La dernière ligne droite avant les prochaines Hallucinations Collectives en mars 2018 commence à se tracer. Et tandis que le programme de cette 11ème édition nous est révélé au compte-gouttes (ça envoie déjà du lourd !), la dernière Séance Hallucinée précédant le festival aura vu le retour au Comoedia de Lyon d’un des invités les plus mémorables de l’édition précédente : ni plus ni moins que l’extravagant et inclassable Bertrand Mandico, qui avait déjà connu les honneurs d’une rétrospective de ses étranges courts-métrages (on en parlait dans notre compte-rendu) et qui aura enfin réussi à franchir le cap du long-métrage avec Les Garçons sauvages, film ô combien attendu par les fans comme par les néophytes. L’expérience ayant été si hallucinante que visionner le film deux fois le même jour fut nécessaire pour englober tous les recoins de cette œuvre aussi hors normes que précieuse, il semblait tout aussi nécessaire de questionner le cinéaste sur quelques points précis. Petit résumé d’une conférence de presse très enrichissante avec un artiste décalé et singulier, porteur d’une vision qui ne l’est pas moins.
Courte-Focale : Pour quelles raisons le passage au long-métrage fut aussi tardif après tant d’années passées dans le court-métrage ?
La réponse est très simple : si ce premier long-métrage a pu se faire, c’est parce que j’ai pu avoir des subventions pour celui-ci et pas pour les précédents ! (rires) En vérité, j’avais déjà écrit plusieurs scénarios de long-métrage dans le passé, toujours dans l’idée de les faire avec mes collaborateurs récurrents. Or, le problème, c’est que j’avais travaillé pendant longtemps avec un producteur qui n’allait pas à la pêche aux subventions, qui ne passait jamais à l’acte et qui, au final, m’a mis dans une espèce de prison dorée… ou plutôt chromée ! (rires) J’avais vraiment besoin de tourner parallèlement à tout ce que j’écrivais, et j’ai donc fait beaucoup de courts ou de moyens-métrages. Et puis, au bout d’un moment, le producteur Emmanuel Chaumet m’a dit « Tu es en train de dépérir avec ce producteur. Moi je vais te produire rapidement ». Et il a tenu parole… En outre, en ce qui concerne ces projets que je développais, je peux vous parler d’un projet de western qui était à deux doigts de se faire il y a quelques années. On avait eu les subventions, même si, hélas, des problèmes de production ont suivi derrière et ont tout arrêté. Mais ce qui est assez étrange, c’est que tout le casting est mort depuis ! On avait Katia Golubeva [NDLR : ancienne compagne de Leos Carax], Guillaume Depardieu, Maurice Garrel, Tina Aumont… Cela en fait un vrai projet fantôme, même si je caresse toujours l’espoir de faire ce film.
Vous avez tourné ce premier long-métrage à la Réunion. En ce qui le financement et le tournage là-bas, quelles ont été les difficultés que vous avez rencontré ?
Étant donné que je connais bien l’île de la Réunion, je savais déjà que j’y trouverais des décors sur lesquels je pourrais m’appuyer. Après, les aides accordées par l’Outre-Mer n’étaient pas énormes. Je peux même dire que l’aide réunionnaise était une sorte de cadeau empoisonné : si l’on obtenait cette aide, nous étions contraints d’en dépenser une grosse partie en dépenses locales, et on n’y arrivait pas. Certains techniciens qui étaient sur place ne voulaient pas forcément travailler sur le film, parce qu’on est dans un contexte de « film d’auteur fauché ». Il faut dire qu’il y a beaucoup de téléfilms et de publicités qui se tournent à la Réunion, et que, du coup, beaucoup de techniciens préfèrent travailler sur ce genre de projet, où ils sont sûrs d’être bien payés. Du coup, ce fut compliqué. On a dû rendre de l’argent, parce qu’on n’a pas réussi à tout dépenser. Finalement, ce film a pu être fait avec des financements de courts-métrages ou de longs-métrages d’auteur, tels que le CNC, l’avance sur recettes, etc…
Comment avez-vous procédé pour le choix des actrices ?
