[Annecy 2019] Wonderland, Le Royaume sans pluie

Wonderland, Le Royaume sans pluie, ou Birthday Wonderland selon le titre japonais, nous renvoie à la grande tradition des voyages initiatiques, d’Alice au Pays des Merveilles au fabuleux Magicien d’Oz. Son réalisateur, Keiichi Hara, a donc dû se confronter à un challenge de taille : rompre avec le fantastique, c’est-à-dire l’incursion du surnaturel dans le quotidien (Un Eté avec Coo, Colorful) et explorer un univers de fantasy. Challenge réussi ?

Féérie du quotidien

Au début du film, nous découvrons les querelles de lycée qui secouent l’héroïne, ce passage est malheureusement assez confus et ne permet pas de saisir avec limpidité les enjeux du scénario. Quels sont les conflits intérieurs qui déchirent Akane, pourquoi fuit-elle les cours en se faisant porter pâle ? En échangeant avec d’autres festivaliers à Annecy, il semblerait que cette partie ait semblé obscure à beaucoup de spectateurs. En revanche, la deuxième saynète – celle où l’on retrouve le plus le « style Keiichi Hara » – nous immerge dans la vie domestique de la jeune fille et sa mère. Ces quelques minutes s’avèrent à la fois intéressantes sur le plan thématique et sur le plan formel puisqu’elles préfigurent le voyage à venir. Akane est réveillée par son chat facétieux et réagit impulsivement en lui tirant la queue et en le repoussant violemment ; elle éclate alors de rire face à la stupéfaction du chat. On devine que son épopée lui apprendra le respect des animaux et la départira de sa cruauté adolescente. Plus tard, la jeune fille enviera le quotidien de sa mère, pourtant très anecdotique puisque rythmé par la cuisine, le jardinage ou la couture. Or, c’est bien comme une passerelle vers l’autre monde que Keiichi Hara a conçu cette scène, comme il nous le dévoilait en entretien le 14/06 à Annecy. Par sa direction artistique, la scène se veut même assez féérique, moment suspendu dans le temps où Akane observe son aînée faire de la balançoire. Pourtant adulte, cette dernière paraît plus enfantine que sa fille, elle respire la spontanéité et l’innocence et, ainsi portée par un souffle léger, elle parvient à nous envoûter totalement. Pari réussi ici puisque Keiichi Hara la concevait comme mystérieuse et charmante ; ce personnage semble d’ailleurs le passionner puisque c’est à son sujet qu’il s’est montré le plus prolixe en interview, il avoue lui-même se sentir plus à l’aise pour évoquer le quotidien et on lui donnera raison puisque l’épopée qui suivra nous convaincra bien moins.

Une épopée décevante

Le point de départ de l’épopée n’est pas inintéressant : dans la boutique de la tante d’Akane, on découvre un étrange bric-à-brac qui témoigne de ses multiples voyages. Si elle a l’âme d’une aventurière, Akane se montre quant à elle plus craintive, elle ne se lancerait pas dans l’aventure sans y être poussée par le personnage de l’alchimiste et sa tante excentrique. On aurait donc aimé la voir évoluer, devenir plus intrépide et surtout plus indépendante. Malheureusement, nous ne pourrons que rarement l’observer seule (voire jamais ?) et ses actions seront toujours étroitement liées à celles de son équipée et pour une déesse, c’est assez surprenant. Au cours de son voyage, elle découvre des espaces distincts tranchés par des univers colorimétriques différents, c’est tantôt le rose qui domine, tantôt le orange puis le bleu. Point d’union de ces différentes étapes : tout est irradiant de couleur et permet l’émerveillement des héroïnes. Obstacle à notre propre émerveillement : l’humour omniprésent qui vient étouffer les rares scènes contemplatives qui nécessitaient plus de temps pour s’épanouir. Autre lacune et pas des moindres : le principal antagoniste de l’histoire dont l’évolution est traitée de manière lapidaire, son « origin story » est si accélérée qu’on ne peut ressentir de véritable empathie à son égard et son évolution est encore plus rapide si bien que le dénouement de son histoire est peu crédible. C’est pourtant sur ces points que l’on attendait le film puisque la bande-annonce nous préparait à affronter un récit épique dans un univers haut en couleur. Mieux préparé, le spectateur aurait alors joui d’une explosion émotionnelle lors du dénouement d’ailleurs très bien réalisé.

De jolies idées esquissées…

Sans nous dévoiler les scènes qu’il a dû sacrifier, Keiichi Hara nous a tout de même appris qu’il avait pensé son film plus long mais que la production craignait qu’un film qui dépasse les 2h ne rebute le grand public. Pourtant, de jolies idées auraient mérité d’être plus développées, par exemple comment le voyage initiatique a pu métamorphoser Akane. Des indices nous permettent de le deviner, notamment le regard mi-admiratif mi-envieux qu’elle porte sur sa mère, laissant penser qu’elle lui ressemblera davantage : c’est-à-dire plus soucieuse de son environnement qu’elle ne l’était avant son aventure et profitant mieux des plaisirs simples de l’existence. Le réalisateur suppose même qu’elle se passionnera pour les arts créatifs, notamment la peinture, mais ce sont des pistes qu’il décide de laisser ouvertes. Hélas, l’héroïne est trop peu caractérisée pour que nous fassions nous-mêmes ces spéculations, en effet, on ne nous dévoile jamais vraiment ses rêves et espoirs, on n’approfondit pas non plus les méandres de sa psychologie puisqu’elle est souvent éclipsée par sa tante et l’alchimiste.

Film de commande, Wonderland n’est pourtant pas désavoué par son réalisateur, loin de là. Keiichi Hara sait s’affirmer et refuser les propositions qui lui paraissent les plus aberrantes. Cependant, on devine que les rapports avec les producteurs reposaient sur un équilibre fragile et que ce contexte n’a pas permis d’en tirer le meilleur développement. On s’étonne tout de même qu’il ait accepté un tel projet, n’ayant pas du tout apprécié l’œuvre originelle. Les moments steampunk qu’il a jugés nécessaires à l’univers visuel du film ne font d’ailleurs pas partie des univers qui lui sont familiers, ils sont donc purement fonctionnels. Difficile de faire œuvre moins personnelle que Wonderland, le Royaume sans pluie et c’est peut-être ce qui a manqué à ce film. On se rappelle que le magnifique Miss Hokusai était au contraire un projet qui lui tenait profondément à cœur et dont il adorait le manga d’origine, on espère donc qu’il trouvera prochainement une histoire qui lui parle intimement car Keiichi Hara est un grand, ne laissons pas ce film de divertissement l’occulter.

>>À lire aussi : notre entretien avec Keiichi Hara, en collaboration avec Anima<<


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