Alita : Battle Angel

REALISATION : Robert Rodriguez
PRODUCTION : Twentieth Century Fox, Lightstorm Entertainment, Troublemaker Studios
AVEC : Rosa Salazar, Christoph Waltz, Keean Johnson, Jennifer Connelly
SCENARIO : James Cameron, Laeta Kalogridis
PHOTOGRAPHIE : Bill Pope
MONTAGE : Steven E. Rivkin,Ian Silverstein
BANDE ORIGINALE : Junkie XL
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Science-fiction
DATE DE SORTIE : 13 février 2019
DUREE : 2h02
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Lorsqu’Alita se réveille sans aucun souvenir de qui elle est, dans un futur qu’elle ne reconnaît pas, elle est accueillie par Ido, un médecin qui comprend que derrière ce corps de cyborg abandonné, se cache une jeune femme au passé extraordinaire. Ce n’est que lorsque les forces dangereuses et corrompues qui gèrent la ville d’Iron City se lancent à sa poursuite qu’Alita découvre la clé de son passé – elle a des capacités de combat uniques, que ceux qui détiennent le pouvoir veulent absolument maîtriser. Si elle réussit à leur échapper, elle pourrait sauver ses amis, sa famille, et le monde qu’elle a appris à aimer.

L’adaptation du manga culte de Yukito Kishiro marque la collaboration entre James Cameron et Robert Rodriguez. Un mariage improbable pour un résultat imparfait mais qui a de quoi galvaniser.

N’importe qui ayant lu le manga Gunnm peut aisément comprendre pourquoi James Cameron a voulu le porter à l’écran. Réfléchissant perpétuellement aux nouvelles manières d’explorer le média cinématographique, l’œuvre de Yukito Kishiro lui offre une base de travail parfaite pour la performance capture. Ce récit cyberpunk est peuplé d’une multitude de visions biomécaniques où l’on ne sait plus où commence l’humain et où commence la machine. Quelle méthode moderne pourrait mieux illustrer cette confusion de l’homme et de l’artificiel que la performance capture ? Nul doute néanmoins que Cameron ne se serait pas laissé séduire si le manga n’avait que ça à proposer. Au cœur de son histoire, il y a une femme forte telle qu’en raffole le réalisateur de Terminator. Derrière son allure de poupée castagneuse, Gally (ou donc Alita chez les anglo-saxons) s’avère une héroïne complexe toujours rattrapée par le conflit de l’esprit et de la matière mais affirmant constamment sa ténacité à le surpasser et à se trouver elle-même. Le personnage est si accrocheur et charismatique que Cameron n’aura pas pu s’empêcher d’en délivrer une version officieuse avec sa série Dark Angel.

Au-delà de vivre dans un univers post-apocalyptique, l’héroïne Max présente son lot de point commun avec Alita. Génétiquement conçue sur-mesure par l’armée, Max est prédestinée à être une soldate d’élite. Aspirant à une autre vie, elle s’enfuira mais ne pourra toutefois pas échapper aux fonctionnalités de son corps et à ce que celui-ci lui dicte d’être. À l’instar d’Alita, elle se cherche et côtoie une large galerie de personnages dont les propres préoccupations la renvoient à ses choix (notamment Logan cloué dans un fauteuil roulant au début de la série). Après ce convaincant galop d’essai, il y avait tout lieu de jubiler quant à la concrétisation d’une adaptation officielle qui donnerait enfin toute sa superbe aux thématiques du manga. Mais l’annonce vira au scepticisme lorsque Cameron confia la réalisation à Robert Rodriguez. Que Cameron ne puisse se charger en personne du projet n’avait rien de surprenant. Sa grande entreprise Avatar l’accapare tellement qu’il ne peut même pas bloquer 28 heures dans son agenda pour valider les transferts blu-ray de True Lies et Abyss. En revanche, c’est une autre paire de manche que de refiler le bébé à un réalisateur oscillant entre l’incompétence et le je-m’en-foutisme. On voyait se profiler le constat d’un Rodriguez salopant le merveilleux matériel que Cameron lui a mis dans les mains. Comme toujours, la réalité est plus nuancée que ce bête apriori.

