REALISATION : Cédric Anger
PRODUCTION : Sunrise Film, Les Productions du Trésor, Mars Films, Caneo Films
AVEC : Guillaume Canet, Ana Girardot, Jean-Yves Berteloot, Patrick Azam, Alice de Lencquesaing, Jean-Paul Comart
SCENARIO : Cédric Anger
PHOTOGRAPHIE : Thomas Hardmeier
MONTAGE : Julien Leloup
BANDE ORIGINALE : Grégoire Hetzel
ORIGINE : France
GENRE : Drame, Policier
DATE DE SORTIE : 12 novembre 2014
DUREE : 1h51
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Pendant plusieurs mois, entre 1978 et 1979, les habitants de l’Oise se retrouvent plongés dans l’angoisse et la terreur : un maniaque sévit prenant pour cibles des jeunes femmes. Après avoir tenté d’en renverser plusieurs au volant de sa voiture, il finit par blesser et tuer des auto-stoppeuses choisies au hasard. L’homme est partout et nulle part, échappant aux pièges des enquêteurs et aux barrages. Il en réchappe d’autant plus facilement qu’il est en réalité un jeune et timide gendarme qui mène une vie banale et sans histoires au sein de sa brigade. Le voilà chargé d’enquêter sur ses propres crimes jusqu’à ce que les cartes de son périple meurtrier lui échappent…

Le carton d’introduction du film prend déjà soin d’avertir les néophytes : le fait divers dont il sera question ici reste l’un des plus étranges jamais vus en France. Plutôt l’un des plus glaçants, serait-on tenté de dire. Un rappel des faits s’impose. De mai 1978 à avril 1979, les forces de police et de gendarmerie du département de l’Oise ont été confrontées au fameux « tueur fou de l’Oise », un véritable maniaque qui tirait sur des jeunes filles en conduisant des voitures volées, qui laissait derrière lui d’étranges mises en scène pour égarer les forces de police lancées à sa poursuite, et qui avait même revendiqué ses crimes dans plusieurs lettres envoyées à la police : « Une fille de 17 ans qui déambule la nuit est une cible que j’affectionne particulièrement. La prochaine fois, je viserai le coeur […] Je suis tueur, et en tant que tel, je vais tuer ». Ce sera grâce à l’exploitation de divers indices (d’abord un style d’écriture très spécial, ensuite un portrait-robot de plus en plus précis) que le tueur sera confondu, révélant ainsi l’impensable vérité : il s’agissait en réalité d’un gendarme du coin, Alain Lamare, à la fois sérieux et apprécié de ses collègues, très investi dans cette enquête, et atteint d’une forme de schizophrénie extrêmement rare (l’héboïdophrénie… Google is your friend) qui lui permettra au final d’échapper à la prison (déclaré irresponsable, il ne sera jamais jugé). De quoi laisser en état de choc une région et une justice qui, au même moment, n’avaient pas encore réussi à sortir d’une certaine psychose résultant de l’affaire Marcel Barbeault.

Ce fait divers hallucinant, auquel l’émission Faites entrer l’accusé aura consacré l’un de ses meilleurs numéros, fut surtout détaillé dans un livre retraçant l’enquête jour après jour en se basant sur les radios des policiers, rédigé par le journaliste de l’AFP Yvan Stefanovitch et intitulé Un assassin au-dessus de tout soupçon. Un titre qui évoque bien sûr un très célèbre film d’Elio Petri, lui aussi basé sur un homme enquêtant sur ses propres crimes, mais qui constitue surtout la base du film de Cédric Anger, se servant d’éléments très précis du livre pour élaborer un récit illustré cette fois-ci du point de vue du tueur. Un choix narratif et cinématographique qui, en tant que tel, tranche déjà avec la tradition ronflante des adaptations d’affaires criminelles sur grand écran, lesquelles se limitaient à une stricte illustration des faits au jour le jour à partir du point de vue des enquêteurs (seul le magnifique Zodiac de David Fincher avait su transcender ce parti pris).

