Switch

Pour ses deux artisans, la sortie de Switch marque une sorte de retour en grâce. D’une part, celui de Jean-Christophe Grangé, auteur à succès d’une valise entière de thrillers littéraires qui aura vu ses plus gros best-sellers adaptés sur grand écran avec plus ou moins de talent : certains cinéastes, de Mathieu Kassovitz à Guillaume Nicloux en passant par Chris Nahon, n’ont pas manqué de se casser parfois les dents devant la complexité parfois hallucinante des récits à suspense concoctés par Grangé. D’autre part, celui de Frédéric Schoendoerffer, fils du grand cinéaste de la 417ème section et cinéaste jusque-là assez faiblard, dissimulant une certaine maladresse sur la maîtrise du langage cinématographique derrière le prétexte fallacieux d’une quête de l’hyperréalisme à tout prix. En témoignent des Scènes de crimes à la dimension télévisuelle assez exaspérante, des Agents secrets un poil soporifiques derrière un emballage esthétisant assez classieux, et surtout, des Truands dont la caricature et l’hyperviolence cherchaient maladroitement à trancher avec le lyrisme des films de Scorsese. La rencontre et l’amitié entre les deux hommes leur aura pourtant permis d’accoucher d’une petite bombe et, ainsi, de corriger quelques-unes de leurs erreurs passées : pour Grangé, l’occasion d’écrire un scénario original offre la possibilité d’adapter une intrigue complexe au sein d’une narration propre au cinéma, et pour Schoendoerffer, la compréhension des codes du cinéma de genre français ne laisse planer aucun doute sur les progrès dont il a su faire preuve, y compris sur la narration, le rythme et le découpage d’une scène. En outre, Switch fait aussi figure de bonne nouvelle dans le sens où sa sortie, suivant de très près celles des films respectifs de Fred Cavayé (A bout portant), d’Eric Valette (La proie) et de Jérôme Salle (Largo Winch 2), contribue à remettre le thriller d’action hexagonal au premier plan, le tout avec des films réalisés avec une certaine maestria et une distribution en salles propice à de jolis succès. Enfin, le film de Schoendoerffer s’éloigne habilement des travers de ses précédesseurs en se contentant d’illustrer par l’action et le rythme une quête d’identité, sans chercher le manichéisme forcé ou le bourrinage massif d’un blockbuster américain. Une façon comme une autre pour le polar d’action français de se constituer une identité sans chercher à décalquer celle des autres.

Car, oui, si La proie et A bout portant avaient pu décevoir (malgré des qualités de filmage très respectables), c’était en raison d’un excès et d’un trop-plein d’influences (surtout celle du Fugitif) qui parasitaient l’audace supposée de l’entreprise, sans oublier des scénarios qui, sous couvert d’installer un suspense à l’intensité progressive, abattaient leur carte au bout d’un quart d’heure, laissant ainsi le spectateur dans la position du témoin contraint de suivre les étapes attendues de l’intrigue (la quête de vengeance pour l’un, le sauvetage de l’être aimé pour l’autre). Sans oublier qu’avec une imagerie policière propre à n’importe quel épisode moyen de « Commissaire Moulin » et des clichés télévisuels que l’on pensait désormais disparus, on frôlait l’agacement : en guise d’exemple, on garde encore en tête le cabotinage de Gérard Lanvin dans A bout portant (mâchoire carrée, tronche mal rasée, sourire absent : pas très subtil pour cacher son statut de flic ripou et salaud) ou la dimension manichéenne des enjeux narratifs dans La proie. Frédéric Schoendoerffer procède ici d’une autre manière, finalement tout à fait similaire à celle qui habitait Grangé dans ses meilleurs livres : la mise en place rapide d’un pitch classique de polar, le suivi de deux intrigues (voire plus) qui se télescopent à un instant-clé, l’usage de thématiques modernes où la manipulation (surtout scientifique) prend une place non négligeable, la mise en perspective du Mal sous une forme humaine, et au final, le contrebalancement total des enjeux narratifs par une succession de twists. Autant faire preuve de prévention : un film comme Switch nécessite d’être vu en sachant le moins de choses possibles quant à son synopsis, rédiger une critique du film impose donc de rentrer dans le vif du sujet, et il sera donc conseillé aux futurs spectateurs d’arrêter immédiatement la lecture de cet article, histoire de ne pas être enseveli sous une avalanche de spoilers… Vous êtes toujours là ? Commençons donc par préciser que Switch fait de son postulat de départ (une étudiante traquée par la police s’enfuit afin de retrouver son identité volée) une succession de péripéties dynamiques où la thématique de l’échange se traduit visuellement dans la plupart des scènes.

