Roar

REALISATION : Noel Marshall
PRODUCTION : Filmways Pictures, Carlotta Films
AVEC : Tippi Hedren, Noel Marshall, Melanie Griffith, Jerry Marshall, John Marshall, Kyalo Mativo, Zakes Mokae, Steve Miller
SCENARIO : Noel Marshall
PHOTOGRAPHIE : Jan de Bont
MONTAGE : Noel Marshall
BANDE ORIGINALE : Dominic Frontiere, Terrence P. Minogue
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Aventure, Horreur
DATE DE SORTIE : 29 août 1984 (sortie française), 7 février 2018 (ressortie)
DUREE : 1h42
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Dans le cadre de son étude portant sur les félins sauvages, Hank, scientifique américain, est parti s’installer en Afrique pour vivre parmi ces animaux à la réputation extrêmement dangereuse. Sa maison est un refuge pour plus d’une centaine de fauves que le chercheur élève en toute liberté. Restés aux États-Unis, sa femme Madeleine et ses enfants Melanie, John et Jerry décident de venir lui rendre visite. Mais à leur arrivée, Hank n’est pas là pour les accueillir. À la place, ils découvrent avec effroi les autres habitants qui, en l’absence du maître de maison, ont totalement pris le contrôle du lieu…

Lorsque Délivrance de John Boorman est sorti en 1972, on pouvait en extraire un constat terrible : la nature n’est pas notre amie. On imagine bien à quel point les rousseauistes ont galéré à digérer leur chou-fleur bio en entendant ça. On imagine mal, en revanche, à quel point l’inconscience régnait à cette époque-là, allant même jusqu’à impacter le 7ème Art lui-même. Le film dont il va être ici question est, à ce titre, un cas d’école hors du commun. Une véritable aberration filmique qui aurait presque pu paraître logique si sa création n’avait été que la conséquence d’un pari perdu ou d’une mauvaise blague. Sauf que non : Roar est un vrai film conçu avec de vraies intentions dans un coin de la tête. Des intentions par ailleurs des plus bienveillantes et utopistes : d’une part, sensibiliser le public sur la préservation des bêtes sauvages en Afrique et les actes de braconnage qui les menacent d’extinction ; d’autre part, exaucer ce rêve d’enfant d’humaniser et de domestiquer la version réelle de ces peluches du Roi Lion que l’on prenait tant de plaisir à câliner dans sa chambre. Bon, certes, en cette année 1969, ce grand cinglé de Noel Marshall n’était pas encore le producteur à succès de L’Exorciste, mais de là à croire qu’il avait encore quatre ans d’âge mental malgré une quarantaine en approche, il ne faudrait pas pousser mémé dans la fosse à hyènes. Toujours est-il que le résultat relève du suicide pur et simple, d’un Maxi Best Of de l’inconscience créative, justifiant du même coup sa réputation de « film le plus dangereux de l’histoire du cinéma », obtenue d’un coup de griffe et sans le moindre effort.

On l’avoue, la fabrication du film a peut-être bien plus de valeur que le film lui-même, et découvrir comment ce projet utopiste s’est transformé en un véritable capharnaüm logistique a de quoi susciter une hallucination assez inédite. Revenons donc en 1969. La découverte d’une maison envahie de fauves lors d’un voyage en Afrique pousse alors Noel Marshall à faire venir quelques lions apprivoisés dans sa villa de Los Angeles, histoire de leur offrir le même statut de résident qu’à lui et à sa femme Tippi Hedren. À noter que cette dernière, actrice de son état, a déjà eu fort à faire en matière de problèmes avec des animaux, qu’il s’agisse d’oiseaux (ceux du film éponyme d’Alfred Hitchcock) ou d’un gros porc (Alfred Hitchcock lui-même, qui avait été jusqu’à la harceler sexuellement sur le tournage de Pas de printemps pour Marnie cinq ans plus tôt). Et comme une folie doit en entraîner une autre, Marshall fait grimper son ambition au niveau rouge : recueillir pas moins de 200 fauves apprivoisés – mais non dressés ! – dans un ranch situé au nord de la Cité des Anges. Ce ranch sera alors déguisé en réserve africaine pour les besoins d’un film dont il vient d’écrire le scénario, avec en tête les belles intentions que l’on décrivait un peu plus haut. Les incohérences repérables ici et là (que font des tigres ici alors que ça n’existe même pas en Afrique ?!?) n’ayant que peu de poids face à la folle incongruité du bazar, mieux vaut les laisser de côté. Mais quand on sait que la nature ne tolère pas l’organisation et la maîtrise, il n’a pas fallu longtemps à Marshall et à sa bande d’aveuglés pour comprendre qu’entre la savane africaine et les collines d’Hollywood, il n’y a pas un fossé, mais un canyon.

