Batman VS Robin

REALISATION : Jay Oliva
PRODUCTION : DC Comics , Warner Bros. Animation
AVEC : Jason O’Mara , Stuart Allan, Jeremy Sisto, Sean Maher, David McCallum
SCENARIO : J.M. DeMatteis>
MONTAGE : Christopher D. Lozinski
BANDE ORIGINALE : Frederik Wiedmann
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE / MEDIUM : Action, Animation
DATE DE SORTIE : 22 avril 2015
DUREE : 1h20
BANDE-ANNONCE

Synopsis : L’ombre des buildings de Gotham City n’est pas l’endroit idéal pour un enfant, mais Damian Wayne est tout sauf un enfant ordinaire. C’est sous les traits d’un Robin tenace et téméraire qu’il suit désormais les traces de son célèbre père, Batman. Alors qu’il examine une scène de crime, Robin fait la connaissance d’un personnage mystérieux, Talon, qui l’entraîne dans une course qui pourrait bien changer sa vie, dans les profondeurs de la société secrète de Gotham, La Cour des Hiboux. Commence alors une dangereuse aventure au cours de laquelle Batman et Robin vont devoir affronter leurs pires ennemis : eux-mêmes !

Avec Le Trône De L’Atlantide, l’univers des dessins animés DC touchait le fond. En effet, il subissait là de plein fouet les conséquences de sa nouvelle politique. Le film d’Ethan Spaulding synthétisait toutes les catastrophes que pouvait engendrer la mise en place d’une continuité unique. Entre une narration éparpillée et un déplorable formatage de la réalisation, il prouvait tout le mal que le studio se fait à vouloir uniformiser sa production. La rancœur est d’autant plus grande que cette orientation gâchait un matériel de base des plus passionnants. Naturellement, il y a ainsi des réserves à avoir lorsque se dévoile Batman Vs Robin. Le long-métrage de Jay Oliva fait suite à Son Of Batman et entend poursuivre la relation entre Bruce Wayne et son fils Damian. Ce seul point suffit déjà à accueillir le projet avec des craintes tant Son Of Batman peinait à convaincre. Bien que baignant dans une étonnante ambiance dérangée et cruelle, le cœur de son récit laissait froid. Les rapports entre Batman et son rejeton restaient à un niveau superficiel et il était fort probable que Batman Vs Robin suive le même schéma. Toutefois, le plus inquiétant provient du choix du comic adapté. Au lieu de prolonger l’aventure avec une histoire inédite, l’équipe aura décidé de s’inspirer de La Cour Des Hiboux de Scott Snyder et Greg Capullo. Il avait été douloureux de voir la sympathique bande dessinée de Geoff Johns et Ivan Reis maltraitée par son adaptation cinématographique. Faire subir un sort similaire à l’excellent travail de Snyder et Capullo serait juste impardonnable. Il est heureux que cette légitime suspicion soit balayée par le produit terminé. Comme une réponse au Trône De L’Atlantide, Batman Vs Robin démontre que l’installation d’une continuité unique n’a rien d’une fatalité. Pour peu de savoir faire la part des choses, il est encore possible d’offrir un spectacle de qualité.

En 2011, Scott Snyder prend en main l’écriture des aventures du dark knight. La question qui s’impose est des plus simples : comment aborder cette figure ? Il serait fort aisé de remettre les compteurs à zéro et d’offrir ce que l’on juge sa version idéale. Sauf qu’après plusieurs décennies d’itérations, le risque est grand de tomber dans la redite et les comparaisons désavantageuses. L’humilité de Snyder le prémunit d’une telle approche. Il paraît inconcevable pour le scénariste de bousculer sans vergogne le travail accomplit par ses prédécesseurs. Snyder ne va pas chercher à dynamiter les fondations du personnage pour partir sur de nouvelles bases. Il propose plutôt un éclairage différent sur la structure existante et veut dévoiler une part insoupçonnée de ses richesses architecturales. Si on se permet cette analogie avec les travaux du bâtiment, c’est précisément parce que la ville de Gotham sera au centre de l’entreprise. Dites Metropolis, on vous répondra Superman. Dites Central City, on vous répondra Flash. Dites Gotham, on vous répondra bien sûr Batman. Ce rattachement entre le super-héros et son domaine d’exercice est très courant. Snyder est loin d’être le premier à vouloir se pencher sur cette quasi-fusion. Cela fait très longtemps qu’il est coutume d’assimiler la ville d’occupation d’un super-héros en un personnage à part entière. La symbiose est parfois inégale mais jamais désavouée. Néanmoins, la réapparition de la cour des hiboux va la remettre en cause.

