La Guerre Est Déclarée

Retrouvez notre dossier consacré au festival de Cannes 2011

On parie déjà là-dessus : La Guerre est déclarée demeurera l’un des films de l’année pour lequel de nombreux spectateurs auront le plus d’affection. D’abord parce que la trajectoire qui précède sa sortie en salles est une ascension irrésistible. Sa sélection comme film d’ouverture de la Semaine de la critique du Festival de Cannes ne nous faisait ni chaud ni froid en raison du semi-ratage de La Reine des Pommes, le premier long-métrage de Valérie Donzelli sorti l’année dernière. Malgré l’enthousiasme qui le portait manifestement et qui avait motivé un tournage avec une équipe de quatre personnes seulement, celui-ci ne parvenait jamais à toucher au but qu’il semblait se fixer avec une rigidité dérangeante : retrouver la capacité qu’avait Demy de traiter de sujets graves avec légèreté et théâtralité, celle qu’avait Rohmer de sublimer des dialogues désuets au possible ou celle qu’avait Truffaut d’élever vers l’universalité les histoires intimes qu’il mettait savamment en forme. Au sortir du dernier Festival de Cannes, La Guerre est déclarée faisait l’objet de la frustration de ceux qui l’avaient loupé, de ceux qui n’avaient pas pu prendre part aux conversations enthousiastes à son sujet, de ceux qui n’avaient pas assisté aux quinze minutes d’applaudissements qui l’ont consacré à l’Espace Miramar (le siège de la Semaine). Unanimement consacré « rayon de soleil » d’une édition qui, il est vrai, était avant tout marquée par des œuvres sombres, le film aurait même, pour beaucoup, mérité sa place en Compétition Officielle ! Et puis il y a eu le festival Paris Cinéma (prix du jury, du public et des bloggeurs), celui de Cabourg ou encore celui d’Angoulême. Partout où il est passé, des acclamations, des larmes mais aussi des rires. Preuve que le pari risqué du duo Valérie Donzelli/Jérémie Elkaïm est remporté haut-la-main : c’était celui de ne retenir du combat qu’ils ont réellement mené contre la maladie de leur enfant (lorsqu’ils étaient encore en couple) que le positif, que ce qui les a grandis. On ne peut le nier, c’est aussi pour ça que le film est si attachant : l’histoire dont ils sont les interprètes est la leur et les hôpitaux qu’ils traversent à l’écran sont ceux dans lesquels ils ont passé tant de temps pendant des années. Ils n’ont pas de superpouvoir mais ce seront bien eux, nos héros de l’année.

On ose à peine imaginer ce qu’aurait pu être le film entre d’autres mains. Un drame sur ce sujet aurait pu être si horriblement pompeux, dégoulinant de sentimentalisme voire tout simplement irregardable parce que trop sombre : le bébé a à peine deux ans qu’il a déjà dans le crâne une tumeur énorme, promesse d’une mort (très) prochaine ou – au meilleur des cas – nécessitant une opération longue de neuf heures. Dès sa première image, le film déjoue au moins une chose : le suspense vicieux car probablement insoutenable qui aurait pu s’installer si le duo de coscénaristes n’avait pas annoncé d’emblée la guérison de leur fils, aujourd’hui âgé de près de dix ans et en bonne santé. Le film sera donc un long flashback et son cœur thématique non pas la maladie en elle-même mais bien la réponse que lui oppose le couple de protagonistes : la foi en son amour. La première scène de ce retour en arrière est pure réjouissance : au cours d’une soirée, elle et lui s’aiment au premier regard, qu’ils s’échangent d’un bout à l’autre de la pièce pleine de monde. Il lui jette une cacahuète qui tombe pile dans sa bouche. Au moment de se présenter, il n’y a déjà plus de doute : « _Salut, moi c’est Roméo ». Elle croit à un pur foutage de gueule, la Juliette. Mais non, le destin paraît en avoir décidé ainsi et avoir fait se croiser et s’unir leurs chemins pour une seule raison – on ne voit que ça : affronter ensemble l’épreuve qui les attend. Pourquoi eux ? C’est ce que se demandera Roméo dans l’un des moments de bref renoncement du film, toujours furtifs. « Parce qu’on est capable de surmonter ça » lui répondra, yeux dans les yeux, Juliette. Leur épreuve relève presque, semble nous dire la réalisatrice, de celle qu’ont dû vivre Adam et Eve pour résister à la tentation. Adam, c’est en tout cas le prénom de l’enfant dans le film, et on l’entend dire pour la première fois immédiatement après que le couple est allé voir, au Musée du Quai d’Orsay, « L’Origine du Monde » de Gustave Courbet qui paraît faire naître en eux l’envie d’avoir un enfant. Valérie Donzelli aurait-elle la prétention de vouloir donner à son récit des accents bibliques ou shakespeariens ? Il n’en est rien. Elle aurait bien pu convoquer de multiples références (elle ne le fait pas tant que ça au final), la sincérité de son film et son originalité auraient encore été trop grandes pour fléchir sous leur poids.

