Dark Star

REALISATION : John Carpenter
PRODUCTION : Jack H. Harris Enterprises
AVEC : Brian Narelle, Cal Kuniholm, Dre Pahich, Dan O’Bannon, Nick Castle
SCENARIO : John Carpenter, Dan O’Bannon
PHOTOGRAPHIE : Douglas Knapp
MONTAGE : Dan O’Bannon
BANDE ORIGINALE : John Carpenter
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie, Fantastique, Science-fiction
DATE DE SORTIE : Avril 1974 aux USA, 9 juillet 1980 en France
DUREE : 1h23 (version cinéma) – 1h11 (version director’s cut)
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Le Dark Star est un vaisseau spatial dont les membres d’équipage ont pour mission de détruire des planètes lointaines instables dont l’orbite risque de dévier vers leur étoile et déclencher des supernovae. Exerçant cette activité depuis vingt ans, l’équipage a basculé lentement dans l’ennui. Une avarie se produit alors…

Il fut une époque pas si lointaine où les salles de cinéma offraient à leurs spectateurs l’occasion de découvrir des films fabriqués pour quasiment moins cher que le prix du ticket. On exagère, bien sûr, mais c’est un peu l’impression qu’ont pu laisser un grand nombre de péloches fauchées, genre Inseminoid, Plan 9 from outer space ou même le Bad Taste de Peter Jackson. Facile à classer dans cette catégorie en raison de son budget lilliputien et de ses moyens techniques plus que limités, le cas Dark Star s’avère pourtant un peu plus délicat à appréhender. Citons les deux raisons principales : d’abord, le film est loin de friser la série Z mal branlée et fait même preuve d’un certain sens de la débrouille, mais surtout, il rappelle que de grands cinéastes ont parfois débuté leur carrière en souffrant comme des malades sur un petit projet animé autant par la déconne que par la camaraderie. Tout commença dans les années 70, là où de nombreux jeunes postulants à l’Université de Californie du Sud, qu’ils soient naïfs ou idéalistes, se montraient désireux de faire leur premier film par tous les moyens possibles. Et peu après qu’un certain George Lucas se soit lancé dans un court-métrage qui allait servir de charpente au visionnaire THX 1138, deux jeunes inconnus, à la fois très enthousiastes, très chevelus et très barbus, débutaient l’écriture d’un film de fin d’études conçu comme un space-opera déjanté. A l’arrivée, le court-métrage envisagé sera devenu un vrai long-métrage, entièrement conçu par ces deux artistes en herbe : d’un côté, le réalisateur-producteur-scénariste-compositeur John Carpenter, et de l’autre, le monteur-acteur-créateur des effets spéciaux Dan O’Bannon (alias le futur scénariste d’Alien). Une double naissance qui pousse d’emblée à s’intéresser à cette pépite rare, aujourd’hui disponible et remasterisée en Blu-Ray par le génial éditeur Carlotta.

Nous voilà donc en plein futur, dans l’espace intersidéral, à suivre la curieuse odyssée du vaisseau spatial Dark Star. Composé de quatre membres humains (les deux autres « locataires » étant un robot doté d’intelligence artificielle et un alien de compagnie), l’astronef dérive dans l’espace à la recherche de nouveaux territoires à conquérir et de planètes oubliées à détruire. Une mission de routine qui se déroule comme une boucle ininterrompue, avec parfois quelques messages en provenance de la Terre qui insistent sur la nécessité de poursuivre leur travail au détriment de tout le reste. Bref, les jours se suivent et se ressemblent pour ces pauvres astronautes solitaires et très éloignés de leur foyer. Et à l’intérieur, ce n’est franchement pas la joie : serrés à l’étroit dans un petit cockpit bourré de panneaux métalliques avec plein de petits boutons lumineux dessus, les membres de l’équipage surveillent les appareils de bord tout en roulant leur spleen, réparent les dégâts lorsqu’il y en a, tiennent leur propre journal intime sur moniteur vidéo, jouent à des jeux durant leurs rares périodes de pause et se disputent parfois pour des âneries. Pour ne rien arranger, on constate même que la technologie est loin d’être au point : en effet, les instruments du vaisseau tombent très souvent en panne, y compris ceux qui servent à maintenir le corps du commandant (mourant) en cryogénisation, et que les bombes parlantes (non, ceci n’est pas une erreur de frappe…) ont tendance à jouer les têtes de mule quand on leur demande d’exploser avant l’heure initialement prévue !

