Entretien – Pauline De Boever

Créé en 2009 à l’initiative de Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux, respectivement Président et Directeur Général de l’Institut Lumière (la cinémathèque de Lyon, située sur les lieux mêmes de la naissance du cinéma, Rue du Premier Film), le festival Lumière célèbre pour la quatrième année déjà le cinéma de patrimoine, du 15 au 21 octobre dans une trentaine de salles du Grand Lyon. Avec cette idée réjouissante : faire disparaître l’expression « vieux films », célébrer le cinéma d’hier en compagnie de ceux qui le font aujourd’hui ! Les personnalités sont de plus en plus nombreuses à venir présenter des films dans lesquels elles ont tourné par le passé ou tout simplement qu’elles aiment et veulent partager avec le public. On attend notamment, pour l’Ouverture le lundi 15 octobre à la Halle Tony Garnier, Guillaume Canet pour présenter L’Epouvantail (1973), bijou de son mentor Jerry Schatzberg et, pour la clôture avec La Porte du Paradis de Michel Cimino (1981) en version intégrale et numérisée, Isabelle Huppert.
Pauline De Boever, chargée de la programmation de l’Institut et du festival Lumière avec Thierry Frémaux et Maëlle Arnaud, a gentiment accepté de répondre à nos questions.

Courte-Focale : Après une attente du public quant à la programmation de la Nuit Musique & Cinéma (le 19 /10 à la Halle Tony Garnier) et au film de clôture (La Porte du Paradis, le 21/10 au même endroit), la programmation du festival est désormais dévoilée dans son ensemble. Dès lors, où en êtes-vous, très concrètement, des préparatifs ?

Pauline De Boever : On en est, maintenant, à boucler plein de petites choses et à rentrer dans les détails : c’est le contact avec les invités, la question de savoir qui va venir présenter quoi, c’est le détail des grandes soirées, c’est le briefing des bénévoles, c’est surveiller l’arrivage des copies et la bonne marche de la communication. Ce sont mille petites choses qui ont toutes leur importance.


Clint Eastwood, premier Prix Lumière en 2009, entre Bertrand Tavernier, le Maire de Lyon Gérard Collomb, Marthe Keller et Cécile De France

Lumière en est déjà à sa quatrième édition. Quelles grandes évolutions le festival a-t-il connues depuis 2009 ?

Ce sont avant tout des évolutions dans les résultats, ce à quoi nous essayons de répondre en augmentant le nombre de séances. L’UGC Ciné Cité Confluence a par exemple ouvert cette année, ce que nous souhaitions saluer en organisant quelques projections dans ses salles. Nous serons aussi, cette année, au Pathé Cordeliers pour quelques séances, avec notamment les quinze heures de The Storey of Film : An Odyssey de Mark Cousins (2012), projetées en continu sur une journée avec possibilité pour le public d’aller et venir. Certaines salles-clé, telles que le Comoedia, nous ont permis d’augmenter le nombre de séances quotidiennes chez elles.
Nous renforçons également tout ce que l’on pourrait appeler « la programmation non-film », telles que les master-class, dont beaucoup sont déjà fixées, avec notamment le cinéaste Andrei Konchalovsky, l’actrice Clotilde Courau qui est ultra-enthousiaste pour venir parler au public de son amour du cinéma, ou encore François Samuelson qui est ce grand agent [entre autres de Juliette Binoche, Olivier Assayas et Mélanie Thierry, NdlR]. Voilà par exemple l’une de ces personnes que l’on entend peu dans les médias et qui pourtant sont importantes et influentes dans le milieu du cinéma. L’occasion de le rencontrer est donc assez exceptionnelle. Nous aurons aussi, entre autres, une table ronde autour de Vittorio De Sica.
En termes de couverture médiatique aussi, le festival a évidemment évolué, que ce soit de notre fait ou simplement par l’intérêt que la manifestation suscite. Nous avons par exemple plusieurs journalistes américains qui viennent désormais couvrir le festival, avec la présence notable de Variety et d’Hollywood Reporter.

Après une intégrale Jacques Becker l’an dernier, vous célébrez un autre cinéaste français des années 1930-1940-1950, Max Ophüls. A quel point la construction d’une sélection est-elle influencée par celles des précédentes éditions ? A quel point recherchez-vous la variété ou au contraire une forme d’approfondissement ?

Je ne pense pas que, pour nous, ce genre d’analyse soit conscient. Certainement les éditions antérieures nous nourrissent et nous orientent dans notre travail. C’est surtout l’idée d’un festival populaire et cinéphile qui continue de nous guider dans notre élaboration de la programmation. On avait lancé le festival avec Clint Eastwood et Sergio Leone qui sont les cinéastes populaires par excellence ! Avec De Sica cette année, par exemple, on creuse cette même idée avec un artiste qui a été extrêmement populaire en son temps mais qui l’est peut-être un peu moins aujourd’hui et que l’on a envie de faire redécouvrir. Ce que l’on garde en tête, c’est une notion d’équilibre entre les différents pans de la programmation. Effectivement, Max Ophüls peut correspondre cette année à Becker que l’on célébrait l’an dernier. Pour ce qui est des raretés, si l’on avait une section entière dédiée à Shin Sang-ok en 2009 ou à Raymond Bernard en 2010, on les trouve cette année avec quatre films, muets ou parlants, de Charles Brabin, que Philippe Garnier viendra évoquer, ou au sein même de la programmation Ophüls, avec des copies extrêmement rares de ses premières réalisations.


