Incident de parcours

REALISATION : George A. Romero
PRODUCTION : Orion Pictures Corporation
AVEC : Jason Beghe, John Pankow, Joyce van Patten, Stanley Tucci
SCENARIO : George A. Romero
PHOTOGRAPHIE : James A. Contner
MONTAGE : Pasquale Buba
BANDE ORIGINALE : David Shire
TITRE ORIGINAL : Monkey Shines
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Fantastique
ANNEE DE SORTIE : 1988
DUREE : 1h53
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Allan, jeune homme à l’avenir brillant, est un jour victime d’un accident qui le paralyse totalement. Grâce à Ella, une petite guenon que lui a donnée son ami Geoffrey, Allan reprend gout à la vie. Seulement Geoffrey est un genie de la recherche scientifique. Sa derniere trouvaille: augmenter l’intelligence des primates en leur injectant un serum constitué de tissus du cerveau humain. Bien entendu, la petite guenon d’Allan n’a pas echappé à ses experiences.

[Écrivez pour Courte-Focale !] Condamné à atténuer le radicalisme de son message final par un épilogue à la Chris Colombus des mauvais jours (voulu par les studios Orion), blessé dans sa tâche par la promotion inexistante et donc l’échec commercial percutant de son bébé, Romero s’est vu porter Incident de parcours à bout de force, preuve s’il en est que le cinéaste n’a jamais eu de chance concernant la pérennité de ses pièces « hors-zombies ». Quand Romero, comme par malédiction, se met aujourd’hui à enchaîner les films de genre en vantant les mérites politiquement incorrects de ces essais balbutiants, il en oublie les vertus atypiques de son cinéma : un art qui puise ses qualités d’une dimension critique bien plus intense, et bien moins explicite, un jeu de la transgression bien au-delà de la quelconque mise en abyme d’une société et de sa politique. En vérité, au lieu de morts-vivants, il s’agit avant tout de scruter l’humanité, non pas en tant que philosophe, mais à la manière, savante et désenchantée, d’un anthropologue ne lésinant pas sur le symbole-choc.

Artiste handicapé par la maladie de la « case », de l’étiquette, l’auteur de Martin se démontre bien plus complexe que les discours manichéens qu’on a pu lui affilier, n’obéissant qu’à ses humeurs du moment, allant de l’Apocalypse à l’optimisme, et à sa vision, certes éphémère, de l’esprit et des états d’esprit de l’homme, de sa propre philosophie de vie. Chaque film porte à penser qu’il se trouve là, en-dehors des interprétations des acteurs et du caractère fantastique des histoires, un propre reflet de Romero himself : la vision épique d’un Knightriders s’impose comme l’alternative moins crépusculaire et plus respirable du cinéma de Romero, éloge de la liberté d’agir, de la passion communautaire contre tout ordre quel qu’il soit, du sacrifice au service de ce que l’on aime faire. Réflexion fortement méta-textuelle sur le Cinéma s’il en est ! Et, tel un pôle inversé, chaque élément de cet Incident de Parcours esquisse l’image d’un réalisateur broyant du noir, concevant que chacun des échecs qu’il aura à affronter dans sa carrière, chaque concession artistique, pourrait le tuer s’il ne maîtrise pas son esprit en tenant compte des « 2000 ans de civilisation » bien véridiques, à ses arrières.

L’histoire est sacrément équivoque : un sportif baignant dans le bonheur (le succès ?) se retrouve dans une situation pathétique (l’échec) après avoir été renversé par une voiture. Tétraplégique, il devra compter sur l’aide d’un singe à l’intelligence incroyable, Ella, figure simiesque s’occupant de lui avec un amour quelque peu dérangeant. Situation d’autant plus déstabilisante que l’ami scientifique du protagoniste n’a pas manqué d’attribuer au singe quelques doses de liquide provenant tout droit d’un cerveau humain…Malgré l’affection d’une très jolie dresseuse, notre héros ne pourra rien faire contre le mal absolu qui le contamine : la haine qui immobilise son esprit… et se concrétise par des actes criminels commis par son macaque, extension bien réelle de son inconscient destructeur ! Violence envers une mère castratrice, violence envers une femme le trompant avec son médecin, violence envers tout élément perturbateur l’affligeant au fil des jours…Comment ne pas y voir l’état d’âme de Romero, qui n’a cessé de construire des ouvrages basés sur la survie oscillante, la décadence, l’humain réduit à l’état de chair ambulante ? Passant de métaphore d’un romantisme morbide quasiment poétique (ce baiser du singe porté sur la lèvre saignante de l’homme !) à perturbation mentale constante (une très tendre scène d’amour parasitée par des cris aigus de singes agités), le singe encouragera, lors d’un incroyable climax, l’Homme à revenir à un état terrible de régression…

Et par le biais de la déconstruction mentale, cet anthropologue qu’est Romero nous rappelle que toute idée d’évolution n’est que chimère, et que c’est l’acte physique le plus atrocement primitif qui décidera de la fin de l’humanité (contenue en nous) comme de l’Humanité (avec un grand h). Le gars typique, face à l’idée d’autodéfense, redevient l’animal violent qu’il n’a cessé d’être depuis la nuit des temps. Déprimant constat, dans la mesure où le singe est inséparable du protagoniste, partageant son intimité, quotidienne comme psychique : il s’agit donc d’un duel sanglant livré contre soi-même. Jolie allégorie de l’artiste qui, en plus de devoir livrer une lutte contre les institutions (et si les studios n’étaient rien d’autre que ce personnage de la mère autoritaire et hystérique ?) n’a plus bel ennemi que lui-même : sa fragilité est une fatalité et ses émotions demeurent difficilement contenues face au consensus qui font état de « paralysie »…Combat chaotique ! Puisque, ainsi que l’illustre la fin alternative, c’est l’anarchisme de l’inconscient et la violence pulsionnelle qui remportent la victoire : et une tribu féroce de singes d’assurer le massacre final ! Dans ce décorum propre à toutes les théories, le cinéaste imagine la dangerosité de cette agressivité qui le conditionne en privilégiant la création artistique. Incident de Parcours prend alors la forme d’un exercice stylistique vital conduisant à la Catharsis…ce n’est « que du cinéma », comme le surligne l’adage.

Curieux objet filmique, non dénué de défauts mais porté par une sincérité presque effrayante, Incident de parcours est un joli témoignage psychanalytique, prouvant qu’un certain cinéma en dit souvent bien plus que mille ouvrages universitaires de philosophie.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Le vol des cigognes

Courte-Focale.fr : Critique de Le vol des cigognes, de Jan Kounen (France - 2013)

Fermer