The Good Place nous avait étonné par son twist en fin de saison 1, nous faisant considérer la comédie sous un nouveau jour. Il était alors évident qu’elle pouvait se réinventer à chaque instant et que la saison 2 serait haute en couleur. Comment expliquer alors ce sentiment déceptif après avoir terminé son visionnage ? Étrange sentiment car des surprises, il y en eu ; des réinventions, également.
Le problème, c’est « the bad place » qui a fait figure de lieu inaccessible pendant une saison et demi, un lieu dont on a senti la présence à travers les discours des personnages, un lieu qui a cristallisé toutes leurs angoisses. Puisque nous sommes restés sur son seuil pendant les longs épisodes introductifs de cette nouvelle saison, nous avons été rongés par une attente exponentielle. Le voilà donc qui surgit, inattendu, avec une jolie direction artistique qui le situe dans une ambiance années 40. Mais le voilà également bien rapidement expédié et surtout bien pâlichon pour ce qui est censé représenter l’Enfer. Il est toujours désagréable de voir évacué si rapidement un enjeu présenté comme crucial. Le final est fortement réjouissant pour ce qu’il esquisse à l’horizon – à savoir une aparté dans le monde réel – mais il est dommage de partir dans une nouvelle dimension sans avoir déjà exploré toutes les facettes de « the bad place ». Mais qui sait, peut-être la retrouverons-nous un jour… Il convient donc d’analyser le traitement curieux de ces nouveaux lieux qui, en outre, prennent source dans un décor inattendu.
La comédie est désormais réputée pour catalyser des réflexions philosophiques sous un masque de légèreté. Cet intertexte (références aux philosophes classiques) qui avait déjà beaucoup séduit lors de son premier volet s’est enrichi de clins d’œil à la culture populaire et notamment aux sphères hollywoodiennes. Cependant, il ne faudrait pas voir ses choix esthétiques comme une simple cosmétique qui viserait à nous faire avaler des cours de métaphysique appliquée. Et c’est peut-être par ce prisme qu’il faut penser la caractérisation de « the bad place » qui brille plus par son univers que par les développements qu’elle introduits. Rapidement croqué, l’Enfer se présente sous des habits bien élégants ; si la fausse « good place » était incarnée visuellement par des décors ultra-contemporains, comme pour dénoncer les excès d’une société faite d’apparences, « the bad place », elle, s’inscrit dans des codes esthétiques d’un autre temps.
Dans un premier temps, revenons sur le cadre de la saison 1. The Good Place, c’est avant tout un univers coloré fait de maisons au design épuré et tendance, de jardins à la française et de boutiques qu’on pourrait qualifier de « bobo » – des magasins de yaourts glacés aux fontaines à soupe. Ce simple constat dit déjà beaucoup du message délivré puisque tous ces éléments renverraient donc malgré les apparences à une vision de l’Enfer ! « The good place » se vend comme telle parce qu’elle est marketée pour l’être et c’est bien pour ça qu’elle permettrait de torturer ses habitants. La série dénonce les hypocrisies du monde contemporain bien sûr mais égratigne au passage ses représentations : ce sont aussi les larges maisons conçues par des architectes d’intérieur qu’on remet en cause. Vous savez, ces murs blancs, canapés en cuir tout design et sans confort, ces espaces tendance qui peinent à évoquer une vie familiale et ses besoins, des espaces à louer sur Airbnb, sans âme ni identité, des maisons peut-être… mais jamais des foyers. C’est bien cela que semble nous dire la série de Michael Schur : plus les extérieurs seront parfaits, taillés au couteau, plus ils risqueront de cacher une incapacité à vivre en société. C’est le seul point commun des quatre protagonistes principaux, même Chidi qui semble pêcher par excès de bienveillance montre des difficultés de communications avec l’autre. Ce que l’environnement de « the good place » renie, c’est l’essence même du vivant : un paradis aseptisé ne peut être véritable car l’existence, c’est du désordre et de l’imperfection ; la vie, c’est des pots cassés qu’on recolle, des cicatrices qu’on referme, comme le propose la pratique du kintsugi au Japon (l’art de réparer des céramiques sans en dissimuler les fissures mais au contraire en les soulignant par des jointures en or). En dissimulant les signes du vivant et ses blessures, on vivrait dans un amer simulacre.
De manière assez spectaculaire, cet univers qui avait été construit de toutes pièces par Michael – le génial Ted Danson – est englouti par le néant dans un élan métatextuel qui prouve l’omnipuissance du scénariste. En créature démiurge, ce dernier peut à tout moment gommer le décor qu’il avait imaginé. En balayant d’un geste sa création passée, il construit les bases d’un enfer véritable qui lui non plus, ne ressemblera pas à ce que l’on aurait attendu. « The bad place » est autant policée que son alter ego mais en reprenant l’esprit des spectacles hollywoodiens des années 40 (du cinéma au spectacle vivant). Pour s’y rendre, notre joyeuse équipée n’effectue pas le trajet en barque, ce qui aurait évoqué le Styx mais voyage à bord d’une jolie locomotive. De manière jouissive, les motifs mythologiques antiques sont adaptés aux outils modernes. En pleine catabase (motif récurrent dans l’Antiquité, celui de la descente du héros dans les Enfers à des fins initiatiques), les personnages se déguisent véritablement pour mimer les agents de l’Enfer, preuve en est que le paraître prime sur l’être. Summum de l’absurdité existentielle, la juge elle-même n’aura que faire de l’équité… On nous sous-entend rapidement que nos visions du paradis et de l’enfer, du bien et du mal sont des constructions qui ne demandent qu’à être réinventées et par la même occasion, on tacle tous les codes érigés comme modèles par l’Occident. Quoi qu’il en soit, ce nouveau parti-pris surprend, l’enfer présenté est bien élégant et fait rêver plus que cauchemarder. Quel lourd secret cachent les paillettes californiennes des années 40 ? Pourquoi en faire le symbole de l’antre du Diable ?
