Jurassic World

REALISATION : Colin Trevorrow
PRODUCTION : Universal Pictures, Amblin Entertainment, Legendary Pictures
AVEC : Chris Pratt, Bryce Dallas Howard, Nick Robinson, Ty Simpkins, Omar Sy, Vincent D’Onofrio, Irrfan Khan, B.D. Wong
SCENARIO : Rick Jaffa, Amanda Silver, Derek Connolly, Colin Trevorrow
PHOTOGRAPHIE : John Schwartzman
MONTAGE : Kevin Stitt
BANDE ORIGINALE : Michael Giacchino
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action, Aventure, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 10 juin 2015
DUREE : 2h05
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Avec le rachat de la société de biotechnologie InGen, le jeune milliardaire Simon Masrani a rendu possible le rêve de John Hammond : l’ouverture d’un gigantesque parc d’attractions centré sur le clonage et l’exposition de dinosaures vivants à partir de leur ADN fossilisé dans de lʼambre. Vingt-deux ans après l’ouverture de Jurassic Park, les scientifiques aux ordres de Claire Dearing tentent de trouver une nouvelle attraction pour captiver les milliers de visiteurs qui débarquent chaque jour par bateau depuis le Costa Rica. Deux spécimens femelles d’une nouvelle espèce de dinosaure façonnée par la main de l’Homme, Indominus rex, voient ainsi le jour. Mais après avoir tué et mangé son binôme, l’un de ces monstres s’échappe et sème la terreur dans le parc. Une gigantesque traque s’organise alors…

C’est donc officiel : le parc a rouvert ses portes. A croire que le désastre d’Isla Nublar n’a pas permis à certains successeurs de John Hammond d’en tirer de précieuses leçons sur les dérives d’une technologie trop avancée. A moins que ce ne soient les studios, prêts à rebooter tout et n’importe quoi, qui auraient voulu en rajouter une couche après un second opus aux allures de série B kingkongesque et un troisième d’une vacuité abyssale. Alors à quoi bon ? Une seule ligne de dialogue suffit ici à révéler la vraie nature de Jurassic World. En effet, le temps d’un dialogue avec les futurs actionnaires du parc, la scientifique Claire Dearing (Bryce Dallas Howard) se fait lucide : « Il y a 20 ans, la résurrection d’une espèce disparue tenait de la magie, et aujourd’hui, les jeunes regardent un stégosaure comme un éléphant dans un zoo ». Le message a le mérite d’être clair. Il y a longtemps, le fait de découvrir le parc (pas encore ouvert au public, rappelons-le) avait de quoi alimenter fascination et inquiétude, surtout par rapport aux outils utilisés pour sécuriser la confrontation avec les dinosaures. Aujourd’hui, tout a changé : les dinosaures sont connus du grand public et celui-ci se presse en masse pour les observer. Les anciens progrès de la science sont devenus une routine qui ne suscite plus de surprises. Le constat est exactement le même sur le plan du cinéma. On se souvient de Jurassic Park comme du fer de lance du blockbuster à CGI, où le progrès technologique constituait un outil de sidération autant qu’un niveau de lecture à part entière. Et comme les CGI sont devenus la norme d’un Hollywood prêt à inonder ses produits de tous les money-shots possibles, rien d’étonnant à ce que le public ne se sente pas bousculé dans ses habitudes en allant voir Jurassic World. Notre œil s’est habitué, notre émerveillement originel s’est envolé et, par conséquent, la nouveauté est à guetter ailleurs.

