Patrick Melrose (Showtime)

DIFFUSION : Showtime,
CREATION : David Nicholls,
RÉALISATION : Edward Berger,
PHOTOGRAPHIE : James Friend (BSC) ,
AVEC : Benedict Cumberbatch, Jennifer Jason Leigh, Hugo Weaving,
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Drame,
STATUT : Terminée
FORMAT : 60 minutes
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Coureur de jupons alcoolique et narcissique, Patrick Melrose est un pur produit de l’aristocratie britannique. Cet homme aux tendances schizophrènes et suicidaires a connu une enfance privilégiée mais profondément traumatisante, au sein d’une famille pour le moins dysfonctionnelle. Le décès de son père tyrannique va très vite faire remonter à la surface de pénibles souvenirs…

Le premier épisode de Patrick Melrose se veut radical et original, si bien qu’il nous positionne dans une situation d’heureuse expectative, puisque nous sommes convaincus de découvrir un OVNI télévisuel. Ces choix scénaristiques nous intriguent suffisamment pour que l’on poursuive l’expérience mais se révèlent aussi dangereux : les épisodes qui suivent, plus lisses et communs absorbent notre euphorie, nous laissant toutefois admiratifs devant la performance (et quelle performance) de Benedict Cumberbatch. Retour sur un ensemble très (trop) hétérogène.

L’introduction à la série est relativement innovante ; d’abord par son scénario car l’on découvre l’univers de Patrick à travers sa perception, c’est-à-dire celle d’un homme shooté jusqu’à la moelle. Nul besoin ainsi de nous dérouler une immense galerie de personnages et de faire dans la scène d’exposition classique, on ne parviendrait de toute façon pas à démêler leurs identités, Patrick étant assailli par des hallucinations tantôt anxiogènes tantôt hilarantes. La série se concentre sur sa psyché et ce qui nous sera révélé plus tard comme un stress post-traumatique. Le symbole du miroir reflète l’angoisse existentielle plus que le narcissisme et le season final imprimera le dénouement de ces troubles. Le pilote haut en couleurs surprend aussi la rétine, nous immergeant dans une photographie inhabituelle : couleurs saturées, contrastes marqués. Les flashback dans le sud de la France étant plus lumineux que l’ensemble, le saturé vire au pop-art et confère au paradis provençal une atmosphère faussement joyeuse et totalement agressive. Les couleurs extravagantes se succèdent, du rose au violet et au jaune. Ainsi, chaque souvenir est régi par une couleur dominante, la chambre est par exemple habillée de bleu. Outre une volonté d’appuyer le côté arty du show, cela permet aussi de rendre les réminiscences de Patrick plus vives. Ces scènes qu’il semble condamné à revivre en boucle sont pour lui plus réelles que le présent qu’il vit en demi-teinte. Dans la chaleur de l’été provençal, le petit garçon nous apparaît visage cramoisi et arborant des vêtements rouges, comme si son environnement le consumait. Cette étonnante colorimétrie peut donc tant incarner l’hybris de la haute société britannique que la perception d’un Patrick toujours soit drogué, soit en état de manque et donc soumis à de terrifiantes hallucinations. Le rythme est quant à lui effréné, martelé par des titres rocks déraillant et les logorrhées de son (anti)-héros si attachant. À la steadycam qui virevolte vite d’un lieu à l’autre s’ajoute un découpage qui nous balance d’époque en époque, nous permettant d’épouser la désorientation de Patrick.

Spécialiste du sarcasme, Patrick pourrait rejoindre la liste des anti-héros cinglants qui font payer à leurs entourages leurs traumatismes passés. Il sera souvent présenté comme tel (le résumé DVD lui-même le présente comme un grand narcissique), pourtant ce n’est pas l’angle choisi par les scénaristes qui le révèlent plutôt en enfant brisé. Ses crises de colère ou de larme encrent un désir de justice, ses yeux embués réclament une innocence perdue. Lors d’un flashback qui éclaire son enfance, une amie de la famille dit du jeune garçon qu’il est la seule personne du foyer en qui la vie coule encore. Pourtant, c’est également le seul qui sera mu par des pulsions suicidaires. Un paradoxe déchirant. Cependant, il est dommage que la série se soit essayée lors des épisodes 2 et 3 à une satire de la haute société britannique, non seulement ce propos est éculé mais cela nous fait perdre de vue l’angle psychologique du pilote (ce qu’avait réussi Sharp Objects, dans le même genre). Nous avons vu mille fois dépeinte l’hypocrisie de ce microcosme et son snobinardisme n’est pas ici mis en scène de manière particulièrement subtile, sa galerie de personnage étant soit trop soit trop peu caricaturale. Pour remettre en question le modèle britannique encore trop régi par les classes sociales, on nous montre que la bourgeoisie se plie aux codes de la noblesse, se laissant imposer des valeurs désuètes. Chaque repas mondain semble tourner autour d’une figure tyrannique – femme ou homme – sans que personne ne songe un seul instant à les rejeter. On se demande d’ailleurs pourquoi Patrick ne tourne pas le dos à ces monstres en puissance, choisissant une épouse de bonne famille dont la mère a également ses moments de cruauté. C’est à cette occasion que Benedict Cumberbatch a révélé toute l’amplitude de son jeu d’acteur, s’il brille naturellement quand il joue un Patrick en transe, il sait aussi vibrer en sourdine. Il mime la tension extrême de son personnage, sans mot ni mouvement, en faisant tressaillir subrepticement un nerf au niveau de la mâchoire. C’est du grand art !