Certes, les banlieues ensoleillées des films noirs, leurs costards et leurs tailleurs sont souvent factices. Les femmes fortes et indépendantes de cette époque ne présagent pas tant d’un féminisme naissant que d’une société patriarcale qui donne l’illusion de la liberté tout en ordonnant à ses actrices de perdre 20 kilos pour satisfaire les désirs d’Hollywood. (Cf les mésaventures de Greta Garbo et Marlene Dietrich) D’après Jean-Pierre Esquenazi, les films noirs peuvent se définir par une remise en cause du modèle urbain moderne, celui des villes tentaculaires qui divisent l’humain, par opposition aux communautés ancestrales qui mettent l’accent sur la solidarité et la valeur famille. La métropole noire est celle du célibataire qui erre seul dans son meublé le soir, de l’homme sans attache qui risque donc à tout moment de céder au vice et à la corruption. Cela nous fait penser à Eleanor qui n’est ni foncièrement mauvaise ni naturellement bonne. Eleanor, c’est cet anti-héros hésitant qui ne choisit jamais intuitivement les bonnes actions. Finalement, les décors de « the good place » et de « the bad place » seraient très similaires et se décoderaient selon les mêmes clés de lecture. Pire, notre société actuelle se serait construite sur les redoutables bases d’un monde cynique. Michael n’aurait donc fait qu’actualiser le décor de « the bad place » pour construire sa « good place » sans en changer les règles inhérentes. Le monde actuel, tissé de réseaux sociaux et d’ultra-technologie serait donc un nouveau vecteur de solitude. Il n’est alors pas étonnant qu’un des ressorts principaux de la saison 1 ait été le principe de l’âme sœur. Par exemple, Chidi l’indécis s’en réjouissait car avoir une âme sœur désignée lui évitait de devoir choisir l’amour. Eleanor, quant à elle, n’avait plus à assumer ses mauvaises décisions puisqu’on lui en imposait une. Durant la saison 2, on fera justement varier le statu quo et l’on apprendra qu’aucun destin prédécoupé ne peut empêcher la formation de couples inattendus.
Pour résumer, la série s’attaque aux bobos, non pas sur un mode anti-intellectualiste primaire mais bien pour dénoncer la culture du factice. C’est le snobisme quotidien qu’on pointe, c’est-à-dire ces moments où l’on fait mine d’apprécier des mets ou des coutumes par simple souci de ce que l’autre pensera de nous et par volonté d’appartenir à une classe sociale. Ainsi, on mange du yaourt glacé sans l’apprécier autant qu’une glace ou l’on avale des soupes sur le pouce comme on mangerait des hot-dog. Tahani est d’ailleurs le personnage le plus inquiet du « qu’en dira-t-on », ne parvenant jamais à s’en détacher malgré les progrès moraux effectués. « L’Enfer, c’est les autres » nous disait Sartre. Ici au contraire, l’altérité est la condition sine qua non d’accès au paradis car c’est elle qui permet d’embellir les âmes seules. Vade retro satanas la société du profit qui voudrait rentabiliser toute expérience et par la même occasion rentre utile les actions qui devrait être altruistes. C’était l’une des dernières leçons philosophiques enseignée par Chidi : une bonne action n’est véritable que si elle est désintéressée. Et peut-être pourrait-on même lire sous cet angle les commentaires satiriques qui dézinguent le show-business à chaque épisode… Les lumières d’Hollywood seraient-elles la prison dont devraient s’échapper acteurs et créateurs ? Ceux-ci parviendraient à se fédérer en communauté si et seulement s’ils plaçaient l’art en leur sein. On dit souvent avec cynisme que la famille du 7e art n’existe pas et ne brille que par sa cruauté. Le paradis de Michael Schur ne serait-il pas un espace-temps qui la ressusciterait ? Preuve en serait, l’apparition du mari de Kristen Bell (Dax Shepard) dans la saison 2 de The Good Place, assorti d’un attendrissant clin d’oeil au lien qui les unit…
CREATION : Michael Schur
SHOWRUNNER : Michael Schur
DIFFUSION : NBC (disponible sur Netflix en France
AVEC : Kristen Bell, Ted Danson, William Jackson Harper, Jameela Jamil, Manny Jacinto, D’Arcy Carden
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie
STATUT : En cours
FORMAT : 22 minutes
BANDE-ANNONCE
Synopsis : À sa mort, Eleanor Shellstrop se retrouve au Bon Endroit (The Good Place en VO), là où seules les personnes exceptionnelles aux âmes pures arrivent, les autres étant envoyées au Mauvais endroit. Chaque nouvel arrivant est logé dans une maison idéale, aménagée selon les goûts de l’arrivant, puis fait connaissance avec son âme sœur. Problème, Eleanor n’est pas vraiment une bonne personne et découvre qu’elle a été envoyée au Bon Endroit par erreur. Depuis son arrivée des choses étranges arrivent au Bon Endroit.