Il Était Une Fois Un Meurtre

Les images de la bande-annonce d’Il était une Fois un Meurtre nous ont laissé espérer bien plus que ce que Baran Bo Odar pouvait nous offrir. On voyait, dans ces champs de blé survolés en d’amples mouvements d’appareil, dans ces images ultra léchées la promesse d’un polar atypique qui perdrait ses protagonistes dans une nature puissante, presque incarnée, pourquoi pas diabolisée, comme celle qu’on s’attend à trouver dans le prochain film de Bruno Dumont, Hors Satan, sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. A croire que nous sommes bien plus audacieux, dans les idées que l’on se fait du film au premier abord, que le réalisateur lui-même. Le Suisse Baran Bo Odar, réalisateur d’un premier long-métrage inédit en France, s’entoure pourtant d’une belle distribution germanophone pour adapter le roman Le Silence de Jan Costin Wagner. Et son histoire, sur le papier, n’est pas dénuée de potentiel. Le film s’ouvre dans un appartement à peine éclairé, où deux hommes regardent un film qu’on devine sulfureux, avant de partir en chasse dans la campagne ensoleillée. Ils croisent une petite fille à vélo qu’ils poursuivent jusque dans un champ, où l’un d’eux la viole et la tue sous les yeux de son complice passif. Vingt-trois ans ont passé : le complice (Wotan Wilke-Möhring, vu dans Walkyrie) a changé de nom et est devenu père de famille, la mère de la victime (Katrin Sass, vue dans Good Bye Lenin !) vit dans le souvenir, le policier chargé de l’enquête à l’époque et qui vient – tiens donc – de prendre sa retraite (Burghart Klaussner, le pasteur du Ruban blanc) rumine encore son échec. C’est alors qu’une autre petite cycliste disparaît dans des circonstances strictement identiques, jusqu’à l’endroit même où l’on retrouve son vélo. On en est sûr, c’est le même coupable. Et pourtant, une question demeure en suspens : pourquoi revenir après tout ce temps ? Les flics en charge de l’affaire, bien moins impliqués et méticuleux que le personnage joué par le charismatique Burghart Klaussner, ne se la posent qu’à peine, à l’exception d’un seul, rendu complètement instable par la mort de sa femme (Sebastian Blomberg, vu dans La bande à Baader et qui en fait des tonnes).

On s’interroge très vite sur l’utilité de diluer autant les enjeux de l’intrigue en les distribuant en quelque sorte aux nombreux personnages. De fait, le film en perd énormément en intensité. Les protagonistes liés par cette double affaire ne sont que des archétypes trop connus, que ce soit les parents endeuillés dont le couple est menacé de déliquescence, le flic instable mais intègre aux prises avec une hiérarchie incapable ou encore l’inspecteur retraité qui reprend du service pour achever une ultime mission. Entre eux et en chacun d’eux, aucune électricité, aucune vie n’est perceptible. La faute, en partie, à des comédiens soit trop inertes, soit au contraire cabotins. La faute, surtout, à l’organisation mécanique et verrouillée d’un drame choral censé offrir un panorama d’âmes tourmentées à travers le prisme d’une affaire criminelle. Rien n’y surprend… ou presque. C’est seulement sur le tard, lorsque réapparaît le personnage d’Ulrich Thomsen, l’auteur du premier crime, que le film parvient à toucher à une certaine tension. Le comédien danois, vu chez Susanne Bier ou encore Anders Thomas Jensen, suffit à rendre fascinantes plusieurs séquences, et ses traits durs, impénétrables laissent entier le doute quant à savoir s’il est ou non l’auteur du second crime autant que du premier. Une chose est sûre néanmoins, comme l’indique la présence, sur les étagères de son appartement, des mêmes films qu’il visionnait avec son complice dans la séquence d’ouverture : il est toujours le même pédophile, au moins potentiellement dangereux. La confrontation de cette figure volontairement granitique du Mal avec celle, plus instable, du complice devenu père de famille aurait assurément mérité d’être davantage mise en avant, voire d’être l’unique sujet du film. Les deux personnages diffèrent dans leur manière de vivre leur pédophilie, le premier pouvant manipuler le désir interdit du second. La révélation finale donne un éclairage nouveau au film sans pour autant excuser l’artificialité de sa construction ou la triste vacuité de son visuel (aucun impact, par exemple, du décompte des jours à la Se7en) : Il était une Fois un Meurtre, ou plutôt Le dernier Silence (traduction littérale du titre original Das letzte Schweigen), aurait pu être la captation de la solitude pesante d’un homme anormal. Le dernier silence, dans lequel il emporte la clé de toute une intrigue, refermant la porte de son appartement anonyme dans le dernier plan, c’est le sien.


Réalisation : Baran Bo Odar
Scénario : Baran Bo Odar, Richard Shakocius et Alex Ross d’après Jan Costin Wagner
Production : Frank Evers
Bande originale : Kris Steininger
Photographie : Nikolaus Summerer
Montage : Robert Rzesacz
Origine : Allemagne
Titre original : Das letzte Schweigen
Date de sortie : 27 avril 2011
NOTE : 2/6

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