J’avais déjà collaboré auparavant avec Nathalie Richard et Elina Löwensohn. Il était donc évident pour moi de les inclure dans le casting. Pour ce qui est de Vimala Pons, je l’avais rencontrée à la Villa Médicis où j’avais eu une petite rétrospective. Elle commençait tout juste l’écriture de son spectacle. On s’est tout de suite très bien entendus et, en discutant avec elle, j’ai décelé chez elle une personnalité plus dense, plus complexe que le genre de rôle auquel on la cantonne en général. Je la sentais très capable d’incarner un garçon. Je lui ai donc parlé de ce projet, et Vimala a donc fait les essais comme n’importe quelle autre actrice. Par ailleurs, j’ai vite décidé avec ma directrice de casting de rencontrer le plus de candidates possibles pour ces rôles. Ce fut assez facile, parce que la possibilité de jouer des hommes avait intéressé beaucoup d’actrices. On a alors procédé par phases successives. D’abord, on leur a montré mes films : si elles étaient d’emblée réfractaires à mon univers, ce n’était même pas la peine d’aller plus loin. Ensuite, j’organisais des discussions où je les interrogeais sur leur part masculine, leur part féminine, leur opinion sur le scénario, leurs craintes éventuelles vis-à-vis d’un tournage qui pourrait être difficile, etc… Je prenais ensuite une photo d’elles, et je réfléchissais alors à celles qui me sembleraient crédibles en garçons. A partir du moment où j’avais des idées de groupes qui étaient créés, je faisais des essais un peu plus poussés avec trois scènes que j’avais écrites et qui ne figurent pas dans le film : une où un garçon parle à sa mère, une où deux garçons se disputent, une où un garçon trouve la tête du « Capitaine » et joue avec. Je leur mettais à toutes des perruques d’homme, et c’est Elina qui leur donnait la réplique. De cette manière, le groupe que vous voyez dans le film s’est vite distingué. Je précise aussi qu’au départ, il y avait six garçons. Mais j’ai préféré fusionner deux d’entre eux. Je voulais que ces actrices aient la même silhouette, qu’il n’y ait pas de spécificité physique évidente, et qu’au fur et à mesure de l’avancée du récit, la personnalité de chaque garçon soit révélée par leur caractère propre.
Malgré son titre et son point de départ, votre film n’est pas tellement une adaptation du livre de William Burroughs. Est-ce qu’en troquant cette sorte de violence rebelle et exclusivement masculine – qui était privilégiée chez Burroughs – contre un retour au féminin en fin de bobine, vous avez eu la sensation de le « trahir » ?
Il est clair que ce n’est pas une adaptation. Le livre de Burroughs est davantage un point de départ en ce qui me concerne. J’avais déjà une vraie fascination pour le titre, que je trouvais très fort et qui, en même temps, me permettait de faire passer la pilule sans problème. Si j’appelle le film Les Garçons sauvages et que je montre mes cinq actrices déguisées en garçons, le public ne se pose pas de questions. Il croit tout de suite à ces cinq garçons. Cela dit, il y avait quand même deux passages qui m’avaient beaucoup marqué dans le livre : celui où un garçon copule avec des plantes extrêmement sexuées, et celui à la fin de l’histoire avec cette idée de prophétie autour d’une bande de garçons qui forment alors une armée de conquérants ou de résistants. J’aimais bien cette image-là. Mais c’est tout ce que j’ai conservé de Burroughs. Peut-être y a-t-il aussi l’aspect queer, qui est au cœur de mon travail artistique… Ce qui me semblait en tout cas évident quand j’ai commencé à imaginer la trame de ce récit sur la métamorphose, c’était que des actrices devaient forcément jouer ces personnages. Cela faisait partie de l’ADN du projet.
La dernière phrase de votre film est assez intrigante sur cette idée de métamorphose : on y voit Elina Löwensohn qui donne comme conseil aux garçons devenus filles « Ne soyez jamais vulgaires ». Quel sens vouliez-vous donner à cette idée de « vulgarité » ?
Par la « vulgarité », j’entends avant tout la « fausseté ». Ce qu’elle leur dit à ce moment-là, c’est de rester singulières. Mais je trouvais un peu fade de le dire de façon aussi simple… Il y a sûrement plusieurs significations à ce mot, mais celui que j’imaginais était très simple : elles vont rentrer dans une société très normée, et du coup, il leur faut faire profil bas pour essayer de survivre. Il y a aussi quelque chose à ne pas oublier : ce sont des personnages qui s’adaptent, et à la fin du film, même en ayant désormais un corps de femme, ils restent des garçons. Et dans leur façon d’être femme ou de jouer à la femme, il peut vite y avoir quelque chose d’un peu faux, d’un peu connoté, d’un peu vulgaire. C’est presque une indication de jeu d’acteur qu’elle leur donne à ce moment-là. En outre, cette phrase est en écho direct à la première phrase de la chanson du générique de fin (qui est lancé juste après), et dans laquelle Elina – qui chante elle-même la chanson – dit qu’elle veut être une fille sauvage.
