My Sweet Pepperland / Les manuscrits ne brûlent pas

Malaise : le nouveau film du cinéaste d’origine kurde Hiner Saleem donnait une sérieuse impression d’assurer un quota « région instable » au Certain Regard du dernier Festival de Cannes. L’alibi cinéma, c’est une tentative très hasardeuse d’exploiter les vallées enclavées de la région pour en faire un paysage de western moderne et moyen-oriental. Dans cette région rurale aux confins de la Turquie, de l’Irak et de l’Iran, un groupe de rebelles kurdes, insurgés contre le régime turc, se cache dans les montagnes et entretient une tension avec les hommes d’un seigneur mafieux de la région. Voilà que, dans le village qui sert de terrain à leurs affrontements épisodiques débarquent une belle institutrice émancipée et donc méprisée par tous (Golshifteh Farahani, unique point fort du film, qui compose également une jolie B.O.) et un ex-commandant devenu policier. On cherche longtemps le « regard » sur tout cela, avant de comprendre que Saleem ne sait pas vraiment par quel bout prendre son sujet, trop composite dès le départ. Ainsi le film hésite-t-il sans cesse entre un humour plus maladroit que noir (l’ouverture se fait sur la pendaison manquée d’un criminel), une peinture dramatique du poids des carcans sociaux et donc ce pseudo-western qui ne démarre pas trop mal puis finit par se vautrer dans des répliques d’un ridicule assez sidérant. Ce qui étonne le plus, c’est néanmoins le manque de tenue du film sur le plan strictement visuel. Les paysages à couper le souffle ne sont que trop peu exploités pour poser une véritable ambiance, et Saleem préfère souvent cadrer les personnages étouffés dans des pièces aux plafonds trop bas – signe d’un manque de marge de manoeuvre pour chacun et donc d’une condamnation au surplace ? On croit parfois à un début de bonne idée à même de créer un décalage visuel… avant de déchanter au détour d’autres plans où les déformations dues à la courte focale sont bien trop apparents pour être volontaires. Non, décidément, c’est bel et bien raté.



On était sidéré par la manière simple et frontale dont Mohammad Rasoulof montrait l’enfermement à ciel ouvert de son personnage féminin – candidate à l’expatriation – dans Au revoir (2011). Mais un nouveau pas est franchi avec Les Manuscrits ne brûlent pas, qui marquera à n’en pas douter la fin de toute possibilité pour le cinéaste de vivre dans son pays. C’est bien simple : jamais l’appareil de répression du régime actuel – finalement très proche de celui à l’oeuvre sous le Shah jusqu’en 1979 – n’avait été si littéralement évoqué au cinéma. A tel point que le film se dispense de tout générique de fin et doit se contenter d’un triste carton : « En raison de la censure en Iran et pour assurer leur sécurité, les membres de l’équipe renoncent à la mention de leurs noms ». Un seul Iranien de cité donc : celui du réalisateur. C’est là tout l’embarras. Comment ne pas porter en estime un artiste si courageux, prêt à se mettre sérieusement en danger pour dénoncer ce qui est à l’oeuvre de pernicieux et de meurtrier dans son pays ? Et en même temps, comment ne pas s’agacer du dit cinéaste qui, seul mentionné, joue également le grand manitou qui domine son petit monde et dévoile au compte-goutte les outils de compréhension de histoire, le tout avec une lenteur complaisante ? Car il faut se coltiner de nombreux passages à vide et plans-séquences à rallonge pour voir enfin le film décoller en termes d’émotion ou ne serait-ce que fournir à son spectateur un peu de matière à réflexion. Jamais Rasoulof ne parvient à tirer des déambulations de ses personnages une étrangeté intrigante et doucement ironique comme le faisait le Turc Nuri Bilge Ceylan. Les nombreuses plages vides du film ne renvoient qu’à leur mise en scène « exigeante » (comprendre austère) dont on ne peut que déplorer une fois de plus qu’elle constitue, associée à un minimum d’engagement des artistes, un ticket d’entrée trop automatique en festival.

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