Avant même de voir le film, on aura bien du mal à ne pas sourire en évoquant la mutation du titre. Si le « Park » du titre d’origine est devenu « World », ce n’est pas un hasard : la saga initiée par Steven Spielberg démarrait par une révolution et se devait, à un moment donné, d’en passer par sa propre hybridation. Quitter le survival sidéral en terre inconnue pour le blockbuster macroscopique en terrain connu est-il une bonne ou une mauvaise chose ? Aucune importance : comme le remarquait autrefois le paléontologue Alan Grant en découvrant des œufs de dinosaures, « la nature trouve toujours son chemin ». Ce que fait Colin Trevorrow avec ce quatrième épisode est d’abord un geste de lucidité qui vise à prendre acte de cette mutation : bien plus que le fast-food super-héroïque que Hollywood nous décongèle toutes les trois semaines, Jurassic World s’impose comme le seul film de 2015 à avoir le mieux traduit – et incarné – l’évolution du cinéma de divertissement depuis plus d’une décennie. Et comme la sidération d’antan a laissé la place à l’attractivité du moment, le film se devait de trouver un angle judicieux pour stimuler son audience. Comme on pouvait le supposer, c’est le titre lui-même du film qui nous donne la clé : ici, les dinosaures ne sont plus dans un parc que l’on visite, mais dans un monde où s’installe une cohabitation délicate entre eux et nous.

Sur la base d’un scénario plus ou moins calqué sur le premier Jurassic Park (découverte + inquiétudes + incidents + fuite), Trevorrow reprend l’ADN de son illustre ancêtre pour le faire muter à petites doses. On sent bien sûr son désir plus ou moins refoulé de réaliser son « fan-film » personnel, multipliant les clins d’œil au film culte qui l’a tant marqué en y ajoutant l’hybridité nécessaire à sa transformation. Cela étant dit, c’est le décor qui devient ici le centre d’attention n°1, comme le souligne l’emploi du magnifique thème de John Williams non pas pour accompagner la découverte des créatures mais pour mettre en valeur la vue d’ensemble du parc – le plan suscite un joli frisson nostalgique. Et de ce fait, chaque recoin du parc subit un reloaded radical : les voitures autoguidées sur rails sont devenues des boules sphériques ou des jeeps de safari évoluant au beau milieu des dinosaures (bye-bye les clôtures !), les cours d’eau de l’île servent de terrain d’exploration pour des kayaks souhaitant côtoyer les stégosaures de près, et même la voix d’ordinateur de la voiture d’origine laisse la place à un sous-C’est pas sorcier présenté par Jimmy Fallon. De petites optimisations qui, en soi, traduisent le passage du parc dans l’ère du 2.0. Mais le stade terminal de cette hybridation réside ailleurs : génétiquement conçu pour renforcer l’attractivité du parc et satisfaire les attentes du public (« Les gens veulent plus grand, plus féroce, plus dentu… plus cool ! »), ce nouveau spécimen appelé l’Indominus Rex a de quoi faire passer les vélociraptors pour des compsognathus.

Au vu de cette hybridation à gogo, Colin Trevorrow – à qui l’on devait déjà l’inédit Safety not guaranteed – crée sans trop tarder un écho détourné avec l’épisode inaugural de Spielberg. La nouveauté est de rejouer le rapport ambigu entre le créateur et sa création « bidouillée » en montant cette fois-ci au cran supérieur. Là où les dinosaures du premier film – surtout les raptors – héritaient logiquement du rôle du prédateur pour les humains qui se retrouvaient face à eux, ils sont désormais la proie de l’hybride sanguinaire qui ravage tout le parc – humains et dinosaures sans distinction. D’où cette idée finalement pas si farfelue que ça de filmer une collaboration risquée entre les humains et leurs anciens prédateurs, les premiers ayant réussi à dompter les seconds. De cette union que l’on pouvait croire improbable se dégage une idée logique au vu de la nature hybride et évolutive de ce quatrième opus : les créatures en 3D qui nous terrifiaient autrefois ne génèrent plus la même trouille qu’avant, parce que nous avons assimilé et étudié leur composition jusqu’à la rendre familière et modelable. Même au détour d’un malicieux plan d’ouverture, un simple jeu d’échelle suffisait déjà à refléter ce parti pris : ce que l’on croit être une empreinte de dinosaure dans la neige se révèle être en réalité celle d’un petit oiseau qui s’était posée sur le toit enneigé d’une voiture. Animal ou dinosaure, la frontière ne tient plus. Les deux nous sont familiers.

