixienne qui isole les éléments de danger dans le cadre, Britt l’incite à se lancer avec lui dans une vendetta insidieuse contre le crime, l’idée étant que les super-héros sont chiants parce que tout le monde les reconnait comme étant les gentils, et qu’un super-héros tentant de se faire passer pour un méchant va contraindre le vrai méchant à ne pas jouer son rôle habituel. L’idée maîtresse du film est là : le Green Hornet ne sera pas un héros aux yeux du monde, mais un sale gosse qui va empiéter sur le territoire du bad guy jusqu’à le détruire.

Il ne faut donc pas grand-chose pour transformer The Green Hornet en véritable idéal du film de sale gosse, foutraque et bordélique : une surenchère permanente dans tous les effets proposés par le récit, un humour régressif qui tranche avec la noirceur des récentes superproductions hollywoodiennes, et une mise en scène inventive qui renoue avec le découpage énergique des meilleurs comics. Sur le premier point, l’un des jalons de la réussite du film réside dans l’élaboration d’un univers héroïque bricolé par les deux protagonistes : les arts martiaux aériens à la Matrix côtoient les gadgets rétros (notons les lunettes de motard des années 30 que porte Kato) ou très orientés cartoon (les fusées explosives, les flingues qui dégagent une fumée verte), les masques de carnaval s’incrustent sur des panoplies basiques (des imperméables gris ou noirs, en général), et même leurs adversaires mafieux, hésitant entre le costard Armani et la veste en cuir (un look « Père Noël disco », paraît-il), ont du mal à savoir dans quelle époque il faut se situer. L’hybridation du film est aussi là, dans ce mélange des temporalités et des styles, qui, en se frittant dans une même bulle, créent une singularité hors pair, et dès que les deux héros investissent cet univers bricolo pour se lâcher, le soupçon d’un gros pastiche du genre se concrétise par une liberté d’action où Seth Rogen élabore chaque nouvelle scène comme un nouveau stade de folie par rapport à la précédente. Même lorsque l’action pure se déchaîne au travers d’une dernière demi-heure furieuse à souhait, le film crée un effet d’accumulation qui se mue peu à peu en jouissance totale.

En outre, dès que cette action se mêle à l’humour, c’est encore plus évident, tant le film réussit à se parer d’un sublime hommage cinéphile à la filmographie de Blake Edwards : le héros est un loseur dont le ressort comique principal réside dans sa maladresse totale, la seule femme qu’il veut conquérir (Cameron Diaz, parfaite en secrétaire sexy) se révèle plus ou moins inaccessible à première vue (c’est Kato qui a l’avantage !), la présence de Kato renvoie au serviteur détraqué du commissaire Clouseau (revoyez l’ouverture hilarante de Quand la Panthère Rose s’emmêle), les poursuites en caisse s’achèvent à chaque fois par les entrées des voitures dans les vitrines, et on aura même droit à une séquence-clé qui prend place dans un restaurant chinois (une habitude chez le réalisateur de The Party). Ce n’est pas un hasard si le film déballe un tel flot d’allusions cinéphiles : plus il cherche à modeler le genre en quelque chose de dingo, plus il sait renouer avec le déchaînement de clins d’œil malicieux dont seul Quentin Tarantino réussit toujours à faire usage pour interpeller le public sur ce qu’il voit. Pour le reste, entre un humour qui provient surtout de l’alliage brillant entre décalage et action, des scènes d’action à l’ancienne (les effets spéciaux sont limités autant que possible) qui s’achèvent par la destruction jubilatoire de décors pas du tout virtuels, et la prestation géniale de Christoph Waltz en bad guy sadique et ridicule (sa première scène, où il subit les menaces d’un jeune gangster incarné par James Franco, est d’ores et déjà anthologique), inutile de dire que le divertissement proposé ne vise modestement qu’à coller un sourire maousse sur la gueule du spectateur jusqu’à la dernière seconde.

Reste ce qui n’a pas manqué de dérouter la plupart des cinéphiles sur le résultat : la présence de Michel Gondry derrière la caméra. On peut déjà supposer que Gondry aura obtenu le job grâce au récent Soyez sympas rembobinez, film inégal qui laissait toutefois transparaître un alliage assez fluide entre burlesque et poésie bricolée. Au départ confié à Stephen Chow avant que celui-ci ne déclare forfait, son travail de réalisateur sur The Green Hornet l’aura bien sûr poussé à ne pas ressortir sa valise à trucages artisanaux vus dans La science des rêves et dans son joli segment du film à sketchs Tokyo, mais son inventivité visuelle, reconnaissable en deux plans trois mouvements, ne s’est en revanche pas évaporée, comme en témoigne l’utilisation d’effets visuels un peu bricolés lors des scènes d’action (dont un split-screen assez puzzle) ou les quelques décrochages visuels hérités du clip (rappelons que Gondry vient de là). Seul l’usage de la 3D, dont on pouvait attendre quelque chose d’amusant ou d’inventif de la part de Gondry, s’est révélé franchement vain, hormis lors d’un générique final très graphique. Ce qui n’aura pourtant pas empêché le film de remplir sa triple mission : faire rire, faire plaisir et n’en faire qu’à sa tête. A travers une œuvre de commande sur laquelle l’alliage aura fonctionné à merveille (et à la base, c’était pas gagné), Gondry et Rogen auront surtout donné vie à la continuité de ce que le cinéma de Judd Apatow, aujourd’hui un peu renfermé sur ses propres codes usités ou déjà prévisibles, avait peut-être amené vers un point de non-retour avec Frangins malgré eux : désormais, la figure du geek lâché dans la nature n’est plus là pour y accomplir une quête de maturité ou pour redonner au monde réel une vraie intégrité perdue, mais pour redéfinir les règles de ce monde à sa propre façon, c’est-à-dire avec action, régression et une sacrée dose de fun. Rien que pour avoir osé tenter cette hybridation (ici parfaitement accomplie) entre deux genres très contemporains qui commençaient à se reposer un peu sur leurs lauriers, on peut parler de réussite totale. La prochaine étape, elle, reste incertaine pour l’instant, mais on ne manquera pas de guetter son arrivée dans les années à venir.

Réalisation : Michel Gondry
Scénario : Seth Rogen, Evan Goldberg
Production : Neal Moritz, Raffi Adlan, Seth Rogen, Evan Goldberg
Bande originale : James Newton Howard
Photographie : John Schwartzmann
Montage : Michael Tronick
Origine : Etats-Unis
Année de production : 2011

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