La cour des hiboux est attachée au passé ancestral de Gotham, bien avant que la naissance du caped crusader. Société secrète composée de l’élite de la cité, elle compte la diriger dans l’ombre. Pour la plupart des habitants, cela n’est rien de plus qu’une légende urbaine. Elle fait en outre l’objet d’une comptine pour enfants : « gare à la cour des hiboux qui d’en haut scrute Gotham / gare au tribunal des chouettes qui sait tous de nos âmes car par-delà les murs, il entend chaque mot / gare à son émissaire dont le nom est l’Ergot« .
À l’instar d’un Batman qui est devenu un symbole au fil des années, la cour des hiboux est bien réelle derrière le folklore. Cette réalité au-delà du mythe conduit à considérer la place de Batman au sein de Gotham. Nightwing le lui dira : « Gotham, c’est la ville de Batman… mais c’est aussi une dame âgée de quatre cent ans. Avant de te connaître, elle a peut-être eu d’autres enfants chéris…« . La ville réclame des entités aptes à la faire grandir et les accueille en son sein (la cour dispose de salles secrètes dans toute la ville jusque dans la tour Wayne). Pendant que Batman neutralise la vermine et Bruce Wayne participe à la rénovation de Gotham, la cour des hiboux souhaite également lui donner toute sa splendeur. Ce sont les méthodes qui divergent. Meurtre et corruption sont des outils que la cour ne rechigne pas à employer pour éradiquer ce qui ne concorde pas avec sa vision. L’opposition tend évidemment à mettre en lumière la mince frontière morale sur laquelle se déplace Batman.

Cependant, cet angle exclusif ferait de la cour des hiboux un ersatz de Ra’s Al Ghul et sa ligue des assassins. Contrairement à ces derniers travaillant sur des plans d’envergure mondiale, la limitation de l’action à Gotham donne une puissance spécifique à la confrontation. Elle entraîne à percevoir un autre sens à ce que Batman offre à Gotham et ce que la ville lui rend en échange. Tout à la fois personnage et enjeu, la ville donne une intimité à l’antagonisme qui est apte à révéler des failles émotionnelles. Snyder amplifie la problématique en liant le passé de la cour avec l’histoire de la famille Wayne. L’auteur amène de potentielles révélations qui perturberaient l’image que Bruce se ferait de ses parents. Potentielles car comme dit plus haut, Snyder n’a pas à cœur de contredire les travaux antérieurs sur le personnage. Faute de preuve, les affirmations formulées ne pourront être ni infirmées ni confirmées. C’est après tout la force des légendes : l’impossibilité d’en percer le mystère et d’en connaître la vérité. Plus qu’une commodité narrative, le choix de Batman à refouler ces interrogations à ce sujet sera une manière d’en dire long sur sa mentalité. Mais le lecteur approuvera son choix. Car a-t-on vraiment envie de savoir que le meurtre des parents de Bruce cachait une conspiration derrière ? La gratuité de leur mort est pratiquement aussi importante que leur mort elle-même dans la fondation du héros. La rationnaliser, c’est affaiblir la portée de ce trauma originel. Les doutes resteront toujours plus forts que les explications.

Voir cette formidable matière juste servir pour une suite à Son Of Batman n’était pas une perspective enchantante. On pouvait supposer que les rapports entre Batman et Gotham disparaîtraient au profit de la relation avec Robin. Ce qui conduirait précisément à la catastrophe de transformer la cour des hiboux en un substitut de la ligue des assassins. Elle servirait avant tout de tentation à Damian qui trouverait ici l’opportunité de s’affranchir des préceptes de son paternel et d’expier le crime par la si savoureuse violence. Le producteur James Tucker laissait clairement entendre cette direction dans la featurette de présentation, considérant la cour des hiboux comme une évolution logique pour Damian. Toutes ces inquiétudes, le résultat final va les balayer. Prenant parfaitement conscience des impératifs de son histoire, Batman Vs Robin adapte avec intelligence le comic et l’intègre à merveille dans l’univers créé. Le réalisateur Jay Oliva et son équipe démontreront ainsi leur compréhension du matériau de base et ce qu’ils peuvent en retenir pour leurs propres enjeux. Ils savent comment agencer les multiples composantes et cimenter le tout par de nécessaires ajouts.