En ce qui concerne le travail sur le sound-design (que vous avez également fait vous-même), j’ai cru comprendre que vous faisiez le montage sans le son…
C’est vrai, mais je ne fais pas le sound-design tout seul… Le son que j’enregistre sur un plateau de tournage est toujours un son brut, minimal, avec beaucoup de choses qui font beaucoup de bruit. Cela rend vite la bande sonore ingrate, voire carrément inaudible. Ce qui me plait beaucoup dans la postsynchronisation, c’est qu’elle me permet de recréer une bande sonore après coup. Sur l’image, j’ai envie de tout solutionner sur le tournage (rien n’a été postsynchronisé sur l’image), mais sur le son, c’est l’inverse. Je confronte alors mon montage à un visionnage sans son. Si le montage fonctionne ainsi sans bande-son et que je ne m’endors pas dix fois devant le film, cela me conforte dans l’idée que l’équilibre est là. Après, on fait rentrer le son, et surtout, on sollicite à nouveau les actrices pour réenregistrer leurs voix et leur donner une deuxième direction d’acteur. Dans une phase de postsynchronisation, les acteurs retrouvent facilement leurs traces, mais on peut à ce moment-là leur donner des directions contradictoires ou les amener vers des nuances de jeu qui sont assez intéressantes. Quand je dis « contradictoire », je veux dire par rapport au corps en mouvement : par exemple, on peut avoir un mouvement assez brusque et plaquer par-dessus une voix un peu plus douce. Une fois que tout cela est fait, il y a le sound-design à proprement parler. C’est une phase créative où je fais avant tout de la bidouille en créant autant de bruitages et d’atmosphères sonores que possible. Le travail sur la musique intervient à la fin de cette phase. Je pense que créer la bande-son est ce qu’il y a de plus contraignant sur un film comme celui-ci.
Combien de temps passez-vous sur le montage d’un tel film ?
C’est difficile à dire. Il y a eu des interruptions, donc j’ai du mal à quantifier. Cela doit tourner autour d’un an ou de neuf mois… Il faut dire que j’ai tourné le film il y a deux ans, ou plutôt un an et demi. Je n’ai plus la notion du temps, c’est fou ! (rires)
Outre la dimension plastique et esthétique évidente, est-ce que le noir et blanc a pour vous une caractéristique androgyne ?
Disons que le noir et blanc a tendance à durcir les traits. C’est une approche très graphique. On a essayé de travailler avec des lumières assez tranchées. Ce choix a permis de gommer les évidences au niveau des caractéristiques physiques, comme des lèvres un peu rosées, ce genre de choses… On n’a pas utilisé de maquillage pour les actrices : je voulais que ce soit très brut, sans artifice. Le seul truc qu’on ait utilisé, c’est la coupe de cheveux qui devait être « garçon » et pas « garçonne ». Pour les costumes, on plaquait les poitrines, on mettait des renforts pour les hanches, on a cherché des silhouettes. Je leur ai même donné des exemples d’acteurs. Par exemple, j’avais dit à Vimala que son personnage était un peu entre Patrick Dewaere dans Série noire et Alain Delon dans Plein soleil. C’était des indications que je leur donnais, mais elles, de leur côté, elles allaient parfois puiser dans l’image des garçons qu’elles avaient connus. On a travaillé comme ça pour que ça puisse fonctionner. En outre, le noir et blanc m’aidait à créer une unité entre les scènes que je tournais en studio et celles que je tournais en décor réel. De toute façon, je me concentre avant tout sur des préoccupations d’ordre graphique et de contrastes.
Dans l’alternance du noir et blanc et de la couleur, l’importance accordée aux pluies rend l’image extrêmement sensible, un peu à l’image du Poison de Todd Haynes…
J’aime beaucoup Todd Haynes, mais je n’y ai pas pensé pour Les Garçons sauvages, à vrai dire. En fait, j’ai surtout pensé à un cinéaste japonais, Koji Wakamatsu, qui a beaucoup utilisé le mélange de noir et blanc et de couleur dans ses films. Sauf que chez lui, c’était pour des questions de moyens : il ne pouvait pas utiliser la couleur tout le temps, et du coup, il l’avait exploitée pour les moments les plus « racoleurs » (au bon sens du terme !) de ses films, surtout quand ça devenait hyper sexuel, hyper violent… Mais plus généralement, je voulais qu’il y ait de la couleur. Je la trouve d’ailleurs toujours plus puissante quand elle est cernée par le noir et blanc. Ces éclats colorés étaient déjà présents durant le processus d’écriture. J’y voyais une sorte de ponctuation forte, une « montée de sève » si je peux dire. A un moment donné dans l’écriture, je sens monter cette sève et je me disais qu’il fallait mettre de la couleur à cet endroit-là. C’est très instinctif. Ce que je ne voulais surtout pas, c’était que le spectateur puisse anticiper le passage à la couleur, ou même qu’il en vienne à l’intellectualiser. La couleur n’intervient pas dans le film pour illustrer les fantasmes à l’opposé d’un réel que l’on aurait filmé en noir et blanc. Son apparition doit juste créer un ressenti, pas du sens. Pour tout vous dire, j’ai toujours vu le film comme une sorte d’arbre noir avec des fruits colorés… (sourire)
La bande originale est très composite : du rock, de l’électro, du synthétiseur, du répertoire classique, et même Nina Hagen pour la scène d’orgie sur la plage avec les plumes… Comment avez-vous fait votre choix ?
