Men In Black III

Avril 2011. Men In Black III n’est même pas rentré en phase de post-production que le magazine Cinemateaser s’interrogeait la possibilité d’un accident industriel. Qualification précipitée jouant sur les formules chocs ? C’est que la production de la nouvelle aventure des agents J et K n’a pas l’air de se passer sous les meilleures auspices. Qui plus est, la franchise a un sacré passif en la matière. N’importe qui s’intéressant à la conception d’un film se doit de constater à quel point les Men In Black ont bénéficié de gestation pour le moins bizarre. On dit bien que faire un film équivaut à une bataille de tous les instants mais avec la série réalisée par Barry Sonnenfeld, le choix des armes et de la stratégie laissent pour le moins dubitatif. Chaque film aura connu des difficultés qui seront remédiées selon des méthodes fort discutables. Le premier opus verra ainsi la sous-intrigue autour de la galaxie d’Orion largement remaniée. Remontage, retouche des CGI et postsynchronisation permettront en effet de simplifier un fil narratif qui n’avait pas forcément d’importance selon Sonnenfeld. Le fait est qu’il avait raison. La réussite de Men In Black premier du nom tenait à l’introduction de son univers original et de ses règles. L’enjeu du récit ne servait que de toile de fond à ce plaisir de s’aventurer dans l’envers du décor.

Or, tout se complique avec le second opus. Il n’y a plus lieu de se reposer sur le rafraichissement de la découverte et il faut construire désormais une intrigue pertinente dont les motivations exploiteraient les bases précédemment posées. C’est toutefois un peu compliqué lorsque le chaos se déchaîne sur le plateau. Débutant le tournage, la délectable Famke Janssen doit quitter le plateau pour des raisons personnelles et est remplacée au pied levé par la transparente Lara Flynn Boyle. Conséquence : réaménagement du planning en précipitation pour coller avec la participation de l’actrice à la série The Practice. Le 11 septembre 2001 se produit l’événement que tout le monde connaît. Conséquence : outre un nouveau réaménagement du planning faute de pouvoir accéder à certains extérieurs, le dernier acte impliquant les Twin Towers doit être intégralement revu et corrigé. Face à des coups de malchance digne d’un Terry Gilliam, Men In Black II use en panique des méthodes précédemment mises au point et se prend leur caractère précaire en pleine face : on retourne à tout va certaines séquences (les premières scènes avec Rosario Dawson pour rendre l’actrice plus mignonne… ce qui est un désastre vu que le film a réussit l’exploit de l’enlaidir), on tente de rattraper des gags à la ramasse en postsynchronisation (Sonnenfeld défend contre vents et marées ce processus pourtant loin d’être concluant dans les faits), on ménage le rythme au montage quitte à faire ressortir l’inconsistance de l’intrigue (une scène de dialogue sera littéralement scindée en deux et séparée par une bobine entière)… Résultat : malgré une santé financière au box-office, ce second opus ne se traîne auprès des spectateurs qu’une piètre réputation bien méritée.

L’absence d’un troisième épisode apparaissait pour le moins cohérente. A la sortie de Men In Black II, Sonnenfeld déclarait dans une interview à Premiere « qu’il n’y a probablement pas assez de dollars sur la planète pour un troisième opus ». Toutefois, l’appel du dollar reste irrésistible surtout pour un Sonnenfeld dont le succès dans les 90’s cède la place à la gueule de bois des 2000’s. Lorsque le premier opus était en post-production, le studio le sollicitait déjà pour une suite qu’il refusa poliment. Nul doute que le certain échec commercial de Wild Wild West (tout du moins sur le sol américain) l’a poussé à accepter de renouer avec son précédent exploit. Il en va surement de même pour ce troisième opus faisant suite à une décennie de vache maigre pour le réalisateur (il officiera quasi-exclusivement à la télévision pendant cette période). Une sorte de projet de la dernière chance qui, logiquement, aurait dû être planifié et pensé avec intelligence. C’est pourtant loin d’être le cas puisque comme expliqué plus haut, la production plongera une nouvelle fois dans l’anarchie. Pour coller aux agendas de ses acteurs, la production est lancée avec un script non finalisé. Pas de panique néanmoins puisque le tournage est prévu en deux temps. Afin de bénéficier de réduction d’impôts, le tournage commence fin 2010 pour quelques semaines et reprendra deux mois plus tard. Mais pendant ce laps de temps, les idées du scénariste Etan Cohen (Tonnerre Sous Les Tropiques) ne sont plus en odeur de sainteté et le script doit être revu. Enfin, le reste du script pour être précis, puisqu’il faudra bien conserver le premier acte déjà mis en boite. Bien que Cohen soit le seul encore crédité, Jeff Nathanson (Rush Hour 3) et David Koepp (déjà script doctor pour le premier opus) tentent de corriger le manuscrit selon les nouvelles exigences. Bien sûr, ce joyeux bordel n’aurait guère d’importance si il ne déteignait pas sur la qualité du film. Or, c’est bel et bien le cas.

