I Wish

REALISATION : Hirokazu Kore-eda
PRODUCTION : Shigomi Inc., BIGX
AVEC : Koki Maeda, Ohshirô Maeda, Ryôga Hayashi, Nagayoshi Seinosuke
SCENARIO : Hirokazu Kore-eda
PHOTOGRAPHIE : Yutaka Yamazaki
MONTAGE : Hirokazu Kore-eda
BANDE ORIGINALE : Quruli
TITRE ORIGINAL : Kiseki
ORIGINE : Japon
GENRE : Drame, Enfance
DATE DE SORTIE : 11 avril 2012
DUREE : 2h08
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Au Japon, sur l’île de Kyushu, deux frères sont séparés après le divorce de leurs parents. L’aîné, Koichi, âgé de 12 ans, part vivre avec sa mère chez ses grands-parents au sud de l’île, tout près de l’inquiétant volcan Sakurajima. Son petit frère, Ryunosuke, est resté avec son père, guitariste rock, au nord de l’île. Koichi souhaite par-dessus tout que sa famille soit à nouveau réunie – même si cela doit passer par l’éruption dévastatrice du volcan ! Lorsqu’un nouveau TGV relie enfin les 2 régions, Koichi et son jeune frère organisent clandestinement un voyage avec quelques amis jusqu’au point de croisement des trains, où un miracle pourrait, dit-on, se produire… Verront-ils se réaliser leurs vœux secrets ?

Kore-Eda Hirokazu a trouvé avec l’ouverture de la nouvelle ligne du Shinkansen sur l’île de Kyushu le point de départ de son nouveau scénario, I wish – nos Vœux secrets. Autour d’un évènement national, il construit une histoire qui convoque deux de ses thèmes récurrents, l’absence et l’enfance. Koichi et Ryu sont deux jeunes frères récemment séparés par le divorce de leurs parents : le premier, âgé de douze ans, a emménagé avec sa mère et ses grands-parents au sud de l’île, tout près de l’inquiétant volcan Sakurajima, tandis que le second, plus jeune de quelques années, a choisi de rester avec son père, guitariste rock, au nord. Koichi souhaite à tout prix voir sa famille à nouveau réunie, quitte à ce que l’élément déclencheur qu’il attend soit… une éruption du volcan qui les contraigne, lui et les siens, à déménager. L’ouverture prochaine de la ligne ferroviaire semble néanmoins tomber à pic et lui offrir une perspective plus simple… Ce point de départ peut rappeler – toutes proportions gardées – une démarche qui fut celle de Nagisa Oshima en 1972 : le retour d’Okinawa au Japon, alors sous contrôle américain depuis 1945, servait de toile de fond à son joli mélodrame, Une petite Sœur pour l’Eté, où une adolescence venait chercher son frère aîné tout en se questionnant sur la légitimité de l’occupation ou du rattachement de l’île par/à tel état. Si l’on ne retrouve en rien chez Kore-Eda la dimension politique propre à Oshima, on relève une autre similitude : les deux opus en question dégagent une sérénité assez peu répandue dans leurs œuvres respectives. Comme si une évolution nationale offrait à leurs personnages un moment de réflexion, une impulsion salvatrice qui pourrait permettre de changer leur vie comme ils l’entendent, et aux cinéastes eux-mêmes l’occasion de rappeler l’échelle à laquelle se situe leur cinéma par rapport au pays : Oshima en capte sur le vif, sans recul, les troubles politiques, Kore-Eda en peint avec clairvoyance les évolutions sociales et le résidu de traditions…

En revendiquant clairement le statut de « fable » de son film par des effets de style tendant à épouser formellement l’imaginaire enfantin des personnages (les noms des villes où vivent les deux frères sont reliés à l’écran par un fil de téléphone dessiné au crayon, les rêves et souvenirs de chacun nous sont montrés directement, la musique entraînante est omniprésente), le réalisateur se détache de la sobriété qui participait de la force émotionnelle démentielle de Nobody knows (2004) et Still walking (2009). Après Air Doll (2010), interminable conte moderne qui donnait l’impression qu’il avait porté sur un format long une idée destinée à un court-métrage de 5min, Kore-Eda confirme son envie de davantage de légèreté dans la forme. Heureusement, ce parti-pris ne débouche plus sur la vacuité de son film précédent. On retrouve cette fois-ci, sur le fond, ce qui nous avait saisi dans ses deux bijoux précédemment évoqués : un regard précis et affectueux posé sur le quotidien de ses personnages, qui justifie qu’on le rapproche régulièrement de Yasujiro Ozu. Le premier temps de I wish – nos Vœux secrets donne clairement à voir ce talent de chroniqueur tranquille, jamais pressé, capable de tirer de scènes à priori anodines (« inutiles », iraient jusqu’à dire certains) une densité humaine qui permet de conserver notre attention à chaque instant. Il est notamment réjouissant de trouver ici davantage de cet humour que Kore-Eda instillait çà et là dans ses opus à dominante dramatique : les grands-parents, notamment, débitent tout un tas de répliques mordantes, par exemple lorsque la grand-mère (interprétée par la même actrice formidable que dans Still walking) croit que Ryu, dans son petit potager, fait pousser de l’herbe pour son rockeur de père ! On suit donc longtemps Koichi et Ryu dans leurs quotidiens respectifs, à table, seul ou en famille, à l’école, avec leurs amis. Le drame de leur séparation est alors presque implicite, relégué dans les non-dits que le cinéaste sait remarquablement utiliser (dans Still walking, ils donnaient l’impression que la cellule familiale était prête à exploser à chaque instant). Tout juste voit-on le regard un peu triste que jette Koichi à une mère et son enfant à la piscine, et c’est suffisant pour rendre émouvant le premier coup de téléphone qu’il passe à son petit frère.