Batman Vs Robin s’ouvre sur une séquence complètement inventée s’inscrivant sans mal parmi les plus glauques de l’univers DC. Les deux héros enquêtent sur le Taxidermiste. Ce dernier a kidnappé plusieurs enfants pour les transformer en véritables petits zombies armés. Ses actes innommables, le taxidermiste cherchera à les justifier auprès de Damian. Il invoque son devoir de procurer aux enfants les moyens de se défendre envers les dangers de ce monde. Face à de telles excuses, Damian doit se contenir pour ne pas l’envoyer ad patres et respecter les enseignements de son paternel (« la justice et non la vengeance« ). Le tuer serait se rabaisser évidemment à son niveau (commettre des abominations sous couvert de rendre le monde meilleur). C’est précisément ce que fera l’Ergot envoyé par la cour des hiboux. Devant l’hésitation de Robin, il voit en lui un potentiel successeur. Damian est prêt à se laisser séduire par la proposition, d’autant plus au regard de la collaboration compliquée avec son père. Absent des événements, Batman lui imputera le meurtre du taxidermiste. Il verra dans cet acte la preuve qu’il ne peut pas faire confiance à cet enfant élevé selon les préceptes de Ra’s Al Ghul depuis son plus jeune âge. Usant sciemment d’une violence frontale, cette introduction instaure d’office toute la dynamique animant les personnages.

Le reste du film demeurera sur cette même ligne directrice en les définissant par l’action. Par exemple, l’entraînement au combat entre Dick Grayson et Damian Wayne leur permet de confronter leurs perceptions de leur mentor commun. Une préparation à l’affrontement vendu par le titre qui résumera son issue par un pur symbole visuel (une statue représentant une famille dont le père sera détruit lors de la bagarre). Au rythme rabougri du Trône De L’Atlantide, Batman Vs Robin répond donc par une formidable efficacité. Là où Le Trône De L’Atlantide se dispersait, Batman Vs Robin sait lui se recentrer. Il tisse constamment son récit autour des liens unissant parents et enfants (naturels ou d’adoption). Le scénario confère au thème une ampleur dramaturgique en ajoutant le rapport entre l’Ergot et la cour au triangle Batman/Robin/Ergot. La vivacité d’esprit de cette structure permet en conséquence de ne pas perdre de vue les autres aspects de l’histoire. Tout en se concentrant sur ce point, le long-métrage n’oubliera pas pour autant de rappeler l’enjeu que constitue Gotham et de maintenir toute l’aura de conte macabre inhérente à la cour des hiboux.

La refonde de l’intrigue fait preuve de pertinence. Reprenant des passages marquants du comic pour nourrir son spectacle (le climax où Batman, dans un mecha, affronte des dizaines d’assaillants), elle en inclue d’autres avec une certaine subtilité. C’est le cas de l’intégration du flashback où Bruce mène sa première enquête. Incapable d’accepter la mort de ses parents, il cherche une raison à cette tragédie et veut croire en l’implication de la cour des hiboux dans l’affaire. Son investigation le conduira à la conclusion que la cour n’est effectivement qu’une légende. Apparemment dispensable dans le cadre de l’adaptation, l’incorporation de cette séquence ajoute pourtant un poids non négligeable à la relation entre le père et son fils. Voir un Bruce juvénile et inexpérimenté (en l’occurrence il se trompe lourdement sur l’existence de la cour) le rapproche de Damian et du déchirement éthique dont il souffre. Sans le dire explicitement car Bruce ne peut se l’avouer, le parallèle établit leur similarité. Le film démêlera ce lien entre Bruce et son rejeton en réinventant un autre grand moment du comic : l’épreuve du labyrinthe où le héros isolé et drogué fait face à ses démons intérieurs.

En dépit de quelques cafouillages (la victoire de Batman sur le labyrinthe se concentre tellement sur l’optique spirituelle qu’elle omet d’évoquer la libération physique du personnage), tout ceci rend Batman Vs Robin beaucoup plus dense et intense que Son Of Batman. Refusant la facilité, il traite avec honnêteté ses personnages et leur donne toutes les nuances qu’ils méritent (l’attendu happy end est finalement refoulé). Batman Vs Robin ne fait pas partie des réussites majeures du DC Universe Dessin Animé Original mais sa réussite redonne foi dans cette branche de production. Il faut espérer que ce regain d’inspiration ne sera pas éphémère, surtout lorsqu’un de leurs futurs projets consistera en une adaptation de The Killing Joke d’Alan Moore et Brian Bolland.

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