Annecy 2020 : le programme

À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Alors que nous ne sommes même pas à la moitié de l’année 2020, celle-ci peut déjà se targuer d’être historique. Inutile de rentrer dans les détails de cette pandémie qui a mis la société au ralenti et bouleversé notre quotidien. On s’en souviendra longtemps et nul doute qu’on n’hésitera pas à rebattre les oreilles des générations suivantes qui auront bien d’autres chats à fouetter. Mais évitons glisser vers le pessimisme car après tout, cet article est une affaire de réjouissance. Lorsque le confinement fut instauré courant mars, tous les amateurs du festival croisaient les doigts pour que la situation s’arrange d’ici juin. Les organisateurs soutenaient qu’ils feraient tous les efforts possibles pour maintenir l’organisation du festival, mais plus les jours avançaient, plus la réalité nous rattrapait. Après un mois de fébriles espoirs, la nouvelle tombait : le festival était annulé et se déroulerait sous un format en ligne. À l’inverse d’un festival comme Cannes qui a beaucoup tergiversé et tardé à prendre une décision, celui d’Annecy a brillé par sa réactivité face à la conjoncture actuelle (même si le festival de Cannes a bénéficié d’un timing moins favorable : il n’aurait pas eu le temps d’organiser une édition en ligne). Certes, une édition en ligne ne représente qu’une compensation à un festival dont la convivialité et le cadre magnifique constituent de grandes qualités, mais restent intacts ce désir de partage et de découverte que nous promet une sélection toujours aussi variée. Au moment d’écrire ces lignes, il demeure quelques interrogations sur les modalités d’accès en ligne et surtout sur le contenu disponible. Il va de soi que la gestion des droits empêchera de proposer l’intégralité de la sélection. En attendant, aiguisons notre curiosité avec le programme annoncé.

Les WIP (Work in progress)

À quelque chose malheur est bon. En effet, les circonstances devraient hypothétiquement avoir un impact bénéfique sur les séances work-in-progress. Certes, on ne connaît pas encore comment celles-ci se présenteront et elles ne possèderont pas la même interaction que durant l’organisation traditionnelle. Cependant, l’accès en ligne devrait normalement permettre un accès plus large à ces évènements si plébiscités. Les amateurs du festival savent à quel point il est impératif de les réserver prioritairement, les places disponibles partant en moins d’une minute. Et en cas d’échec, il ne faut habituellement pas hésiter à venir faire la queue longtemps en avance pour espérer faire partie des heureux élus. Au moins, la question de la place ne devrait pas se poser et un public plus conséquent pourra profiter des présentations des projets à venir. Pour ne rien gâcher, la sélection de cette année se montrent extrêmement alléchante.

Plusieurs habitués du festival y feront leur retour. Après avoir présenté L’Extraordinaire Voyage de Marona en compétition officielle l’année dernière, Anca Damian lève le voile sur son nouveau film Insula. Le projet annoncé comme une réinvention de Robinson Crusoé en comédie musicale est déjà prometteur. Mais pour quiconque ayant vu son précédent film, il y a une forte envie d’entrapercevoir ce qui s’annonce comme une nouvelle grande expérience visuelle. Faisant également partie de la compétition officielle de l’année passée avec White Snake, Ji Zhao revient aussi pour New Gods : Nezha Reborn. Il s’agira encore de réexplorer en animation 3D un pan de la mythologie chinoise. Etant donné la certaine beauté de son précédent effort, on est curieux d’y jeter un œil. L’immense Masaaki Yuasa nous donnera lui un aperçu de son nouveau film Inu-Oh consacré à l’artiste de théâtre du XIVème siècle du même nom. Pas besoin d’en rajouter pour exprimer notre impatience d’avoir un premier aperçu sur le travail d’un des plus grands réalisateurs actuels.

Autre projet très attendu, Le Sommet des Dieux de Patrick Impert aura également droit à sa présentation. Cela fait plusieurs années que cette adaptation du manga de Jirô Taniguchi est annoncée. On est curieux de voir ce que la séance nous dévoilera sur l’avancement du projet. La curiosité est également de mise avec Sirocco et Le Royaume Des Courants D’Air. Pour sa première réalisation solo sept ans après la coréalisation de Tante Hilda! avec Jacques-Rémy Girerd, Benoit Chieux annonce une proposition d’aventure fantastique dont on a vivement envie d’en savoir plus. On notera également la présentation de la série télé The Cuphead Show! de Dave Wasson et Cosmo Segurson prévue pour Netflix. Le jeu vidéo ayant basé son esthétisme sur les cartoons des studios de Fleischer, on se demande ce que donnera ce retour au bercail. Enfin, ces projets alléchants ne doivent pas empêcher de jeter un œil sur Interdits Aux Chiens et Aux Italiens d’Alain Ughetto, Lamya’s Poem d’Alexander Kronemer, Len y el Canto de las Ballenas de Joan Manuel Millan Torres et Manuel Alejandro Victoria, Maman Pleut Des Cordes de Hugo de Faucompret, My Love Affair With Marriage de Signe Baumane ou The Hangman at Home de Michelle et Uri Kranot qui s’annoncent tous comme des projets originaux à différents niveaux.

