[ANNECY 2015] The case of Hana & Alice

REALISATION : Shunji Iwai
AVEC : Anne Suzuki, Yû Aoi, Haru Kuroki, Midoriko Kimura
SCENARIO : Shunji Iwai
DIRECTION ARTISTIQUE : Hiroshi Takiguchi
DIRECTEUR DE L’ANIMATION : Yōko Kuno
BANDE ORIGINALE : Shunji Iwai
ORIGINE : Japon
GENRE : Animation, Anime, Comédie
DATE DE SORTIE : 12 février au Japon
DUREE : 1h40
BANDE-ANNONCE


Synopsis : Nouvelle étudiante transférée au collège Ishinomori, Alice entend des rumeurs étranges concernant un meurtre commis par quatre « Judas » l’année précédente. Sa camarade de classe Hana vit juste à côté de chez elle, dans une maison dont tout le monde a peur. Hana, qui a récemment décidé de rester chez elle plutôt que d’aller à l’école, sait sûrement quelque chose à propos du mystérieux meurtre.

Sorti le 20 février dernier au Japon, The case of Hana & Alice a plusieurs atouts en poche pour susciter la curiosité. D’abord, il est le premier film d’animation de Shunji Iwai. Une incursion qui paraît presque naturelle pour un cinéaste dont l’oeuvre a souvent été rapprochée du shôjo par la critique. C’est également l’un des rares cas de déclinaisons d’un univers en prises de vues réelles vers l’animation ; la télévision ou le cinéma japonais ayant très principalement tendance à faire le chemin inverse. The case of Hana & Alice est en effet le prequel de son Hana & Alice, sorti en 2004 sur l’archipel. Ainsi attendait-on de savoir ce qu’un réalisateur touche-à-tout comme Iwai, ici également en charge de la production, du scénario ou de la musique, allait pouvoir apporter à une industrie de l’animation japonaise majoritairement vendue aux otakus, a priori pas vraiment la cible du réalisateur d’April Story. Comme on pouvait s’y attendre, le résultat ne ressemble en rien à ce que l’on a l’habitude de voir, bien que cela ne soit pas nécessairement synonyme de qualité.

Pas vraiment familier du médium, Shunji Iwai l’a approché par le live, filmant d’abord ses séquences en prises de vues réelles avant de les confier à des animateurs s’occupant de la rotoscopie. Le choix est pertinent à plus d’un titre. Il permet dans un premier temps à Anne Suzuki et Yû Aoi, le tandem du film d’origine, de reprendre leur rôle dans une version plus jeune des personnages qu’elles incarnaient pourtant il y a dix ans.
Le parti-pris a ensuite une utilité thématique. En dépit d’un contexte urbain relativement contemporain et ancré dans le réel, l’esthétique du film baigne dans l’irréalisme. La direction artistique – divine – et les jeux de lumière – sublimes – font que le film lorgne ouvertement, sinon vers le fantasme, en tout cas vers une plongée dans la psyché des deux amies. Un travail que l’on doit à l’excellent Hiroshi Takiguchi, directeur artistique sur The garden of words ou background artist sur Mai Mai Miracle. Dès lors, les décors comme la finesse des mouvements permise par la rotoscopie intègrent ce qu’il faut de réalisme à un univers mental et baroque. Sous ses airs de teen-movie ludique et enjoué, The case of Hana & Alice prend donc place dans un monde dont on ne sait pas s’il tient plus du songe ou de la réalité. Il se fait alors à l’image de l’adolescence, sorte de joyeuse parenthèse hors du monde et du temps. Loin de l’esthétique uniformisée de ses petits copains, le film affiche une vraie personnalité visuelle. Pour autant et prise dans l’absolu, son animation est clairement aux fraises. L’inertie douteuse et la grève manifeste des intervallistes ne sont que la partie visible de l’iceberg.

The case of Hana & Alice narre la tentative des deux héroïnes d’élucider un meurtre commis un an plus tôt dans leur classe. Le long-métrage prendra donc la forme d’un enquête rythmée par leur personnalité. Il officie également en tant qu’origine de leur rencontre, véritable jeu de pistes servant de terreau à l’évolution de cette amitié. En cela, il est un film drôle et extrêmement attachant. Dans le plus pur style Iwai, le récit prend la forme de tranches de vie dans lesquelles un élément déclencheur va mouvementer le quotidien des protagonistes (féminines, comme souvent chez le réalisateur de Love Letter).
Comme le monde dans lequel il prend place, le scénario joue ainsi à fond la carte de notions ou d’entités doubles aussi nécessaires à l’histoire que reflets d’une adolescence protéiforme.

L’intrigue du film oscille donc entre rumeurs et faits avérés, entre façade et faux-semblants. L’une des premières scènes confronte d’ailleurs Alice à l’une de ses anciennes amies, dont elle ne se souviendra pas du prénom mais qu’elle reconnaîtra finalement à la faveur d’un pas de danse. « Alice » n’est d’ailleurs pas son vrai prénom, et tout l’enjeu du film consiste à savoir si l’élève censé être mort, l’est vraiment. Le vieil homme est-il vraiment le père de ce dernier ? L’étudiante censée être possédée par un mal mystérieux ne joue-t-elle pas la comédie ? Beaucoup d’éléments, dans The case of Hana & Alice, reposent sur cet équilibre entre apparence et réalité (jusqu’à un niveau microscopique : la peau dudit vieil homme) qui en renforcent sa dimension ludique tout en faisant écho à la complexité de la psychologie adolescente. Il apparaît alors on ne peut plus logique que telle ou telle séquence se fasse le reflet de passages du premier film (par le lieu, le cadre ou les relations entre les personnages), comme menant à voir les deux faces d’une même pièce.

Shunji Iwai est un réalisateur intelligent et le fait d’avoir fait de ce prequel un film d’animation le prouve. Bien sûr, tout n’est pas parfait. On l’a déjà dit, l’animation est pour le moins perfectible. Le rythme est à l’avenant. Ce qui était déjà l’une des faiblesses de Hana & Alice est heureusement moins rédhibitoire ici : les enjeux sont plus attractifs, moins éparses que dans ce dernier, et la mise en scène autrement plus immersive. Il lui manque également cette atmosphère planante caractéristique des meilleurs essais du monsieur, Love Letter en tête, d’autant que l’humour lui est parfois préféré pour un résultat inégal.
Qu’importe, on pinaillera une autre fois. The case of Hana & Alice démontre qu’Iwai a su s’approprier le médium pour l’adapter à son univers, et non l’inverse. Un objet à part dans l’animation japonaise qui doit par conséquent attirer toute votre attention.

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