On s’en doute bien, cette folle histoire de l’espace ne sera pas empreinte d’une tonalité dépressive, mais d’un authentique humour de potache. Mais autant l’avouer, on sera pris d’emblée d’un gros doute en redécouvrant aujourd’hui ce premier film de John Carpenter : l’humour provient-il du contenu parodique d’un scénario qui tend à démythifier les voyages intersidéraux ou du look bricolé d’un long-métrage fabriqué avec des bouts de ficelles ? Un peu des deux, à vrai dire. Si le film se révèle gavé de clins d’œil, l’influence de Kubrick période Docteur Folamour et 2001 se fait clairement ressentir au détour de plusieurs scènes, la plus évocatrice étant celle où un robot-bombe récalcitrant, interrogé par l’un des astronautes sur le sens de son existence (bon, la réflexion métaphysique n’ira pas non plus très loin…), se met à citer Descartes alors que son compte à rebours menace de faire exploser tout le vaisseau ! Même chose lorsqu’un membre de l’équipage, coincé dans un ascenseur, tape sur un bouton d’appel à l’aide et se retrouve avec du Gioacchino Rossini en fond sonore, ou lorsque le commandant de bord, bien que congelé, évoque le souvenir de l’équipe de base-ball de Brooklyn en pleine situation d’urgence.

Ce vaste théâtre de l’absurde tend parfois à évoquer les œuvres d’Ionesco ou de Beckett (on pense parfois à un dérivé spatial du célèbre En attendant Godot), mais comme on l’évoquait plus haut, le décalage qui le parcourt du début à la fin impose un double niveau de lecture. Il est certes permis de dénicher une dose aiguë de burlesque et de tragédie dans cette vision inédite des « héros de l’espace », ici réduits à une poignée de prolétaires à la dérive, lâchés dans le vide spatial par leurs employeurs, exposés à un matériel potentiellement dangereux et chargés de « nettoyer » l’espace en atomisant des planètes jugées « instables » (cette notion n’est ici pas très bien définie, d’ailleurs…). Mais c’est dans sa fabrication même que Dark Star expose, bien qu’involontairement, tout son cachet parodique et artisanal, lequel se révèle parfaitement adapté à la situation précaire et peu probante des protagonistes. Témoignages à l’appui, le documentaire Let there be light (présent sur le Blu-Ray) revient avec précision sur l’aventure du tournage, prévu pour une poignée de semaines et finalement étiré sur quatre années, mais aussi sur le talent de l’équipe à avoir su transcender le manque de moyens par une vraie inventivité et une admirable maîtrise du système D. Les boutons blancs et translucides du cockpit ? Rien de plus que des bacs à glaçons fixés à l’envers sur une surface éclairée à l’ampoule ! Les combinaisons spatiales ? Juste du matériel d’isolation sur lequel ont été scotchés des moules à muffins en aluminium ! Et ne parlons pas de l’alien domestique, sorte de ballon de baudruche sur pattes dont le bruit ne cesse de varier (« bip-bip » d’ordinateur, « cui-cui » de moineau, « glou-glou » de noyade, grincement d’une porte, etc…) et qui fait des loopings dans les airs dès qu’on le dégonfle en lui tirant dessus.

Ce vaste bric-à-brac conceptuel a beau faire passer le film pour une série Z tournée entre potes pour le prix d’un paquet de chewing-gums (lesquels, une fois mâchés, auraient servi à colmater les trous de la production), il ne fait au final que sublimer à plus d’un titre le statut d’aventure totale qu’aura constitué Dark Star, aussi bien devant que derrière la caméra : celle d’une équipe (plus ou moins) soudée qui aura su transcender les galères une par une avec la débrouille d’un MacGyver et l’humour le plus farceur comme bouées de sauvetage. Il n’empêche que l’on se refusera à ne voir dans le film qu’un exemple très abouti de débrouillardise et de camaraderie, pour la simple raison que la mise en scène de Carpenter, pourtant encore embryonnaire par rapport à ce dont il sera capable dès son film suivant (le mythique Assaut), faisait déjà une jolie impression. La scène centrale de la cage d’ascenseur, conçue à l’origine pour rallonger le film jusqu’à ce que celui-ci atteigne la durée d’un long-métrage, révèle déjà une certaine maîtrise du suspense (avouons que le burlesque de la séquence participe aussi à la tension), le tout avec une vraie économie de moyens, un découpage extrêmement précis et une musique synthétique très sympa que l’on doit au cinéaste lui-même. En cela, Dark Star peut être considéré comme le pendant spatial d’Evil Dead : un gros délire bricolé de A à Z qui fonctionne à différents degrés, mais toujours à travers une mise en scène qui sait autant révéler un talent certain que faire passer quelques défauts de fabrication pour des détails sans importance. En soi, ce n’est vraiment pas rien.

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