Même s’il n’est pas question d’effectuer un comparatif entre les deux cinéastes, la patte d’Alfred Hitchcock se ressent assez souvent, ne serait-ce que pour cette idée de construire une tension en s’attardant sur de petits détails, de donner à chaque rebondissement la force d’un choc sensitif inattendu, d’utiliser l’action comme outil pour renforcer la dramaturgie d’une scène (et non pour compenser une éventuelle perte de nervosité), et surtout, de faire passer la dramaturgie par l’image plus que par le dialogue. En témoigne une introduction magistrale de vingt minutes où, passé un très court intermède dialogué entre deux femmes, Schoendoerffer démarre son intrigue en évaporant le dialogue et en se focalisant sur chaque élément (échange d’appartement, démarches administratives, découverte de la vie parisienne, etc…), en les mettant chacun au premier plan, tout cela pour mieux les faire voler en éclat un par un dès qu’intervient le point de chute de l’intrigue : ayant décidé de passer les vacances en France en échangeant sa maison à Montréal contre un luxueux loft parisien appartenant à une Française (et tout ceci à l’aide d’un site spécialisé), une étudiante canadienne se réveille un matin avec un sérieux mal de crâne, un cadavre dans la chambre voisine et une visite musclée de la brigade criminelle qui l’accuse d’être une psychopathe. Avec, pour couronner le tout, l’impossibilité de prouver sa véritable identité : les deux femmes semblent avoir changé aussi bien de peau que de destin, et le site d’échange d’appartements semble n’avoir jamais existé. Une situation idéale pour Schoendoerffer de jouer sur des perceptions élémentaires tournant autour des identités changeantes ou morcelées, avec une mise en scène qui use aussi bien des reflets que des oppositions diverses. Avec, en tête de cette dichotomie visuelle, l’excellente idée d’avoir joué de la ressemblance physique parfois frappante entre Karine Vanasse (éclatante révélation du film) et Karina Testa (vue dans Frontière(s)) pour incarner les deux femmes, l’humanité lumineuse de l’une étant sans cesse en conflit avec l’opacité sombre de l’autre, voire en brouillage complet tant la vérité peine à se faire limpide au gré des séquences.

Il faudra donc attendre la fin pour saisir clairement vers où ce brouillage des identités souhaitait nous amener, à savoir une nouvelle histoire mettant en parallèle le drame familial et la thématique du double. Entre temps, Schoendoerffer et Grangé n’y seront pas allés de main morte pour maintenir une tension constante, ne laissant aucun répit à leur héroïne ou au flic obstiné qui la pourchasse (Eric Cantona, décidément crédible sur tous les terrains) et redynamisant chaque scène par une nouvelle péripétie, laquelle permet aussitôt de relancer les cartes du récit, quitte à brouiller les pistes ou à les complexifier davantage (que l’on se rassure, on est loin des difficultés rencontrées par Mathieu Kassovitz sur Les rivières pourpres). Sur ce point précis, il est certes dommage que les deux hommes n’aient pas cherché à laisser une pointe de mystère sur l’identité de leur héroïne, tout comme il leur sera reproché à coup sûr d’avoir littéralement bâclé le dénouement final, aussi abrupt que dénué de toute émotion. Et, comme on le précisait, il est regrettable que le film de Frédéric Schoendoerffer n’évite pas toujours quelques lourdeurs, que ce soit la présence de seconds rôles superflus (Aurélien Recoing en flic rentre-dedans, un Palestinien fourbe déguisé en étudiant iranien, etc…), l’usage anecdotique de certains effets de style (dont l’usage de snorry-cam durant la longue course-poursuite à pied) ou le simple fait d’avoir donné à un personnage de tueuse-hackeuse solitaire et dérangée le look de la Lisbeth Salander de Millénium (le maquillage gothique en moins). Reste qu’avec une intrigue aussi complexe, un rythme aussi haletant et une telle propension à user de l’action comme d’un pur moteur narratif, Switch tranche quelque peu avec les quelques égarements de ses précédesseurs, bien que sa mise en scène ne soit jamais à la hauteur de celles élaborées par Nicolas Boukhrief ou Florent-Emilio Siri (seuls cadors hexagonaux du genre) dans leurs films respectifs. D’autant qu’hormis le fait de proposer un thriller populaire et nerveux, Schoendoerffer n’a eu cette fois-ci aucune autre prétention, ce qui rend sa démarche d’autant plus respectable et la qualité du résultat hautement satisfaisante. Pour le cinéma de genre, la révolution n’a toujours pas eu lieu, si tant est qu’elle puisse avoir lieu un jour, mais cette fois-ci, et au vu de l’attrait récent du public pour ce cinéma longtemps absent, on croit dur comme fer à son retour en grâce.

Réalisation : Frédéric Schoendoerffer
Scénario : Jean-Christophe Grangé, Frédéric Schoendoerffer
Production : Jean-Christophe Grangé, Frédéric Schoendoerffer, Eric Nevé, Romain Le Grand
Bande originale : Bruno Coulais
Photographie : Vincent Gallot
Montage : Dominique Mazzoleni
Origine : France
Date de sortie : 6 juillet 2011
NOTE : 4/6

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