Les coquillettes

REALISATION : Sophie Letourneur
PRODUCTION : Ad Vitam, Ecce Films, Rézina Productions
AVEC : Camille Genaud, Carole Le Page, Sophie Letourneur, Julien Gester, Eugenio Renzi, Louis-Do de Lencquesaing, Louis Garrel, Lolita Chammah, Olivier Père, Jean-Marc Lalanne
SCENARIO : Sophie Letourneur
PHOTOGRAPHIE : Antoine Parouty
MONTAGE : Jean-Christophe Hym
BANDE ORIGINALE : Thibault Deboaisne
ORIGINE : France
GENRE : Comédie
DATE DE SORTIE : 20 mars 2013
DUREE : 1h15
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Le cinéma, ce n’est pas toujours tapis rouge et petits fours. Parfois, c’est seulement « coquillettes » ! Trois « nouilles » en mal d’amour partent en virée dans un festival en Suisse : Sophie, midinette, est obsédée par le seul acteur connu du festival, Camille, romantique, rêve d’un histoire d’amour impossible et Carole, pragmatique, a juste « envie de baiser »…

Pour la petite histoire, l’affiche ci-dessus n’est pas celle du film : il s’agit d’une affiche parodique utilisée pendant la promotion – discrète – du film. Mais entre un paquet de coquillettes sur fond blanc et un pastiche visuel de l’affiche de Spring Breakers, l’auteur de ces lignes n’a pas mis longtemps à afficher sa préférence. D’autant que, pour le coup, cette fausse bonne idée promotionnelle ne se contente pas de faire cheveu sur la soupe. Elle révèle surtout un écart affolant entre l’intention et la réalité – et on peine même à admettre qu’il y ait de l’ironie dans cette démarche. Mieux vaut donc ne pas s’imaginer qu’à l’exception d’une narration centrée sur un groupe de copines un peu timbrées, les deux films auraient un quelconque rapport entre eux. Là où l’ovni génialement acide de Harmony Korine utilisait ses quatre héroïnes borderline comme incarnations objectives d’une fuite en avant dépourvue de limites et de tabous (avec zéro jugement dans cette capture hypnotique d’un état d’esprit rebelle), le home-movie lourdement limpide de Sophie Letourneur se contente de filmer trois nouilles égarées dans un plat de spaghettis snobinardes. Avec, comme résultante d’une cuisson maladroite, un effet terrible : l’impression d’avoir affaire à une équipe de cuisiniers que l’on ne cesse jamais de mépriser (tant et si bien qu’on pense avoir tort de les juger ainsi), avant que le plat de résistance ne réussisse finalement qu’à nous encourager à persister dans cette posture méprisante. En gros, ça colle au fond de la casserole. Mais que voulez-vous, faut déguster tant que c’est chaud…

Vous l’aurez deviné sans peine : ici, pas de spring break sur les plages de Floride, mais une virée entre copines en plein édition 2011 du festival de Locarno – un lien de célébration du cinoche intello en plein cœur de la Suisse italienne. Cela dit, mine de rien, le programme sera un peu le même : relâcher la pression, boire des coups, se taper des mecs. En un sens, pas de quoi s’étonner lorsqu’on a déjà pu savourer La vie au Ranch, premier long-métrage de la miss Letourneur qui accomplissait alors des prodiges dans la captation de l’énergie du groupe, dans la mise en scène de discussions en perpétuel chevauchement, dans la surcharge permanente du cadre, ainsi que dans la drôlerie incongrue de petites phrases plus ou moins futiles. Mais aussi futile soit-elle, la parole ne recrée pas ici le même impact qu’avant. On aurait franchement aimé que la réalisatrice prenne des pincettes au vu du concept adopté : faire jouer à tout le monde son propre rôle dans une mise en scène élaborée comme un vaste exercice d’autodérision improvisé en temps réel. Et qui dit « autodérision » implique de jouer avec les clichés que l’on renvoie au lieu de chercher – consciemment ou pas – à les justifier. Ici, le problème est simple : l’une des trois filles – évidemment Sophie Letourneur – se rend à Locarno avec ses deux amies pour présenter un film, et durant le séjour, ces trois cruches en manque d’amour auront à cœur de remplir un objectif précis, pour le coup sans rapport avec celui de départ.

Pour la blonde Camille, l’important est de démarrer une vraie histoire d’amour. Pour la brune Carole (cheveux courts), l’important est de rassasier un appétit sexuel maousse. Et pour la brune Sophie (cheveux longs), le cinéma a une importance très relative par rapport au désir de se taper Louis Garrel. L’immaturité de ces trois héroïnes aurait pu être délirante, voire même décoincer l’image d’un festival de cinéma réputé pour son caractère supra-intello. Sauf que leur obsession à lever de la quéquette entre deux soirées arrosées et trois dialogues d’une vacuité sans nom produit fissa l’effet inverse. Ici dépourvu de tout point de vue, le cinéma-guérilla de Sophie Letourneur s’accommode très mal d’un penchant pour la satire, surtout quand on voit à quel point l’image du festival de Locarno n’est jamais parodiée ou subvertie. Ce que l’on voit ici est le fruit d’un regard direct et objectif, donc authentique. Regardez ces journaleux pédants et flemmards, promoteurs irréels d’un « entre soi » bien réel, préférant picoler entre bobos sur une banquette plutôt que d’aller voir de nouveaux films en salle. Regardez ces artistes égocentriques et imbuvables, obsédés par leurs « plans culs de festival » et emprisonnés dans une mécanique de surplace dont ils ne sortent que pour débiter des âneries (là-bas, aller voir un film, c’est seulement quand on n’a rien d’autre à foutre !). Le tout, bien entendu, avec la complicité clairement affichée de la presse critique hexagonale (au détour d’un plan, on y apercevra Jean-Marc Lalanne, Isabelle Régnier, Olivier Père, etc…).

Sophie Letourneur disait avoir abordé le festival de Locarno comme une toile de fond, mais comment faire l’effort de la croire lorsqu’on voit pareil tableau ? La faune décrite par sa caméra-témoin achève de valider le pire cliché qui la vise régulièrement : une bulle fermée d’artistes et de journalistes qui se font leur cinéma entre eux plutôt que de se mettre au service de celui qu’ils prétendent promouvoir. C’est d’autant plus agaçant que le résultat, hideux à plus d’un titre (mention spéciale au générique gavé de SMS sur fond pastel) et visiblement shooté de façon trop désinvolte, compile à peu près toutes les caractéristiques du prototype d’anti-cinéma. La narration se limitant finalement à écouter des confessions bêbêtes autour d’un plat de pâtes, il est inutile d’en rajouter. Plus collantes qu’attachantes, les Coquillettes de la bande à Sophie auront finalement été cuites pour rien. Et comme il est ici de bon ton de préférer le gaspillage au fait de conserver des restes dans le frigo, autant jeter le contenu de la casserole à la poubelle. Et ça s’arrête là.

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