Hardcore Henry

REALISATION : Ilya Naishuller
PRODUCTION : Bazelevs Production, Metropolitan FilmExport, Versus Pictures
AVEC : Ilya Naishuller, Sharlto Copley, Haley Bennett, Danila Kozlovsky, Tim Roth, Cyrus Arnold, Andrei Dementiev, Will Stewart
SCENARIO : Ilya Naishuller, Will Stewart
PHOTOGRAPHIE : Vsevolod Kaptur, Fedor Lyass, Pasha Kapinos
MONTAGE : Steve Mirkovich
BANDE ORIGINALE : Darya Charusha
ORIGINE : Etats-Unis, Russie
GENRE : Action, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 13 avril 2016
DUREE : 1h30
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Vous ne vous souvenez de rien. Votre femme vient de vous ramener à la vie. Elle vous apprend votre nom : Henry. Cinq minutes plus tard, vous êtes la cible d’une armée de mercenaires menée par un puissant chef militaire en quête de domination du monde. Vous parvenez à vous échapper mais votre femme se fait kidnapper. Vous voilà perdu dans un Moscou hostile, où tout le monde semble vouloir votre mort. Vous ne pouvez compter sur personne. Sauf peut-être sur le mystérieux Jimmy. Pouvez-vous lui faire confiance ? Arriverez-vous à survivre à ce chaos, sauver votre femme et à faire la lumière sur votre véritable identité ?

Bizarre, bizarre… On a beau fouiller notre mémoire de cinéphile, pas facile de se rappeler d’un film qui nous avait procuré une telle sensation d’interactivité vis-à-vis de son contenu. On a beau tenter de se raccrocher à une poignée de péloches bien énervées où le pétage de plomb hormonal était de rigueur (le diptyque Hyper tension en tête), l’expérience différait par l’absence de la vue subjective. On a beau essayer de relier un tel parti pris de mise en scène à la fameuse séquence de l’adaptation ciné de Doom, ça ne fonctionne pas, et pour cause : non seulement le nanar d’Andrzej Bartkowiak visait l’hommage appuyé au jeu vidéo éponyme à travers un clin d’œil gros à s’en péter les maxillaires, mais le spectateur avait moins l’impression d’avoir un joystick dans les mains que de regarder quelqu’un qui a un joystick dans les mains. Ce qui nous amène logiquement à déceler enfin cette source de familiarité que l’on recherchait, à savoir non pas le cinéma mais le jeu vidéo. Soit un territoire sans cesse convoité par le 7ème Art pour des résultats plus que contrastés. Le bug est toujours le même : tenter de connecter deux langages qui n’ont pas la même logique narrative, c’est un peu comme escalader une clôture électrique où la quantité très faible de volts grimpe aléatoirement vers un nombre avec quatre zéros derrière. On vous passe la liste des désastres qui en ont découlé, histoire de se concentrer avant tout sur Hardcore Henry, sans doute l’une des premières hybridations dignes de ce nom entre les deux médiums.

Avouons-le, la bande-annonce du film est clairement de celles qui ont le chic pour nous faire tomber la mâchoire par terre, un peu à la manière du loup de Tex Avery face à une pin-up volcanique. Or, l’origine du film est à chercher du côté du clip de la chanson Bad Motherfucker du groupe Biting Elbows, que le jeune réalisateur russe Ilya Naishuller – également membre du groupe – aura réalisé en 2013. Le concept ? Fastoche : une suite de plans-séquences en vue subjective, épousant le point de vue d’un homme traqué à travers la ville par une centaine d’hommes armés jusqu’aux dents. Un pur réservoir d’ultra-violence jouissive et décomplexée, riche d’une exploitation ludique de chaque élément du décor et d’une foule de digressions spectaculaires qui renvoyaient instantanément les Yamakasi à leur cours de gym. C’est avec le soutien d’un autre réalisateur russe totalement cinglé, à savoir Timur Bekmambetov (grand spécialiste du portnawak sous vodka, de Nightwatch à Wanted), qu’il pourra enfin élargir le concept au travers d’un vrai long-métrage. Pour autant, le film n’est en rien la version longue d’une bande démo tenant intégralement sur un énième effet de style, et exploite au maximum son concept de base pour bâtir une vraie progression narrative.

