L’aigle de la neuvième légion

REALISATION : Kevin Macdonald
PRODUCTION : Film4, Focus Features, Toledo Productions
AVEC : Channing Tatum, Jamie Bell, Denis O’Hare, Donald Sutherland, Tahar Rahim, Mark Strong
SCENARIO : Jeremy Brock
PHOTOGRAPHIE : Anthony Dod Mantle
MONTAGE : Justine Wright
BANDE ORIGINALE : Atli Örvarsson
TITRE ORIGINAL : The eagle
ORIGINE : Royaume-uni
GENRE : Peplum, Adaptation
DATE DE SORTIE : 04 mai 2011
DUREE : 1h51
BANDE-ANNONCE

Synopsis : En 140 après J.-C., l’Empire romain s’étend jusqu’à l’actuelle Angleterre. Marcus Aquila, un jeune centurion, est bien décidé à restaurer l’honneur de son père, disparu mystérieusement vingt ans plus tôt avec la Neuvième Légion qu’il commandait dans le nord de l’île. On ne retrouva rien, ni des 5000 hommes, ni de leur emblème, un Aigle d’or. Après ce drame, l’empereur Hadrien ordonna la construction d’un mur pour séparer le nord, aux mains de tribus insoumises, du reste du territoire. Pour les Romains, le mur d’Hadrien devint une frontière, l’extrême limite du monde connu. Apprenant par une rumeur que l’Aigle d’or aurait été vu dans un temple tribal des terres du nord, Marcus décide de s’y rendre avec Esca, son esclave. Mais au-delà du mur d’Hadrien, dans les contrées inconnues et sauvages, difficile de savoir qui est à la merci de l’autre, et de révélations en découvertes, Marcus va devoir affronter les plus redoutables dangers pour avoir une chance de trouver la vérité…

Il est généralement admis que le talent saute une génération. Si on en croit ce vieux précepte, il est donc naturel que Kevin Macdonald se soit laissé tenter par les sirènes du septième art. Tout comme son frère Andrew (producteur des films de Danny Boyle), Macdonald a suivit les traces de son grand-père Emeric Pressburger en rejoignant la prétendue grande famille du cinéma. Enfin, suivre les traces est une expression excessive puisque son parcours diverge de celui de son ancêtre. Au travers de sa collaboration avec Michael Powell, Pressburger a exploré le pouvoir abstrait de l’esthétisme cinématographique. Ils accompliront ensemble des œuvres somptueuses mais dont les visuels extrêmement pointus ont la particularité de faire vibrer son spectateur jusque dans ses moindres particules sans que celui-ci ne sache véritablement pourquoi. Kevin Macdonald n’a pas opté pour cette voie esthétisante et au contraire consacrera ses débuts de carrière au documentaire. Un genre qui trop souvent appelle à l’exploitation verbale d’une stricte réalité et non à la transcender par l’image comme le fait régulièrement la fiction. Pourtant, les documentaires de Macdonald tente à leurs niveaux d’œuvrer dans ce domaine que ce soit par un assemblage d’images d’archives aussi insaisissable que son sujet (Mon meilleur ennemi sur Klaus Barbie) ou par la reconstitution des faits (La mort suspendue sur le drame de deux alpinistes). Des qualités qui ne demandaient qu’à s’affirmer par un passage à la pure fiction, ce qu’il fera avec l’excellent Le dernier roi d’Écosse il y a quatre ans. Après le non moins recommandable thriller politique Jeux de pouvoir, Macdonald signe aujourd’hui sa troisième fiction avec L’aigle de la neuvième légion.