Quand j’écris un scénario, je me crée toujours une bande-son idéale, une sorte de compil assez dense qui m’accompagne tout au long de l’écriture, mais aussi pendant la recherche d’idées visuelles sur le film. Par la suite, il m’arrive même de diffuser des morceaux de cette bande-son sur le tournage pour que les actrices soient en transe. Je l’ai fait pour la scène de la plage, mais pour la petite histoire, ce n’était pas Nina Hagen… (sourire) Après, il faut dire que quand je suis à cette étape de montage sans son, je met en général des musiques préexistantes à des endroits qui me semblent correspondre. Et après, j’essaie quand même de resserrer au maximum pour les évacuer, ne serait-ce que parce que les droits musicaux sont quand même très chers ! En l’occurrence, dans Les Garçons sauvages, il y a un morceau de Cluster, un groupe allemand des années 70, pour la scène où les filles boivent à l’arbre phallique et où Vimala va baiser avec la femme-plante. Cela renvoie un peu à l’enfance, ça crée un décalage par rapport à ce que l’on voit. Le morceau de Nina Hagen va très loin dans les vocalises, pour ne pas dire dans un aigu assez extrême. On ne sait pas alors si c’est de la souffrance ou du plaisir, et c’est aussi le cas pour ce que l’on voit dans la scène. Cela annonce assez bien la scène qui suit, celle où un personnage perd sa voix et se retrouve avec une voix de fille. On a aussi intégré un morceau de Nora Orlandi, une musicienne italienne qui a fait des giallos, pour la scène d’agression au début du film avec le cheval et les masques. Du côté des morceaux classiques, il y a eu Casse-Noisette, mais cela résulte d’un essai, d’un pur hasard. J’ai senti qu’à un moment donné, il me faudrait du classique sans savoir quoi, j’ai tenté cette musique sur la scène en question et je me suis aperçu que ça fonctionnait bien. Et enfin, on a le morceau de Jacques Offenbach qui apparait dans la scène de la plantation. Au départ, ça devait être l’Opéra de quat’sous, mais les droits étaient trop chers.
Dans vos influences, vous parlez souvent de Stevenson, de Jules Verne… Comment arrivez-vous à passer d’un roman d’aventure populaire à un récit plus intimiste, pour ne pas dire plus expérimental ?
Je dirais que cela vient de ma mise en scène, et aussi du fait que cette dimension épique et romanesque fait partie intégrante de ma sensibilité. Mais pour autant, au-delà de toutes ces « envolées » auxquelles je tiens, j’essaie de rester au plus près de mes personnages. J’ai envie d’avoir un rapport assez charnel à leur peau, à leurs émotions. Il me faut toujours être très proche d’eux, j’ai besoin de faire en sorte que la caméra puisse les embrasser. Cela participe aussi à rendre le film plus organique qu’au départ, je pense…
Qu’est-ce qui vous a décidé à utiliser ce format 4/3 aux bords légèrement arrondis ? On avait déjà eu des exemples récents d’utilisation de ce format, notamment dans Tabou de Miguel Gomes…
Il y avait aussi ce cinéaste argentin [NDLR : Lisandro Alonso] qui avait fait Jauja, un western avec Viggo Mortensen. Ce film comprenait lui aussi ce format carré avec les bords arrondis. Ce qui m’a motivé à l’utiliser, c’est que je peux tout montrer avec ce format. C’est la vraie forme du photogramme impressionné. Je m’étais donc dit que je n’allais pas recadrer l’image, et qu’au contraire, c’est le support lui-même qui allait m’imposer son cadre. Quand on a scanné la pellicule dans sa totalité, j’ai cadré l’arrondi naturel du photogramme. La seule chose que nous avons faite, c’est de le nettoyer avec un cache propre pour éviter que ça perturbe la lecture… Concernant le tournage en pellicule, il s’agit d’un format que je connais par cœur, que je trouve toujours touchant, beau et très payant, même s’il n’exclut pas l’erreur. Mais la contrainte de tourner en pellicule me convient parfaitement, pour la simple raison que je vis chaque tournage comme une performance. On retient tous notre souffle, on sait qu’on a droit à trois prises maximum, et donc, tout le monde est conscient de cela et reste le plus concentré possible. La pellicule me permet aussi de faire des surimpressions en direct. C’est presque du collage : on rembobine la pellicule, on superpose deux images en jouant sur des caches noirs. C’est très rudimentaire en soi. Et ce que j’aime, c’est quand ça bave un peu, quand c’est flottant, quand on remarque que ça vibre. J’aime bien au cinéma les trucages qui se voient, parce que ça me rassure sur la façon dont c’est fait et que c’est très palpable. Il ne faut jamais oublier que la pellicule est un support sensible, et je fais tout ce que je peux pour en tirer profit.