Si on doit admettre d’emblée qu’Alita : Battle Angel est un film imparfait, il n’y a pas lieu de conspuer l’affreux Robert face à Saint Iron Jim. Contre toute attente, les défauts s’attribuent des deux côtés. Si Dark Angel pouvait voir son propos formaté en série pour adolescents, il était possible d’arguer que James Cameron l’avait plus supervisée qu’authentiquement écrite et que la production devait se conformer à une économie télévisuelle. Autant d’arguments qu’on ne peut invoquer ici, nous laissant un peu circonspects devant certains choix d’écriture d’Alita. Réutilisant des raccourcis de l’adaptation en anime de 1993, Cameron et sa scénariste Laeta Kalogridis prennent évidemment des décisions octroyant au film une narration cinématographique. Ido revendique par exemple ouvertement son statut paternel vis-à-vis d’Alita, donnant à sa trajectoire un impact immédiat se substituant à l’attachement au long-terme. Moins qu’un surlignage, une telle option tient avant tout de la quête d’une force narrative capable de retranscrire les idées du manga. Il devient alors étrange que le parcours d’Alita fasse preuve de demi-mesure. En terme de caractérisation, tout le personnage est bien là. Amnésique, elle découvre le monde sans arrière-pensée et s’attache avec naïveté à vouloir faire le bien. Mais il y a autre chose en elle. Dès que le besoin s’en fait sentir, elle déploie instinctivement une redoutable maîtrise du combat. Ces expressions de violence sont finalement tout ce qu’il lui reste de son passé et la seule indication de la personne qu’elle a pu être. Sa puissance de guerrière implacable lui révèle une part d’elle-même qui ne coïncide pas véritablement avec la figure altruiste qu’elle entend vouloir être. On peut s’étonner qu’au bout du compte le long-métrage explore peu cette dualité. Au trouble de son héroïne, il préfère généralement son angle lumineux. Bien sûr, le scénario n’efface pas tout non plus. La galerie de protagonistes accompagnant Alita maintiennent ce désir d’ambivalence. Pareillement, certaines épreuves ne réfutent pas cette part d’ombre telle un affrontement avec Zapan amenant Alita à comprendre les obligations à respecter en suivant la voie du sang. Mais l’accent n’est pour autant jamais trop mis dessus. Peut-être dans une optique d’en garder un peu pour plus tard…

C’est la plus désagréable surprise de cette adaptation : Cameron tombe dans le piège de « la suite au prochain numéro ». Si la conclusion de ses œuvres a souvent laissé une porte ouverte, il n’a jamais commis l’erreur de mettre en suspens l’arc émotionnel de ses personnages principaux. On en dira pas tant de la résolution d’Alita, quand bien même le souci tient à peu de chose. On pourrait le circonscrire à un unique élément : la présence de Desty Nova. Comme indiqué précédemment, le script n’hésite pas à remanier la chronologie des évènements dans un but cinématographique (le plus évident est l’ajout du Motorball aux premières intrigues du manga). Cependant, l’apport de Nova telle qu’il est fait ici s’avère problématique. Le personnage jouit d’un rôle de grand méchant manipulant tout le monde du haut de Zalem… mais il n’y aura aucune confrontation directe avec lui. De ce fait, toute sa présence à l’écran tient de l’effet d’annonce et parasite en conséquence l’évolution d’Alita. Sans incarnation de Nova à l’image, que signifie son geste de provocation finale ? C’est un symbole de son refus de l’ordre établit et un rejet de l’illusoire rêve que représente Zalem. En y incorporant Nova, le geste perd cette portée abstraite et devient simplement la promesse d’une bataille à venir. Bref, cela nous détourne de ce qui devrait être l’essentiel (l’aboutissement d’un personnage qui a trouvé pourquoi lutter) au profit de la frêle excitation quant à une éventuelle suite. Il en va de même pour l’usage des flashbacks. Sur le papier, l’idée est intéressante puisque c’est par l’explosion de ses capacités meurtrières qu’Alita pourra apprendre qui elle a été par le passé. Néanmoins, là où ces passages pourraient justement laissé notre héroïne dans l’expectative quant à sa personnalité (« étais-je réellement cet être féroce plein de colère ? »), ceux-ci s’emportent trop dans leur fonction d’exposition. Et le tout n’est pas aidé par la mise en scène de Robert Rodriguez assurant mollement les transitions.