De par sa conception précipitée, Men in Black III se coltine les mêmes défauts que son prédécesseur. Il y a tellement de soucis pratiques à solutionner que la créativité passe au second plan. Il ne s’agit plus de construire le plus grand paquebot mais de s’assurer d’obtenir au moins une barque qui flotte. En ce sens, le premier acte catastrophique ne masque pas le manque d’horizon narratif dont bénéficiait l’équipe au moment du tournage. Après avoir posé son bad guy sans envergure sous forme de biker au sourire carnassier (la série n’aura décidément eu que des méchants minables si on excepte la prestation de Vincent D’Onofrio), le film se contente de resservir les acquis déjà accumulés plutôt que de les faire fructifier. On retrouve ainsi un duo J/K en pilotage automatique multipliant les gags barbants. On sent le manque de motivation de Will Smith et Tommy Lee Jones face à des scènes dont ils ne peuvent saisir la finalité (le pire étant Jones qui a l’air de s’en foutre royalement). Ajouté au caractère brinquebalant de la menace, l’ensemble se fait d’un inintérêt complet. Tout juste se laisse percevoir un soupçon d’espoir face à certains éléments neufs que ce soit la trop rare Emma Thompson ou un court mais attrayant déploiement d’imagerie d’invasion extraterrestre. Des lueurs qui se multiplieront heureusement par la suite.

Alors certes, le film ne pourra se débarrasser de ses mauvaises bases. L’intrigue n’arrivera jamais à décoller, le méchant restera insignifiant et Will Smith ne se sent pas trop obligé de se forcer. Toutefois, le changement du contexte pour celui des 60’s donne un minimum de nouveauté dont la franchise avait définitivement besoin. A défaut de réinventer ou d’enrichir l’univers, cela nous invite au moins à le redécouvrir sous une autre approche souvent amusante (les versions rétro des gadgets que l’on connaît). Même si certains aspects sont téléphonés (il fallait forcément confronter J au racisme ambiant de l’époque), d’autres gags étonnent par leurs capacités à ne pas se la jouer obvious (la véritable identité d’Andy Warhol). Mais bien sûr, le concept du voyage temporel permet surtout de relancer la relation entre J et K (ce dernier bénéficiant d’un bluffant jeu de mimétisme de la part de Josh Brolin). Le duo retrouve là de sa dynamique et de manière plus étonnante voit se finaliser la relation paternaliste qui fut plantée par les deux précédents films. Une résolution qui ouvre toutefois les portes à la réflexion sur le continuum espace-temps.

Lorsque Koepp fut embauché pour retoucher le script, la principale problématique à résoudre portait justement sur les conséquences du voyage temporel. La solution à cette situation donne lieu à la création d’une des meilleures idées du film en la personne de Griffin. Extraterrestre aidant les deux agents, celui-ci a la capacité de percevoir l’intégralité des univers parallèles existants. Ce personnage rehausse considérablement l’intérêt du récit dans tous les sens du terme. Sur la comédie bien sûr, par sa manière de parlementer sans fin sur les innombrables rebondissements pouvant se réaliser à l’instant. Narrativement, il désamorce les paradoxes temporels. En exprimant clairement comment une infinité de détails peut donner lieu à une infinité de futurs, il réduit à néant la construction d’un plausible raisonnement logique sur la mécanique temporelle. Chaque détail dysfonctionnel décelé pourrait ainsi se retrouver contrecarré par un autre. Le personnage arrive même à inscrire ce troisième opus dans la « philosophie » de la série. Avec le premier opus, Sonnenfeld avouait jouer sur des rapports d’échelles. Après tout, la morale était qu’une chose peut être à la fois petite et importante. Cela s’inscrivait bien avec l’idée de présenter des personnages sauvant le monde alors qu’ils n’ont plus d’existence propre. Tout au long du film, Sonnenfeld prenait à cœur de mettre en exergue le propos. Le plan d’ouverture avec sa libellule aux allures d’alien ou le plan final traversant l’univers en sont les meilleures expressions. Le second opus prolongeait maladroitement tout cela. Ici Griffin nous rappelle comment l’événement le plus insignifiant est capable de s’inscrire dans un plan aux conséquences planétaires. Un jeu d’échelle ici renouvelé même si la fade mise en scène de Sonnenfeld ne le servira pas vraiment.

Voilà qui procure un certain attachement au spectacle même si il ne pourra faire entièrement pardonner les insuffisances du film en d’autres domaines. Reste à espérer que si un quatrième épisode voit le jour, Sonnenfeld et son équipe auront enfin retenu les leçons précédentes… ou alors qu’il laisse la place à des personnes prêtes à transporter plus loin ce si attrayant univers. Rappelons ainsi que Michael Bay était bien chaud pour se charger de ce troisième opus. Ça n’aurait peut-être pas été meilleur mais au moins, ça aurait été différent.

Réalisation : Barry Sonnenfeld
Scénario : Etan Cohen
Production : Amblin Entertainment
Bande originale : Danny Elfman
Photographie : Bill Pope
Origine : USA
Date de sortie : 23 mai 2012
NOTE : 2/6

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