La sélection Contrechamp, plus d’excuse pour ne pas la découvrir !

La durée du festival ayant été étendue d’une à deux semaines pour l’occasion, l’absence de l’ambiance conviviale du festival pourra être compensée par la quantité de film à ingurgiter sur la période. Cela permettra de nous pencher plus en détail sur la sélection Contrechamp inaugurée l’année dernière. On admettra ainsi une forte attirance pour My Favorite War de Ilze Burkovska Jacobsen. Il s’agit d’une œuvre autobiographique pour la réalisatrice lettone sur sa lutte pour échapper au conditionnement du régime autoritaire. Dans un registre tout aussi politique, on trouvera également True North de Eiji Han Shimizu qui s’intéressera pour sa part à la situation en Corée du Nord. La Corée du Sud nous propose quant à elle Beauty Water de Kyung-hun Cho consacré une crème de beauté capable de remodeler le visage. On voit se profiler la critique sur la perfection et les apparences. De la Corée du sud, il nous vient aussi The Shaman Sorceress de Jaehuun Ahn qui devrait consacrer aux conflits familiaux sur fond de tradition.

Mais la sélection sait aussi verser dans des spectacles un peu moins sérieux ; Lava d’Ayar Blasco raconte lui l’effondrement de la société après que les moyens de communication n’émettent plus qu’une image hypnotique. Une histoire qui a déjà donné lieu à des films d’horreur comme The Signal ou Cell mais qui semble s’orienter ici vers un spectacle à l’humour ravagé derrière son esthétique minimaliste. Old Man : The Movie de Mikk Magi et Oskar Lehemaa semble lui pousser le bouchon encore plus loin. Si l’on pense souvent à la stop-motion pour sa finesse et sa délicatesse d’animation, ça n’est pas ce qui semble guider cette comédie où l’absence de traite d’une vache pourrait provoquer l’apocalypse. La folie régnant dans la bande annonce en fait assurément un impératif de la sélection. Un autre incontournable serait On-Gaku : Our Sound de Kenji Iwaisawa où des lycéens montent un groupe de rock. Un pitch aussi simple que son choix esthétique mais qui semblent vibrer d’un esprit de communion rock irrésistible. A côté, on trouvera le plus traditionnel The Knight and The Princess de Bashir El Deek et Ibrahim Mousa qui, à l’image de son titre réducteur, semble vouloir marcher sur les traces du divertissement disneyen. Quant à The Legend of Hei de Ping Zhan, il s’interrogera sur l’inévitable question de la place d’un monde surnaturel dans un environnement de plus en plus urbanisé. Reste Accidental Luxuriance of Translucent Watery Rebus de Dalibor Baric qui promet d’être aussi abstrait que son titre.

Les films en compétition officielle

7 Days War (Yuta Murano – Japon) : Pour son premier long-métrage, Yuta Murano s’attaque au roman pour la jeunesse d’Osamu Sôda. Le livre avait déjà eu droit à une adaptation en prise de vue réelle à la fin des années 80 mais sa thématique de rébellion adolescente contre les adultes mérite bien d’être remise en avant. Reste à savoir si cette version de l’histoire sur des jeunes s’isolant dans une usine désaffectée saura jouer de la satire et ne pas se contenter d’un sentimentalisme nourri J-pop comme la bande-annonce le met en avant.

Bigfoot Family (Jérémie Degruson et Ben Stassen – Belgique/France) : Comme indiqué plus haut, le festival d’Annecy a toujours prôné la diversité dans sa programmation. On n’explique pas autrement la présence en sélection officielle de cette suite à Bigfoot Junior. Le studio nWave Pictures n’a jamais vraiment caché une méthodologie opportuniste dans sa manière d’attirer son jeune public (Royal Corgi est le dernier exemple en date). Mais malgré ce scepticisme, il conviendra comme toujours de juger le film sur pièces.

Calamity, Une Enfance de Martha Jane Cannary (Rémy Chayé – France/Danemark) : Nous avons eu droit à séance en WIP l’année passée qui a enthousiasmé Anaïs Tilly, il s’agit d’une des grosses attentes de la compétition. Le précédent long-métrage de Rémy Chayé Tout En Haut Du Monde avait enchanté tout le monde (prix du public au festival d’Annecy de 2015) et sa proposition entourant le personnage mythique du western est hautement séduisante.