Le choix d’un scénario post-Amblin – qui reproduit la mise à l’épreuve de l’éternel schéma familial – va lui aussi dans ce sens. Il n’est certes plus surprenant pour un sou de retrouver là ce qui s’apparente désormais à des clichés invariables du blockbuster familial : en gros, voici deux ados encore plus geeks que Tim et Lex, attristés à l’idée de voir leurs parents divorcer, parachutés dans le parc pour se changer les idées, menacés par l’Indominus au cours de la visite, et finalement sauvés par le duo formé par leur tante Claire (si obsédée par son travail qu’elle ne s’occupe pas d’eux) et par un dompteur de raptors (en réalité un ancien flirt de Claire). Toujours cette idée des adultes bloqués dans leurs soucis conjugaux ou professionnels, mais prompts à sauver la progéniture qu’ils ne veulent pas engendrer. Avec par-dessus ça, la stratégie n°1 de tout film-catastrophe que Jurassic Park reprenait déjà : faire du « monstre » une menace démesurée forçant une cellule familiale à se former ou à se consolider. Un schéma que Trevorrow reproduit avant tout par pure nostalgie, même si cela tend hélas à affaiblir la fibre dramaturgique du récit. Le vrai problème sera ici de ne pas ressentir un véritable attachement pour la plupart des personnages : de Chris Pratt à Bryce Dallas Howard en passant par Omar Sy et Vincent D’Onofrio, tous semblent jouer une partition figée, désamorçant ainsi la plupart des effets de suspense déballés par le réalisateur. Parce qu’en épicentre du projet, seul le parc lui-même sera ici capable d’offrir au film ses rares moments de terreur. Deux jolis exemples : c’est par le reflet soudain de la gueule béante de l’Indominus sur toute la surface de la vitre de leur véhicule sphérique que les deux gamins comprennent soudain le danger mortel qui les guette, et c’est en voyant une Claire armée d’un fumigène rouge devant une gigantesque porte blindée que l’on se statufie sur place lorsque résonne soudain le bruit des pas du T-Rex.

Au bout du compte, Colin Trevorrow ne fait globalement pas mystère de l’attraction customisée que constitue son film, et avec le recul, cette lucidité apparait plutôt touchante. Sur le plan du spectacle, le défaut majeur du Monde perdu et de Jurassic Park 3 tenait moins dans une minimisation des enjeux réflexifs du premier film que dans leur soumission aux diktats de la série B comme Basique. Au mieux, on pouvait se contenter d’un Jeff Goldblum quasi encyclopédique pour débiter du sarcasme rigolard, et au pire, on subissait l’assaut des pires cochonneries digitales tout au long d’un survival mal torché par Joe Johnston. En dépit de quelques fautes de goût regrettables (ce plan du mosasaure qui engloutit un grand requin blanc semble sorti d’un sous-Sharknado !), Trevorrow se la joue plus carré et plus modeste en tirant sa révérence au premier film, reproduisant ainsi ses enjeux principaux en filant droit à l’essentiel (pas une seconde de temps mort), en optant pour une mise en scène dynamique (où la shaky-cam est bannie et l’immersion favorisée par de beaux travellings) et en priorisant le premier degré au sein des dialogues. De ce fait, qu’on puisse le juger inutile ou sans grande originalité, Jurassic World se fait malgré tout l’écho le plus digne de son illustre ancêtre à défaut d’être capable de l’égaler. Reste à savoir si l’hybridation qu’il aura engendré pondra de beaux œufs dans les années à venir. Ce très menaçant œil d’hybride qui accompagnait le générique de début était peut-être un avertissement, qui sait…

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