Récemment exploité de manière virtuose dans le remake de Maniac, le concept de vue subjective présente ici quelque chose d’inédit : donner au protagoniste – joué par le réalisateur lui-même – les pleins pouvoirs pour devenir un avatar du spectateur, avec la courte focale comme réverbération de notre champ de vision et l’écran de cinéma pour une fois assimilé à un capteur Kinect. Comprenons par là que le film réussit à anticiper nos réactions à chaque fois qu’un micro-événement se produit, comme si le fait de regarder le film nous donnait l’impression de piloter la caméra à l’intérieur du film. Qu’il s’agisse d’escalader une corde pour rattraper un hélicoptère, de filer un coup de boule à un ripou furieux d’avoir été dérangé, de descendre un conduit d’aération pour éviter une rafale d’AK-47 ou de choisir qui cogner en premier parmi la centaine d’adversaires en face de soi, Hardcore Henry nous largue à l’aveugle dans une situation où la rapidité d’anticipation est de rigueur quand elle n’est pas contrariée par l’urgence d’improvisation. Ce que vit le personnage est exactement ce que nous vivons face à l’écran, le tout à travers une série de plans-séquences remarquablement agencés où chaque coupe surgit dès que l’œil du personnage – donc le nôtre – passe d’une perception à l’autre.

Par ailleurs, l’idée de l’avatar n’est pas uniquement exploitée qu’à des fins interactives. Elle l’est aussi au travers d’un personnage-clé joué par Sharlto Copley (District 9), ici dans le rôle génialement fendard d’un scientifique qui apparait sous la forme de différents avatars pour épauler Henry tout au long de sa fuite. Idée géniale qui, en plus de relier l’interactivité du joueur à une sorte de « vie par procuration » où tout deviendrait possible (ce qui reste le fondement immuable de toute expérience vidéoludique), vise surtout à contrer le moindre game over par le come-back du personnage dans un corps à la fois similaire et customisé (soldat, clochard, danseur, punk, tueur en série, etc…). Même Henry lui-même n’échappe pas à ce principe : dès le début du film, la phase de réveil (un corps décharné en pleine réparation) est immédiatement suivie de la phase d’éveil (choisir sa voix, tester sa motricité comme dans un tutorial, etc…), heureusement assez courte pour que l’intrigue appuie enfin sur le bouton Start. Quant aux décors visités (un chantier d’immeuble, un bordel dédaléen sous terre, une longue route de campagne, etc…), ils reflètent des environnements dont la structure générale impose à elle seule un type spécifique de gameplay (soit on s’infiltre, soit on fonce dans le tas, soit on shoote à l’arme lourde depuis un véhicule en mouvement). Ou comment raccorder les codes interactifs du jeu vidéo aux règles de découpage propres au 7ème Art, sans que les uns ne souffrent de la spécificité des autres.

Pour autant, Ilya Naishuller ne fait pas mystère de son intention de transformer Hardcore Henry en rollercoaster total, du genre à nous saucissonner les globes oculaires à répétition. Sa passion évidente pour les FPS (ou « jeu de tir à la première personne ») se décline ici dans un amas de références habilement noyées dans la masse narrative. On peut citer aussi bien une avalanche de scènes d’action méga-violentes qui évoquent chacune un jeu célèbre (de Medal of Honor à Call of Duty en passant par Half-Life et Counter Strike, tout y passe !), mais aussi de très amusants gimmicks dans le design général du film, tel un look de bad guy calqué sur le Dante de Devil May Cry ou des sous-titres qui se superposent lorsque le dialogue devient inaudible. Le réalisateur ne se freine jamais dans ses audaces, quitte à congeler certains éléments de l’intrigue (d’où viennent les pouvoirs télékinésiques du méchant ?) ou à abuser des effets les plus incongrus pour faire évoluer l’intrigue (usage rigolo du split-screen lorsque le héros perd l’un de ses yeux !). Une folie constante qui nous met à genoux, et ce jusqu’au carnage final, monument de sadisme orgiaque à la MadWorld qui passe en revue les mille et une façons de zigouiller son prochain. Certes, qui dit « action en vue subjective » annonce forcément « shaky-cam à gogo », ce qui n’est pas toujours très agréable. Pour autant, cette énergie brute est en raccord absolu avec le but du film : nous épuiser. Du début à la fin, défoncer tout sur son passage sera restée la règle souveraine de cet ovni complètement fou.

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