Cette notion de collage est d’ailleurs présente sur l’intégralité du film, non seulement sur les superpositions d’images, mais aussi sur la superposition des genres et sur le brouillage sexuel qui est au cœur du récit. Cela contribue à rendre le film intégralement « transgenre », dans tous les sens du terme…
Ah oui, totalement !
Sur la question de l’identité et du genre, en ce qui concerne les personnages masculins du Capitaine et de Tanguy, il est cependant un peu difficile de parler de « corps hermaphrodites ». On les sent davantage bloqués à un stade précis de leur transformation…
Ce qui m’intéressait, c’était de montrer malgré tout des personnages qui n’arrivent pas à atteindre le stade final de leur transformation. Il y a alors un blocage qui est peut-être inconscient. Mais à vrai dire, ce que vit mal Tanguy [NDLR : joué par Anaël Snoek] à ce moment-là, ce n’est pas d’être dans un entre-deux, c’est surtout d’être exclu du groupe. La notion de groupe est importante dans le film : c’est avant tout un prétexte à être horrible et à laisser libre cours à ses pulsions les plus basses. J’avais envie de montrer que le monde binaire (les hommes et les femmes) est une chose, mais qu’il y a d’autres possibilités. Je voulais laisser possible cette idée d’un entre-deux.
Cela vous permet ainsi de dépasser l’antagonisme masculin/féminin que l’on ressent au début du film…
Si je devais vous parler de mes fantasmes, j’aime bien imaginer un monde futur où les hommes pourraient devenir des femmes, puis redevenir des hommes ou rester dans un entre-deux, que l’on puisse bouger sans arrêt, que se rétracte, que ça s’allonge, que ça pousse, que ça tombe, bref que l’on ne soit pas obligé de rester dans un état permanent. Ce serait l’idéal, je pense… (sourire)
Au générique, vous avez mis Yann Gonzalez au sein des remerciements, avec qui vous aviez travaillé sur son dernier court-métrage Les îles…
« Travailler » est un bien grand mot, puisque Yann est un ami très proche. C’est presque mon frère de cinéma. Lui et Pacôme Thiellement [NDLR : un passionnant et érudit essayiste sur la culture populaire et le cinéma expérimental] font partie des personnes à qui je montre en premier mes films lorsqu’ils sont en cours de montage. Ce sont des avis très précieux quand on est soi-même très fragile et que l’on essaie de monter un film comme celui-là… Sur Les îles, Yann avait un problème pour la création de sa créature et je lui ai proposé de la lui dessiner pour l’aider. Dernièrement, il m’a proposé de jouer dans son second long-métrage Un couteau dans le cœur. Je sortais de tournage, j’étais complètement épuisé, et il m’a proposé un caméo. J’ai accepté, mais ce caméo a fini par devenir un vrai rôle, et je lui ai alors proposé de passer des essais parce que je n’étais pas sûr d’y arriver. Mais ça lui a plu et j’ai donc tourné pendant dix jours. On a d’ailleurs quelques projets en commun…
Comment présenteriez-vous votre film à quelqu’un qui ne connait pas du tout votre univers ?
Je dirais que c’est un film d’aventures et un film fantastique, avec une dimension érotique et organique… Oui, je sais, ça fait beaucoup de mots en « ique »… (rires)
Propos recueillis à Lyon le 19 février 2018 par Guillaume Gas. Un grand merci au cinéma Comoedia, ainsi qu’aux journalistes Vincent Raymond du Petit Bulletin, Lucas Nunes du Film Jeune Lyonnais et Vincent Nicolet de Culturopoing, dont la plupart des questions ont été reprises ici.
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Je n’ai plus qu’une envie, le voir, en espérant qu’il soit magnif…ique!