Pour autant, on pouvait s’interroger sur le choix du traitement vis-à-vis de ce tueur, dans la mesure où l’origine médicale de ses crimes a été établie. Le film allait-il se limiter à le suivre dans son quotidien et ses déplacements ? Allait-il emprunter au fait divers pour en offrir une perspective fictionnelle, laissant de côté les réponses pour laisser ce personnage à l’état d’énigme ? Le choix de Cédric Anger ne laisse aucune surprise : tout comme ses deux précédents films (Le tueur en 2008 et L’avocat en 2010) s’incarnaient en récits purement comportementalistes, le réalisateur se cale ici sur le rythme de son protagoniste, tel un frère Dardenne collé à ses basques (la mise en scène est toutefois bien différente). Et surtout, puisque l’on parle de mise en scène, ses choix s’avèrent logiques dans l’élaboration d’un pur univers mental : des plans secs et posés, une caméra portée qui joue assez habilement de l’instabilité de ces cadres, une atmosphère sombre où la grisaille du ciel pèse lourd sur des décors glauques, et surtout, un récit qui ne dévie jamais de son protagoniste, présent dans chaque plan du film. En soi, tout semble carré et précis. Mais le souci, c’est que rien (ou presque) ne fonctionne.

On l’avoue quand même, l’excellente scène d’ouverture se révèle lourde de promesses : quasiment vierge de dialogues, purement musicale, composée de travellings en voiture qui alternent les points de vue (celui du tueur, dont le visage n’est révélé que peu à peu, et celui des victimes en vélo), le tout avec un travail visuel et sonore tout à fait méritant. C’est hélas la seule scène qui provoquera un vrai malaise, le reste du film n’étant au final qu’une suite de saynètes qui hésitent entre le rapport dépouillé du déroulé quotidien de l’affaire réelle (ceux qui la connaissent auront toujours un cran d’avance) et la primauté d’éléments plus ou moins fictionnels. C’est justement ceux-ci qui sont hélas pour beaucoup dans l’échec global du film : loin de renforcer le mystère autour de cet antihéros, la plupart d’entre eux ne servent qu’à surligner de façon pesante ses faiblesses, surtout affectives (voir cette love-story finalement assez superflue avec Ana Girardot), ou à expliciter grossièrement le pourquoi du comment. Le plus bel exemple reste ces plans de fouettage et de scarification, ainsi que la relation du héros avec son petit frère : l’idée d’un « parcours de combattant » pour le héros est sans cesse paraphrasée par le récit, sans parler de son rêve brisé d’intégrer les forces spéciales ou de son désir (inconscient ?) de « surpasser » ses collègues gendarmes, quitte à se les mettre tous à dos.

De ce fait, le personnage n’est plus un mystère à décoder, mais un personnage assez verrouillé au service d’un film sans véritable affect, bloqué scène après scène dans un naturalisme pompeux, mis à découvert par un système d’esquive musicale qui ne marche pas (il ne suffit pas de recouvrir toute la bande-son de musique pour élaborer une vraie tension) et alourdi encore plus par certains choix de mise en scène assez douteux. En effet, entre la ridicule apparition nocturne de biches (un onirisme fake qui fait cheveu sur la soupe) et une description de la gendarmerie qui laisse pantois (la beaufitude et l’homophobie y sont de rigueur), on ne sait pas ce qui est le plus gênant.

Ce qui, en fin de compte, sauve de justesse le film et réussit à maintenir un minimum d’attention, c’est le jeu de Guillaume Canet. Au-delà d’une sobriété à toute épreuve et d’une justesse adéquate pour laisser infuser le caractère instable du personnage sans en donner l’impression, il s’agit bel et bien de l’un des rares acteurs français aux côtés d’Yvan Attal à pouvoir jouer ordinairement des situations extraordinaires, toujours au premier degré, en évitant de façon très habile le spectre de la performance. En cela, sa prestation tenue de bout en bout arrive à rendre troublant et inquiétant le personnage central, là où la mise en scène d’Anger, pourtant pas avare en idées de mise en scène mais hélas trop maladroite, tend au contraire à l’aplatir. Dans ce match-là, c’est l’acteur qui l’emporte sur le réalisateur. Tout comme le tueur lui-même finit, malgré son arrestation tardive, à laisser en état de choc le système qui l’employait.

Photos : © Mars Distribution. Tous droits réservés

Guillaume Gas

Cinéphage hardcore depuis mes six printemps (le jour où une VHS pourrave de Tron trouva sa place dans mon magnétoscope), DVDvore compulsif, consommateur aguerri de films singuliers et/ou zarbis, défenseur absolu de Terrence Malick et de Nicolas Winding Refn, et surtout, enclin à chercher jour après jour dans le cinéma un puits infini de sensations, qu'elles soient fortes, émouvantes, agressives ou uniques en leur genre. Toujours prêt à dégainer ma plume pour causer cinéma et donner envie à chacun de se rendre dans cette délicieuse Matrice que l'on appelle une "salle obscure"...

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