Un jeu de parallèles, certes un peu appuyé, fait le reste : même séparés, les deux frères ont le même dynamisme, la même manière de sortir de chez eux d’un pas pressé, de courir retrouver leurs amis avec un sourire plus ou moins édenté aux lèvres. De manière récurrente, le jeu de Koki et Ohshirô Maeda (vrais frères à la ville) suggère par un simple regard vague ou un sourire qui s’efface lentement la difficulté de l’absence de l’autre et le profond amour fraternel qui les lie. Le temps qu’il prend pour lancer le voyage de ses personnages l’un vers l’autre, Kore-Eda l’alloue à un dessein qui ne correspond pas vraiment aux récits traditionnels de quêtes enfantines. Suivant les personnages d’adultes presque autant que les enfants, il révèle progressivement le statut polyphonique de son film. Mais ce qu’il montre des adultes n’est jamais détaché du cœur du scénario. L’immaturité du père qui s’achète des guitares avec l’allocation qu’il reçoit pour élever Ryu, la mère qui se bidonne comme une gamine lorsqu’elle rentre de soirée passablement éméchée, l’institutrice particulièrement attachée à son vélo et à sa vieille sonnette et surtout le grand-père qui joue les confiseurs et tente de mettre au point une sucrerie sans parvenir à combler les enfants d’aujourd’hui : tous ces éléments sont reliés au grand thème de l’enfance, comme état dont on sort plus ou moins définitivement et auquel on peut vouloir revenir. Car c’est un stade de l’existence où l’on pense encore au futur, où l’on peut encore se permettre de perdre un peu de temps, de tenter de donner du sens aux choses et de se tromper. Le plus beau, c’est que Kore-Eda lui-même, dans la structure de son film, semble épouser exactement cet état-là : son refus de céder trop constamment aux impératifs narratifs qu’implique son histoire de quête somme toute banale et d’encombrer les chemins des protagonistes d’embûches en tous genres donne à l’œuvre la tranquillité d’une balade ou tout au plus – dès lors que Koichi et Ryu entreprennent leur voyage – de course trottinante.

De même que Koichi finit par réaliser que croire en la possibilité d’un miracle au premier croisement des Shinkansen Nord-Sud et Sud-Nord était une fantaisie naïve, et surtout que son souhait qu’une éruption volcanique permette (au prix de bien des dégâts) les retrouvailles familiales, on finit par saisir à quel point le film ne visait pas ce que l’on croyait au départ. Tout au long des 2h de métrage, le réalisateur n’a de cesse de désamorcer les enjeux dramatiques qu’il semblait poser dans un premier temps. En cela, il s’approprie bien sûr l’une des constantes des histoires de quêtes enfantines, à savoir que celles-ci valent avant tout pour le voyage intérieur qui s’y superpose et qui fait grandir ceux qui les entreprennent – on constate un écho entre le premier et le dernier plan qui permet de constater le « trajet » parcouru par Koichi. Mais plus encore, on réalise en fin de course que l’essentiel était de plonger le spectateur dans un état qui se rapproche de celui de l’enfance comme période de découverte sensorielle privilégiée et d’apprentissage moral intensif. Juste avant le moment qu’il a tant attendu, lorsque les deux TGV sont sur le point de se croiser sous ses yeux, Koichi a toute une série de visions qui nous sont données à voir à l’écran : dans un montage rapide de moments fugaces, Kore-Eda nous fait saisir en même temps que son personnage l’importance première de ce que l’on vient de suivre. Elle réside moins dans l’objectif finalement atteint que dans ce qui a été vécu pour l’atteindre. Là encore, on pourrait croire à une morale souvent assénée au terme de ce genre d’histoires. Sauf que c’est davantage sur le parcours de Koichi comme accumulation d’impressions et de perceptions, donc d’expériences sensorielles, que revient le cinéaste : le maillot de bain qu’il a lavé à la main, des cendres volcaniques qu’il a enlevées de son t-shirt, des fleurs qu’il a senties sans y prêter grande attention, la main que son professeur a posée fermement sur son épaule en signe de compassion. Ce sont aussi de brefs rappels d’évènements moins secondaires qu’ils en ont l’air : depuis que Koichi a entrepris son voyage, son père a sorti un album de rock, le chat de son ami est mort, et surtout, il a retrouvé son petit frère, et même pour un jour seulement, c’est déjà ça. En ce qu’il saisit ainsi, par l’image et avec beaucoup de délicatesse, quelque chose d’aussi abstrait que la perception et l’acceptation par un personnage du passage du temps et de la périssabilité des liens humains, I wish – nos Vœux secrets a quelque chose de spécifiquement japonais, de doucement pensif et de joliment apaisant.

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