Etant donné ses antécédents, il n’y avait pas à attendre de cette adaptation d’un roman d’aventure pour la jeunesse (très populaire outre-manche) un retournement de veste de la part de Macdonald. Non, The Eagle n’est pas une grande fresque, un péplum à la dimension monstrueuse qui écrase par l’immensité de sa mise en scène et des émotions qu’elle déploie. Ça serait même tout l’inverse. La principale qualité du long-métrage tient d’ailleurs dans la parfaite compréhension de ses moyens. En dépit de l’utilisation d’un cinémascope pas toujours appropriée au-delà de son cachet « divertissement à l’ancienne », Macdonald sait qu’il n’a pas un budget de blockbuster hollywoodien. Il ne commet pas la même erreur que Neil Marshall sur son Centurion, autre cas récent de péplum (qui ironiquement évoque également le mystère historique autour de la neuvième légion). Le réalisateur de The Descent refusait d’assimiler la petitesse de sa production et tentait difficilement de reproduire le style visuel ultra-léché de Ridley Scott. Mais avec un budget équivalent au dixième de celui de Gladiator, il n’obtenait rien de mieux qu’une série d’images insipides dont l’absence d’envergure sautait aux yeux. Macdonald ne commet pas la même erreur. Il compose en conséquence ses choix pour réussir à rendre pleinement divertissant son récit. Il manipule ses cadres pour magnifier ses personnages et leurs tourments, place la caméra de telle manière que toute la beauté de ses paysages et de ses environnements naturels ressorte à moindre coût et utilise sa splendide photographie pour que cela n’apparaissent jamais comme une soumission à des obligations économiques.

Contrairement à Marshall, Macdonald a compris qu’il convenait de se montrer humble de par un sujet évoquant l’orgueil d’une nation. L’aigle de la neuvième légion parle d’honneur et de fierté. Le personnage principal Marcus Aquila est un centurion fraîchement promu au commandement d’une caserne en Bretagne. Il a choisit ce poste car c’est là qu’a officié son père avant de disparaître, lui et toute sa légion. Attaqué dans les terres barbares, l’élite de l’armée romaine se sera faite décimer et son symbole de gloire, un aigle de bronze, sera perdu. Converti dès l’enfance à ce principe d’honneur (l’ombre de l’aigle frappe son visage comme une marque au fer rouge lors d’un flashback), Aquila ne vit qu’au travers de celui-ci et ne supporte pas l’idée qu’il soit bafoué. Cela explique son choix de marcher sur les traces de son père afin de recouvrir de gloire un nom sali par cette perte par delà le monde connu. Son comportement aussi héroïque soit-il à l’écran apparaît dès lors comme une véritable obsession. Son honneur le pousse à des actes suicidaires (la conclusion de la bataille d’ouverture) et dicte la moindre de ses émotions (à l’issu d’une opération sur sa jambe meurtrie, il sera plus préoccupé par sa réaction face à la douleur qu’à la réussite de l’intervention médicale). Par ce personnage, Macdonald questionne l’arrogance des nations dominantes et la peur de l’humiliation. Il ne s’est d’ailleurs jamais caché qu’il a voulu teinter son film d’un parallèle avec la situation actuelle au Moyen-Orient (ce qui tend à justifier la présence dans le rôle principal du beau gosse Channing Tatum). Saupoudré de quelques savoureux seconds rôles (Donald Sutherland, Mark Strong, Tahar Rahim), cette première moitié présentant le personnage et établissant son rapport de force avec un esclave également rongé par la question de l’honneur (brillant Jamie Bell) est passionnante. La suite s’avère plus problématique avec un rythme s’essoufflant sérieusement. Le long-métrage semble se perdre quelque peu en chemin. Il n’arrive pas à exploiter une mécanique narrative aussi simple que l’inversion des rôles (pour survivre en territoire ennemi, le romain doit se faire passer pour l’esclave de son serviteur celte). Pire, alors que les personnages dévoilaient leurs émotions par l’intensité des interprètes, on se retrouve face à des passages sentencieux à la facilité éculée (« En faite, je fuyais moi-même » lâche un déserteur dans son grand moment de rédemption) qui atteindra son apogée dans une conclusion un brin ambiguë (l’honneur des puissants rétablit quant bien même ceux-ci ne le méritent pas).

Ces problématiques ajoutées à une shakycam pas toujours heureuse gâchent un peu la vision d’un divertissement si séduisant. Il reste pourtant là l’une des aventures les plus délicieuses à suivre actuellement en salles.

1 Comment

  • Tanguy Says

    Un film qui ne va pas jusqu'au bout de ces idées et c'est bien dommage (même si ça reste largement au dessus de la plupart des péplum sortis ces années dernières)

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