Cette effervescence de la forme du film, ces références un rien grandiloquentes qui cohabitent avec une bande-son pop omniprésente, une voix-off littéraire, un dialogue soudain chanté et des effets de montage (ouverture/fermeture à l’iris), tout cela ne plombe en rien le film mais participe au contraire de sa force. Car tout est affaire d’énergie ici : celle-ci est peut-être bien le vrai fil conducteur du film, ou alors le fil fragile sur lequel Donzelli et Elkaïm avancent en équilibre, sans que l’on sache trop comment ils y parviennent. L’énergie, on la trouve même dans la représentation du désespoir. Ainsi, le pathos de la séquence de l’annonce de la maladie d’Adam que Juliette fait en cascade à tout l’entourage du couple par téléphone – manifestement pour écourter l’épreuve – est déjoué par le fait que la cinéaste ne s’attarde pas sur chaque réaction individuelle (les dialogues sont presque inaudibles, couverts par une musique) mais saisisse avec rapidité ce qui les caractérisent toutes : un même écroulement physique, comme provoqué par une décharge. L’énergie, elle envahit soudain les personnages lorsque l’état d’Adam paraît s’améliorer – et l’on fête avec eux chaque victoire, même partielle – mais également lorsque celui-ci les inquiète : à plusieurs reprises, Juliette et Roméo courent à toute vitesse, pour s’épuiser, s’écrouler et tout oublier un instant, ou alors pour se redynamiser. Ils se le sont dit : la maladie de leur fils est un combat qu’ils doivent mener avec intelligence. Les protocoles qu’ils demandent aux médecins de leur expliquer et que devra suivre l’enfant pour, peut-être, aller vers la guérison, ont l’air de stratégies militaires. L’énergie, il faut donc la préserver et l’économiser pour la mettre au service d’une bataille de longue durée, ils le savent. L’un et l’autre forment ce que la cinéaste aime appeler « une machine de guerre à deux têtes ». Les regards qu’ils s’échangent disent toute la puissance de leur union, même après une rupture progressive que la narration fait bien d’éluder pour ne rester concentrée que sur la solidité de leur lutte commune.

Valérie Donzelli s’autorise ce qu’elle veut et elle a bien raison. Trop de rigueur, trop de préméditation dans le décalage plombait La Reine des Pommes. Ici, le dynamisme de la forme, son charme pop, le pluralisme des éléments qui la composent créent avec la dureté de l’épreuve un décalage plus important mais, forcément, moins calculé parce que transposition artistique d’un vécu personnel. Donzelli et Elkaïm éludent largement une souffrance qui ne regarde qu’eux et ne conservent que le meilleur de la manière dont ils sont eux-mêmes revenus de cet enfer. Devant et derrière la caméra, ils transforment pour ainsi dire l’essai. Ils s’entourent ainsi, à l’écran, de solides adjuvants de cinéma : comme dans son premier long, la réalisatrice invite Serge Bozon et Gilles Marchand à faire des apparitions mais également, cette fois, les cinéastes Anne Le Ny et Katia Lewcowicz (qui l’a dirigée cette année dans Pourquoi tu pleures ?) et choisit comme chirurgien l’attachant Frédéric Pierrot (qui sera à l’affiche cet automne de Polisse de Maïwenn, avec toujours Jérémie Elkaïm). Et les choix artistiques de Donzelli ne font que capter les humeurs du récit, qu’accompagner l’avancée fiévreuse du couple, par à-coups, par enchaînement de fulgurances. On s’émerveille qu’à l’exception des ralentis de la fin (en 35mm), le film ait été tourné en lumière naturelle avec un appareil photo Canon (le EOS 5D exactement). Cette discrétion du dispositif filmique est au diapason de cette histoire de guerre intime, et a permis un tournage en hôpital avec de vrais médecins sans priver pour autant l’image d’une certaine beauté – impressionnante, par moments. On pense au Pater d’Alain Cavalier, qui créait tout un monde en ayant l’air de jouer avec sa petite caméra Sony. Autant de liberté n’aurait probablement pu aboutir à autre chose que ce qu’est La Guerre est déclarée : une œuvre rétive à tout classement dans un genre préétabli, un film physique, intense, vivant, dont on ressort grandi.


Réalisation : Valérie Donzelli
Scénario : Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm
Production : Edouard Weil
Conseil artistique et musical : Jérémie Elkaïm
Photographie : Sébastien Buchmann
Montage : Pauline Gaillard
Origine : France
Date de sortie : 31 août 2011
NOTE : 5/6

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