On ne peut d’ailleurs que constater de nouveau ses faiblesses de réalisateur. En dépit du plus gros budget de toute sa carrière et du profond désir d’être digne de la confiance accordée par James Cameron, Rodriguez ne peut pas non plus se réinventer intégralement. Il faut dire que son ambition de se rapprocher au plus près du style de Cameron était vouée à l’échec. La patte du cinéaste entre tradition et innovation est totalement inimitable. Personne dans le paysage cinématographique actuel ne peut reproduire la particularité de ses œuvres où la dimension épique inédite se pare d’un processus de mise en scène si méticuleux qu’il confine au naturalisme. La tâche était insurmontable et ne fait que relever le cachet bien plus basique du boulot de Rodriguez. Cela donne une envergure plus plate à l’univers, inévitablement frustrante en comparaison de la folie furieuse du manga en la matière. Certes, on peut rétorquer qu’il n’y avait pas lieu que ce soit en permanence le cas. A quoi bon coller au découpage ultra-agressif du Motorball tant l’état émotionnel d’Alita n’a strictement rien à voir avec le manga ? En ce sens, le classicisme du découpage n’a pas que des mauvais côtés. Ainsi une coupe au cours d’une scène de discussion est si précisément placée qu’il signifie parfaitement un changement d’attitude chez Chiren. Malgré cet argument, on ne peut que déplorer ce manque d’esprit de révolution trop généralisée. N’espérez pas par exemple voir dans la dernière scène entre Alita et Hugo une composition de plan trouvant un équivalent aussi emphatique et puissant à la double-page imaginée par Yukito Kishiro.

Il convient toutefois d’apporter une nuance sur ce visuel. A défaut de savoir mettre pleinement en valeur l’univers comme le mangaka, le film a su tirer partie du contenu des cases. C’est probablement pour cela que malgré toutes les anomalies énoncées, Alita : Battle Angel laisse une impression de divertissement savoureux. Si on en revient au début de la critique, la performance capture montre bien sa formidable richesse pour donner vie aux protagonistes. Logiquement, c’est tout particulièrement le cas de son personnage-titre dont la réussite se pose dès la première séquence. A partir de ce moment où elle se réveille et entre en contemplation de son corps, on ne remettra jamais en question la vie habitant le personnage. La prestation de Rosa Salazar lui injecte tout ce qu’il faut de candeur et de force de caractère. Mais à cette élaboration incroyable des corps, le long-métrage n’omet pas le soin de les démolir. Maintenir l’étincelle de vie dans des corps malmenés et reconstitués au-delà du tolérable, c’était le grand pari posé par le manga. Il fallait que l’on puisse percevoir l’humain même dans les agencements de chair et de métal les plus tortueux. Et le film ne se prive pas d’user de son impressionnant travail technologique pour concrétiser de telles visions, sans omettre leurs finalités narratives. Voir une Alita amputée de trois membres mais ayant toujours la force de vaincre son adversaire n’est-elle pas la meilleure façon de dépeindre sa combativité ? Arracher le visage d’un personnage pour révéler son comportement inhumain n’est-il pas une idée aussi choquante et dégoûtante que cohérente ? Même en tenant compte des limites de sa mise en scène, Rodriguez arrive à saisir cette fluidité de l’action et son fourmillement de détails.

Autant d’aspects qui font d’Alita : Battle Angel un spectacle enthousiasmant, divertissement n’oubliant pas d’avoir une âme derrière le déballage des effets spéciaux. Si le film n’est pas à la mesure du manga, il n’en restitue pas moins le cœur. Finalement, il n’essaie jamais que d’être lui-même dans toute son imperfection. Et ça, c’est déjà quelque chose pour un blockbuster des années 2010.

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