Jean Dujardin, Bérénice Bejo et Michel Hazanavicius : invités de l’ouverture évènement de Lumière 2011 avec l’avant-première de The Artist

Après des évènements pour l’ouverture (le grand classique Chantons sous la Pluie en 2010, puis l’avant-première évènement de The Artist en 2011) et trois Prix Lumière ultra populaires (Eastwood, Depardieu) ou auteurs de grands succès (Milos Forman avec Vol au-dessus d’un Nid de Coucou, Hair et Amadeus), vous proposez respectivement un bijou qui, malgré sa Palme d’Or, n’est que peu connu, L’Epouvantail de Schatzberg, et célébrez un auteur réputé exigeant dont aucun film n’a fait plus d’1 million d’entrées en France, Ken Loach. Cette édition ne serait-elle pas un tournant, un test de la fidélité du public par un pas de franchi dans le niveau d’exigence des films programmés ?

Ce que l’on observe – et qui nous fait énormément plaisir, c’est une confiance du public. Cette année comme les précédentes, nous avons ouvert la billetterie pour la Soirée d’Ouverture avant d’en annoncer le programme. Une fois celui-ci annoncé, presque toutes les places étaient déjà vendues et la révélation du film projeté a suffi à faire partir les dernières. Alors même s’il est vrai que L’Epouvantail est un film moins connu, c’est un film que l’on adore à l’Institut Lumière ! En étant confiant vis-à-vis du public, on a foncé dès lors qu’on a su que l’obtention d’une copie serait possible. En plus, Jerry Schatzberg est un cinéaste proche de l’Institut Lumière depuis des années, qui connaît le festival [il avait notamment exposé une belle série de photographies sur Lyon lors de l’édition 2010 du festival, NdlR], et Guillaume Canet, acteur et réalisateur très populaire, a accepté de venir faire le lien entre le film de Schatzberg [avec qui il a tourné The Day the Ponies come back en 2000 et dont il est resté proche, NdlR] et le public.

Quant à Ken Loach, on a pu s’étonner du simple fait que son visage soit présent sur l’affiche officielle du festival. Est-il si connu du grand-public ?

Je pense qu’il est assez bien connu, au moins des cinéphiles. Un public moins assidu ne le connaîtra peut-être pas, et en même temps, nous voulions assumer clairement nos choix, affirmer le fait qu’il était le cinéaste que nous voulions récompenser cette année et inviter par cet affichage le public à l’identifier, à le reconnaître. Bien sûr, Ken Loach est moins connu qu’un Eastwood ou qu’un Depardieu et ses films sont moins immédiatement identifiés par le public. Mais nous avions raison d’être confiants : nous avons eu des réactions magnifiques du public sur la soirée de remise du Prix Lumière à Ken Loach et les préventes pour les projections de ses films sont plus nombreuses qu’on aurait pu l’espérer.


Ken Loach, Prix Lumière 2012

On peut supposer que l’obtention d’un Prix du Jury à Cannes par Ken Loach et le joli succès en salles du film en question, La Part des Anges, expliquent pour partie cet enthousiasme du public… Ces facteurs ont-ils eu une influence sur votre choix de ce réalisateur pour le Prix Lumière ?

Absolument pas. Il se trouve que les plus grands cinéastes contemporains vont à Cannes. Il est donc peu étonnant que celui qui reçoit le Prix Lumière y ait été sélectionné. Et non, la sortie de La Part des Anges n’a pas été un élément déclencheur pour nous. Elle a même parfois pu nous faire nous poser la question d’une éventuelle saturation du public : est-ce les gens n’auront pas déjà trop entendu parler de Loach cette année ? Encore une fois, nous sommes très fiers de saluer ce grand cinéaste engagé, qui a pris à bras-le-corps les problèmes sociaux et politiques de son pays et en a tiré dans son cinéma une belle pédagogie, un regard sur le monde qui nous plaît beaucoup.

Lors de présentations du festival au public, vous aviez laissé entendre que Ken Loach serait motivé pour venir autant que possible à la rencontre du public présenter des séances…

Les récipiendaires du Prix Lumière arrivent en général à Lyon la veille de la grande soirée, ce qui limite le nombre de séances où ils peuvent intervenir. On veut aussi les garder en forme pour la soirée de remise du Prix (rires) ! Mais Ken Loach est effectivement très motivé pour ça, même si, pour l’instant, rien n’est encore fixé…


Les Dents de la Mer restauré, montré à Cannes Classics et projeté à Lumière

Thierry Frémaux incarne le lien entre Lumière et le Festival de Cannes. Pouvez-vous nous parler des liens avec Cannes Classics, dont on retrouve chaque année à Lumière plusieurs des films qui y ont été présentés en copies restaurées ?