Dès le premier clap en 1974, personne ne savait encore que le budget allait enfler au-delà du raisonnable (on passa de 3 à 17 millions de dollars !) et que les six mois de tournage prévus allaient se transformer en six années de galère. Face à des fauves évoluant sur le plateau sans dresseur ni direction précise et charcutant chaque intention du scénario par leur comportement imprévisible, l’équipe se retrouva mise en danger comme jamais. Le cahier des charges fonça fissa à la poubelle en raison d’un damage control en plein effondrement, laissant de ce fait les animaux diriger le film à leur guise – il est d’ailleurs tordant de les voir cités au générique en tant qu’acteurs, coscénaristes et coréalisateurs ! Et sans surprise, le record du nombre d’accidents sur un tournage fut pulvérisé, même si, fort heureusement, aucun mort ne fut à déplorer – un vrai miracle en soi. On vous fait un petit bilan ? Accrochez-vous : les blessures recensées durant le tournage concerneront pas moins de 70 acteurs et techniciens, incluant une jambe fracturée pour Tippi Hedren, une violente gangrène pour Noel Marshall à la suite d’une morsure de lion, un long processus de chirurgie réparatrice pour une Melanie Griffith toute jeune (et pas encore ravagée par le botox) qui faillit perdre un œil après une grosse blessure au visage, et surtout, last but not least, environ 220 points de suture pour le chef opérateur Jan de Bont (futur réalisateur de Speed et de Twister) qui passa de ça à ça après avoir été scalpé par l’une des bêtes !

A vrai dire, tout se résume à cette tagline mise en évidence sur l’affiche américaine du film : « Aucun animal n’a été blessé ou maltraité sur le tournage de ce film… Par contre, 70 membres de l’équipe l’ont été ! ». Le grand éclat de rire que l’on a soudain envie de pousser en lisant ça se fige très vite lorsqu’on s’interroge sur son sens : fallait-il vraiment en rire ? A défaut d’être constructif, ce doute reste logique. Parce que Roar le rend de plus en plus grandissant au vu du genre dont le film est censé se réclamer et de la réaction que l’on serait sensé avoir en le regardant – les choix d’angles et de bande-son sont si quelconques que l’intention n’est jamais très claire. Il serait alors facile de résumer le film à une « performance », où toute velléité de trucage et de sécurité aurait été jetée aux orties, et ce au nom d’une approche « brute » de l’art. Sauf que les intentions qui furent à l’origine du projet nous empêchent de voir les choses ainsi. Tout ce qui reste alors ne tient que sur un seul paramètre : l’impression. Celle d’assister, passif et effaré, à un pur cauchemar dont chaque scène ne peut s’interpréter autrement qu’à travers le prisme de la menace. On regarde Roar comme on materait un mondo italien des 70’s ou un snuff-movie accidentel : difficile de croire à la réalité de ce que l’on voit, tant et si bien qu’en comparaison, la surenchère gore de Cannibal Holocaust passe presque pour de la rigolade. Dépourvu de mise en scène et investi par un casting de cinglés plus préoccupés par leur survie que par leurs rôles, le film est ainsi drivé par une sorte de fascination malsaine, consistant à stresser en attendant le moment où le pire va arriver, au détriment d’un scénario dont on se fiche d’autant plus qu’il n’existe même pas.

D’un côté, on encouragerait presque les âmes sensibles à regarder le film sans le son, histoire d’y apposer des voix parodiques façon Vidéo Gag sur les bouches des acteurs et les réactions des animaux – on a essayé et ça peut devenir bidonnant. Mais rien n’interdit de regarder Roar avec les terminaisons nerveuses au repos, tant son jeu de cache-cache dans un ranch assiégé par des fauves (imaginez Assaut de John Carpenter délocalisé chez les résidents carnivores du zoo de Thoiry !) se coltine un premier degré hilarant parce que totalement à côté de la plaque. Rien que le décor de la maison vaut le détour : ni plus ni moins qu’un décor de jeu vidéo, rempli d’ouvertures et de chausse-trappes, où tout le monde tente de fuir la menace et de se cacher comme dans un bon vieux Resident Evil, et ce avant qu’une moto ne grimpe sur le toit pour faire un vol plané au ralenti jusque dans la rivière ! Les autres péripéties rejoignent assez bien cette approche d’un cirque de l’extrême trop too much pour ne pas être lu de travers. Mention spéciale à un type qui joue les apnéistes dans un tonneau rempli d’eau (et bien sûr, les fauves ont visiblement très soif !) et à une Tippi Hedren assommée qui se retrouve soudain recouverte de miel (miam !). Ajoutez à cela quelques considérations sans intérêt sur le roi de la savane ou les amortisseurs de jeep, des animaux qui saccagent tout ce qu’ils touchent (bateau, mobilier, skateboard…), des gags qui n’ont pas l’air de l’être (rien ne vaut un bon parapluie pour distraire une femelle tigre !) et une réplique finale hilarante en guise de digestif (« Ça vous plaira de vivre ici ? – Ah ben oui, on y sera bien mieux qu’à Chicago ! »). Sacré bazar que voilà, lequel s’achèvera en 1981 par un bide XXL au box-office et par le divorce du couple vedette… Ainsi naquit Roar : un cauchemar pour ses créateurs, une hallucination pour ses visiteurs. Une sorte de parc d’attractions suicidaire où l’homme a voulu dépenser sans compter pour un rêve illusoire, et où, par un enchaînement de désastres découlant d’un leurre de maîtrise, la nature a très vite repris le pouvoir… Tiens, tiens…

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