[ANNECY 2015] Rocks in my pockets

REALISATION : Signe Baumane
PRODUCTION : Signe Baumane Studio
AVEC : Signe Baumane
SCENARIO : Signe Baumane
DIRECTION ARTISTIQUE : Signe Baumane
MONTAGE : Signe Baumane, Wendy Cong Zhao
BANDE ORIGINALE : Kristian Sensini
ORIGINE : Etats-Unis, Lettonie
GENRE : Animation, Drame, Comédie,
DATE DE SORTIE : 2014
DUREE : 1h28
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Nous suivons l’histoire personnelle de la réalisatrice à propos des femmes dans sa famille, elle y compris, et de leur lutte contre la folie. Métaphores visuelles et images surréalistes s’entremêlent avec un sens de l’humour tordu.

Le film, essentiellement fait de personnages en papier mâché animés en stop motion, matérialise les tourments les plus intimes de sa réalisatrice, scénariste, voix-off, co-productrice, bref de sa mère conceptrice. Vous l’aurez compris, Signe Baumane a mis ses tripes dans Rocks in my pockets qui allégorise sa bête noire, la dépression, et figure à l’écran les méandres de son cerveau. Véritable investigatrice de l’inconscient humain, elle creuse, tantôt historienne, tantôt psychologue, les esprits malades des femmes de sa famille, du passé trouble de sa grand-mère à sa cousine suicidaire. Dès la première minute, on devine que le film repose sur la forte personnalité de sa créatrice et qu’il lui est intimement lié, possédant une fonction cathartique palpable. On devine qu’en façonnant de ses mains son cerveau en papier mâché, qu’en dessinant le cadre de son histoire personnelle, elle transcende ses maux les plus inquiétants. En jouant avec ses démons qui deviennent totalement malléables, physiquement via la technique d’animation utilisée mais aussi par la narration, Signe Baumane tourne la mort en dérision.

L’artiste, car il s’agit bien d’une artiste, tend une irrésistible passerelle entre les arts plastiques dont on la sent imprégnée jusqu’à la moelle et le cinéma. En effet, la sculpture, la peinture mais aussi la littérature jeunesse font partie de ses domaines d’activité. C’est avec plaisir que l’on découvre un cinéma qui en est imprégné. Conteuse hors-pair, elle possède une voix inimitable, grave et chaleureuse, faisant de ses créations des représentations scéniques. Et pourtant il ne s’agit pas de simplement filmer le tout, non, Sigme Baumane a le sens du mouvement et surtout du symbole. L’imagerie qui hante le film, composée d’allégories ou de métaphores, lui confère une sorte de persistance rétinienne. Ainsi les objets mobiles du film nous laissent une empreinte indélébile. Drôle, profond, burlesque, Rocks in my pockets ne nous laisse jamais de côté et l’on se passionne très rapidement pour le destin de la jeune Signe qui cherche une origine à son mal psychologique. La roue piquetée de la dépression écrase les personnages nous donnant à voir leurs peurs ou leurs absences.

Et par dessus tout, on perçoit la quête de liberté sans limite des femmes Baumane. C’est une telle soif qu’elles pourraient mourir pour tester leurs limites dans des élans de folie. Sans même être dégoûtées de la vie, les voilà donc aliénées, en train d’anéantir des rêves qu’elles avaient pourtant construits. Signe la bohème, éprise d’un artiste, le quitte et s’auto-détruit jusqu’à l’hôpital psychiatrique ; la jolie cousine, brillante intellectuelle, fait changer son destin de route et devient obsédée par des envies de mariage. Finalement, la grand-mère, soit l’origine d’un mal héréditaire est la clé de compréhension d’une lignée toute entière. Et peut-être que ce n’est qu’après avoir identifié la source d’un mal, que l’on tait par tabou, que la réalisatrice peut libérer sa famille. Comme si l’esprit de la grand-mère planait encore sur les destins individuels et que sa vie désenchantée hantait ses enfants. Étouffée par un mari jaloux qui se révèle sous son vrai jour immédiatement après le mariage, rejetée par ses parents qui lui demandent d’assumer son choix initial et l’abandonnent à son statut d’épouse, elle finira par renoncer à toutes ses envies. Ainsi, elle oublie la ville pour la campagne et renoue par dépit avec sa condition de paysanne.

À cela s’ajoutent les problématiques de l’Union soviétique qui sollicite souvent ses citoyens, notamment en réquisitionnant leurs vaches et machines agricoles. La collectivisation des terres demandent aux mères de familles nombreuses une bonne dose d’inventivité pour nourrir leurs rejetons. La jeune femme qui s’identifiait elle-même aux lapines qui enfantent en masse est désormais réduite au statut de vache laitière. Tous ses anciens rêves sont transmués en une obsession grandissante : éduquer les enfants de sorte qu’ils soient débrouillards et éduqués. Mais tous ses espoirs de jeunesse auront été volés par le mariage et ce sort s’abattra sur de nombreux membres de la famille. Chacun, comme la grand-mère sera fascinée par le mariage, un horizon à atteindre mais le considérera ensuite comme une prison qui tue la jeunesse et clôt définitivement le champ des possibles qui fait rêver les adolescentes.

Et finalement, plus qu’un tableau de la dépression ou de personnalités bipolaires, le conte ne serait-il pas le portrait de femmes bridées par des conventions sociales ? Les pressions familiales sont perçues comme un modèle dont il est extrêmement difficile de se dégager et qui se reproduit de génération en génération, nécrosant les esprits. Difficile de ne pas penser au féminisme actuellement en vogue. Si le terme est souvent associé à des mouvements extrémistes, essentialistes ou à des législations jugées intrusives, nous pouvons le réhabiliter à la lumière de femmes fortes telles que Signe Baumane qui nous rappellent son sens originel et son bien fondé. Il est par ailleurs impossible de ne pas ressentir de l’empathie mais aussi de l’injustice devant le parcours de femmes battantes qui ploient sous des obligations qui les annihilent. On se souvient toutefois que le film à l’humour mordant ne sombre jamais dans un cynisme noir et ne rejette pas non plus la société dont sont issus les personnages, seulement ses diktats autoritaires.

Quand l’héroïne s’en libère, elle trouve alors plaisir à côtoyer famille et voisins : c’est bien quand on agit par choix que l’on peut jouir de la vie. Bien dans son corps, la réalisatrice nous proposait d’ailleurs avant la séance la liste de ses relations sexuelles hebdomadaires. Bref, si Signe Baumane était déjà une artiste libérée, son affranchissement de codes moraux dérisoires semble s’achever par Rocks in my pockets, qui nous apprend à rire aussi bien du patriarcat que des névroses et de la mort. Jouissif et libérateur, Rocks in my pockets a fait souffler un vent frais sur le festival d’Annecy.

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