C’est effectivement Thierry Frémaux qui a été à l’initiative de cette section à Cannes. Mais ce sont deux projets distincts. En tant que festival de patrimoine, il était important pour nous de mettre en lumière les grandes restaurations de l’année, qui sont pour certaines montrées à Cannes Classics. C’est aussi simple que ça. Cannes Classics n’est pas un partenaire de Lumière, seulement un autre lieu de projection de ces films restaurés. On pourrait citer aussi le festival de La Rochelle, le Cinema Ritravato de Bologne ou encore le festival Zoom Arrière de Toulouse. Nos partenaires sont plutôt les distributeurs de cinéma de patrimoine tels que Carlotta, Tamasa, Action Cinémas/Théâtre du Temple ou encore Wild Side auquel nous rendons hommage cette année avec La Nuit du Chasseur. Nous travaillons aussi en collaboration avec plusieurs cinémathèques dans le monde et avec de grandes maisons comme Gaumont, Pathé ou Universal, qui nous permet cette année de projeter des copies restaurées des Dents de la Mer et d’E.T..

Comment se déroule le choix du récipiendaire du Prix Lumière ?

Plus que d’un comité, c’est le travail d’un petit groupe de personnes autour de Thierry Frémaux, qui réfléchit bien sûr à cela avec aussi Bertrand Tavernier. De toute façon, je pense que vous comme moi avons une liste idéale de Prix Lumière, et elles doivent certainement se ressembler beaucoup ! Le reste, c’est une affaire de tournages, de disponibilités… Ce n’est pas aussi protocolaire qu’on peut le croire avec une urne et des bulletins de vote, ce sont avant tout des discussions. Nous sommes une petite maison vous savez ? (rires)


Agnès Varda a été présente lors des trois premières éditions du festival : preuve qu’elle n’est pas une récipiendaire potentielle du Prix ?

Beaucoup pariaient sur une femme pour le Prix Lumière cette année, après trois hommes et un petit scandale à Cannes autour de l’absence de réalisatrice en compétition…

Nous tenons beaucoup à ce que le Prix Lumière soit remis à un cinéaste. Il y a eu cette exception de Gérard Depardieu, qui a tout de même été réalisateur [Le Tartuffe en 1984, NdlR], mais nous tenons tout de même à rester sur cette idée pour le moment et, clairement, il y a moins de femmes cinéastes que d’hommes. Autant il y a d’immenses écrivaines, autant les femmes sont moins nombreuses à avoir construit de grandes carrières de cinéma, et cela dit aussi quelque chose de nos sociétés… Après, nous nous réclamons de notre liberté de choix, comme on a pris celle de récompenser Depardieu, et rien n’empêcherait à priori, à l’avenir, une actrice de recevoir le Prix.

A quel point réfléchissez-vous en termes de pluralité des publics pour bâtir la programmation ? Au-delà du jeune public qui a sa séance spéciale le mercredi après-midi (E.T. à la Halle Tony Garnier cette année), avez-vous plusieurs « cibles spectateurs », par exemple un public étudiant ou un pan des cinéphiles attirés par le cinéma bis ?

Oui, indirectement. Nous avons bien sûr envie que les jeunes viennent entre amis, que les gens viennent en famille ! Toutes ces questions-là sont de toute manière englobées dans notre travail à la programmation. Notre optique de proposer un cinéma à la fois populaire et cinéphile nous oriente directement vers des cinéastes dont on sait qu’ils vont pouvoir parler au public. Cela n’empêche pas, encore une fois, de proposer aussi des découvertes et des choses plus pointues. On a pris l’habitude, par exemple, de proposer une rétrospective de cinéma de genre, cette année avec l’intégrale des Baby Cart, qui est un pan de l’histoire du cinéma que nous souhaitions ne pas négliger.


Séance jeune public à la Halle Tony Garnier, 2011

85 000 spectateurs ont pris part à l’édition 2011. Cette année encore, la Séance d’Ouverture a affiché complet encore un peu plus tôt que les années précédentes : le festival prend manifestement de l’ampleur. La question d’un élargissement en termes de nombre de salles participantes ou d’étalement dans le temps se pose-t-elle ?

Elle peut être posée, dans la mesure où nous cherchons avant tout à répondre au public. Mais c’est peut-être un petit peu tôt pour en parler. On est très concentré sur cette édition-là pour le moment. On pourra en reparler disons… l’année prochaine ! (rires)

Merci à Pauline De Boever pour sa diponibilité.
Propos recueillis par Gustave Shaïmi le 2 octobre 2012 à l’Institut Lumière.


Bande annonce Lumière 2012 par Festival_Lumiere
La bande-annonce de Lumière 2012

Liens :
– La programmation, les dernières infos sur les invités et les soirées spéciales sont sur le site du festival.
La billetterie en ligne.
Les très nombreux invités venus l’an dernier présenter des séances et/ou donner des master-class.

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Le Chien Du Tibet

Courte-Focale.fr : Critique de Le chien du Tibet, de Masayuki Kojima (Japon/Chine - 2012)

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