Le ton cynique de la série semble quant à lui très artificiel et ne se marrie pas toujours bien au drame. Le comique du premier épisode se dissout largement dans le fil rouge de la série : le passé de Patrick qui revient sans cesse le hanter. Comment en cinq épisodes réussir à jouer sur tous les tableaux – le comique, le drame intime et le sociétal – le tout habillé dans une photographie typée film indé ? Il nous semble que le pitch était suffisamment fort pour miser sur la sobriété et pour développer la galerie de personnages principaux, il aurait assurément fallu plus d’épisodes. Le rapport à la mort se veut irrévérencieux, on repense aux cendres du père de Patrick, qu’un gros plan détache de leur contexte morbide pour en faire aux yeux du spectateur une poignée de farine saupoudrée sur un plan de travail. La scène est presque poétique, soulignant l’absurdité du corps réduit au néant, un corps que la mort aurait d’une certaine manière embelli. Là où la subversion devient réelle, c’est quand on nous montre que le seul moyen de rompre avec le passé est de le voir littéralement mourir. Pas de rédemption permise aux générations qui nous ont torturés, il faut qu’elle s’éteignent pour que l’on brise le joug qui nous unit. En bref, une série à découvrir ne serait-ce que pour l’époustouflante performance de l’acteur londonien, performance qui lui avait valu des nominations aux Golden Globes et aux Emmy Awards.

Test du Blu-Ray édité par Koba

Pas de bonus en 2019, quand les séries TV sont accessibles rapidement et à bas coût en SVoD, c’est pour le moins décevant. Quand on n’opte pas pour le dématérialisé, c’est bien qu’on se réjouit de posséder un bel objet et les passionnés seront toujours heureux de découvrir des commentaires audio ou making-of, c’est la plus-value des coffrets par rapport aux offres de visionnage plus immédiates. On note d’ailleurs que le Blu-Ray américain est agrémenté d’un livret de 30 pages, les spectateurs français n’auront pas cette chance. Cependant, l’achat du Blu-Ray n’est pas une mauvaise affaire : pour 24€99 à la Fnac, vous pourrez profiter de la série dans les meilleures conditions, qu’il s’agisse de l’audio ou de l’image. En effet, en SVoD ou téléchargement, la photographie ultra stylisée et la bande-son qui puise dans le rock britannique des 60’s seront sûrement détériorées s’ils subissent trop de compression. Les nuances de noir étant déjà relativement écrasées (un choix artistique que l’on peut discuter), le résultat est à l’évidence fait pour être visionné sur un écran de qualité dans un format adéquat. Exit les visionnages sur smartphone où le rendu sera sûrement bien moins lisible. D’ailleurs, certains plans d’intérieur, dans la pénombre, sont assez sombres. L’édition de Koba leur rend justice et nous permet de malgré tout bien distinguer les détails à l’arrière-plan, détails qui seraient autrement inaccessibles. En outre, avec des enceintes, une barre de son ou un casque, on profite d’une spatialisation bien gérée mais discrète. Néanmoins, le grand public sera-t-il sensible à ces détails, le marché du Blu-Ray n’étant déjà pas à son fort ? Il serait judicieux de le convaincre de l’apport de ce support et des éditions augmentées pourraient largement y contribuer… Un dernier mot pour le mixage son : en Français, les voix semblent avoir moins de présence qu’en VO, moins d’ampleur. Heureusement, Gilles Morvan, l’acteur qui double Benedict Cumberbatch délivre une performance toujours jouissive.

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