Kill It And Leave This Town (Mariusz Wilczynski – Pologne) : Que serait le festival d’Annecy sans ses films étranges qu’on pourrait difficilement voir accéder aux circuits de diffusion traditionnels ? Le film de Wilczynski apparaît comme une de ses singulières propositions de cinéma dont les images semblent aptes à captiver. Nul doute qu’il mérite qu’on lui apporte une certaine attention.

The Nose Or The Conspiracy of Mavericks (Andrey Khrzhanovsky – Russie) : Le film de Khrzhanovsky s’annonce lui aussi comme une expérience atypique. Avec son esthétisme de collage, le long-métrage promet de piocher dans les mouvements artistiques d’avant-garde russe de la première moitié du XXème siècle. Dit comme cela, ça peut laisser de marbres certains mais il faut savoir sortir des sentiers battus.

Ginger’s Tale (Konstantin Scherkin – Russie) : On ne dispose guère d’informations sur ce premier long-métrage au-delà de son pitch. Il se profile ainsi un conte fait d’objet magique, de héros courageux et de méchante reine. C’est bien peu pour susciter notre curiosité et on attend de voir ce que retirera son réalisateur de ces ingrédients classiques.

Nahuel And The Magic Book (German Acuna – Chili/Brésil) : On pourrait également dire la même chose ici. On retrouve ces composants habituels du film d’aventure avec son jeune héros s’attirant des ennuis à cause d’un objet magique. On dispose toutefois d’un aperçu un peu plus poussé avec sa bande annonce montrant une identité visuelle bien à elle, ce qui tout de suite rend plus intrigante la proposition du film.

Jungle Beat : The Movie (Brent Dawes – Maurice) : Transposition sur grand écran de la série éponyme, le film se risque à l’argument tarte à la crème de la rencontre de ses personnages avec un extraterrestre. On sait très bien que ce genre d’astuce peut donner d’immenses absurdités (souvenez-vous des séries AB Productions) ou des choses sympathiques (le récent Shaun Le Mouton : La Ferme Contre-Attaque). On espère bien évidemment que le résultat ressemblera à la seconde option.

Lupin III The First (Takashi Yamazaki – Japon) : C’est assurément le poids lourd de la sélection, à tel point qu’on l’aurait mieux imaginé en séance spéciale que dans la compétition officielle. Mais nous n’allons pas bouder notre plaisir à voir une telle mise en avant pour ce qui doit être le grand retour du personnage en France. Le personnage ayant récupéré son patronyme original chez nous, on espère que cette première aventure en 3D sera apte à séduire une nouvelle génération de spectateur. Même si on reste interrogatif sur le fond (surtout au regard du ratage récent de Yamazaki sur le ridiculement méta Dragon Quest : Your Story), les premières images sont très réjouissantes.

Petit Vampire (Joann Sfar – France) : Voilà bien un autre grand nom de la sélection. Après une série télévisée il y a une quinzaine d’années, Sfar adapte lui-même pour le grand écran sa bande dessinée peuplée de monstres divers. Pas besoin d’en rajouter plus pour dire que le projet est particulièrement alléchant.

Cette édition est une occasion en or pour ceux qui ne peuvent habituellement pas venir à Annecy au moins de juin et qui ne sont pas encore familiers de l’éclectisme du cinéma d’animation contemporain. L’accréditation coûtera la modique somme de 15€ et nul doute qu’elle sera rapidement rentabilisée. N’hésitez alors pas à sortir des sentiers battus et découvrir des productions qui ne soient ni américaines ni japonaises car c’est aussi l’intérêt du festival.

[MAJ du 3 juin 2020] Après la mise en ligne de l’article, des précisions ont été apportées quant au contenu disponible. Comme attendu, tous les films de la sélection ne seront pas accessibles : nous n’aurons ainsi la possibilité de voir qu’environ la moitié des films de la compétition dans leur intégralité. Pour les autres, il faudra se contenter d’extraits d’une dizaine de minutes. C’est le cas des têtes d’affiche Lupin III The First, Petit Vampire et Calamity, Une Enfance de Martha Jane Cannary. Probablement en raison de leur potentiel commercial, 7 Days War et Bigfoot Family seront eux aussi présentés uniquement sous forme d’amuse-bouche. Cependant, cela nous laisse toujours cinq films très différents les uns des autres. La sélection Contrechamp suit quant à elle le même processus. Il faudra donc se passer de My Favorite War, On-Gaku : Our Sound, Beauty Water et The Legend of Hei. On se réconfortera en se disant que nos attentes pour Old Man : The Movie et Lava pourront elles être comblées.

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