The Ring

[Écrivez pour Courte-Focale !] En 1991 sort Ringu, deuxième roman de Koji Suzuki, soit le « Stephen King japonais ». Le succès du livre est tel que les producteurs locaux s’emparent de l’affaire et produisent une adaptation, mise en scène par Hideo Nakata (Dark Water) qui n’avait pas encore acquit sa réputation de maître de l’épouvante. Plus qu’un succès, le film est un phénomène de société, le personnage de Sadako devenant aussi célèbre que Michael Myers ou Freddy Krueger aux Etats-Unis. Intéressés par ce succès, autant public que critique, les américains achètent les droits et décident de produire un remake, sobrement intitulé The Ring et sorti fin 2002/début 2003 dans le monde entier. On pourrait pointer du doigt cette industrie de « recyclage » qui, dès qu’elle trouve une bonne idée, l’utilise et la réutilise à outrance (une histoire de base offre six films pour la saga The Grudge) ou en fait un copier-coller pur et simple (En Quarantaine). Mais ce serait oublier que certains remakes sont des réussites incontestables, et The Ring en fait partie. D’autant plus qu’à l’époque, la mode des remakes n’était pas encore totalement montée à la tête de Hollywood, et c’est avec ce long métrage de Gore Verbinski que les producteurs ont trouvé leur nouvelle poule aux œufs d’or. Car avec 249 millions de dollars de recette pour 49 investis, on peut parler de succès. Ironie du sort, outre les Etats-Unis et l’Angleterre, c’est au Japon que le film a le mieux fonctionné. Comme nous le savons maintenant, grâce à (ou à cause de, c’est selon) The Ring, les remakes se sont généralisés, une bonne vingtaine ayant été produite depuis. Mais loin des relectures opportunistes et inutiles sorties dernièrement (En Quarantaine donc, mais aussi Fog, The Eye, Pulse et consorts), The Ring est avant tout une réussite car il respecte l’original de Nakata, sans pour autant offrir une pâle copie aux spectateurs.

The Ring conte l’histoire de Rachel Keller (Naomi Watts), une journaliste qui enquête sur la mystérieuse mort de sa nièce. Au cours de son enquête, elle découvre une cassette vidéo qui serait à l’origine de ce décès prématuré. Mais alors qu’elle vient tout juste de la visionner, le téléphone sonne et une voix terrifiante lui dit « tu vas mourir dans sept jours ». Le compte à rebours commence pour Rachel, elle a sept jours pour élucider le mystère autour de cette cassette vidéo, ou elle laissera derrière elle un fils orphelin. Dans les grandes lignes, The Ring reste fidèle à l’original mais le scénario d’Ehren Kruger prend quelques libertés pour coller au mieux à la culture américaine. Il ne faut également pas oublier que ce film a avant tout était réalisé pour un public adolescent et que le scénario a donc été revu pour que divers éléments de la trame narrative apparaissent moins « obscurs ». Cependant, il ne faut pas pour autant croire que cette relecture a dénaturé l’histoire originale, le film arrivant avec un certain brio à conserver cette aura mystérieuse si chère à Nakata. Ainsi, le récit est grosso modo le même, ce qui n’empêche pas les connaisseurs de la première version d’être surpris par le remake. En effet, quitte à montrer une histoire originale au public américain, autant mettre en avant quelques nouveautés bienvenues pour les fans de Ringu. Autrement dit, The Ring est l’anti Psycho. Mais bien évidemment, pour essayer de s’assurer, en quelque sorte, le succès, Ehren Kruger apporte des références aux gros succès américains récents. On retiendra certaines similitudes avec Sixième Sens (le « je vois des gens qui sont morts » n’est jamais très loin) ou Destination Finale (à l’instar de la mort, chaque séquence semble être possédée par Samara comme une épée de Damoclès prête à s’abattre sur les protagonistes). Le remake « oublie » certains éléments très importants de l’original (le don de voyance de la mère de Samara est ici remplacé par des pouvoirs psychiques que Samara ne contrôle pas) et ajoute de nouvelles scènes capitales à la narration, plus « américanisées » (le suicide du cheval est particulièrement réussi). Les fans de l’original ont toutes les chances de se sentir dépaysés mais également de ne pas aimer les nouvelles idées (la mère de Samara, Anna Morgan, est finalement plus importante que Samara elle-même durant la quasi-totalité du film).

Bien évidemment, la télévision est une nouvelle fois au centre du remake, ce qui apporte au long métrage une certaine profondeur. Contrairement à d’autres films de fantômes se déroulant dans une maison hantée ou un lieu bien précis, les protagonistes de The Ring ne peuvent pas fuir, chaque foyer ou presque ayant une télévision. Cette idée est notamment illustrée lorsque Rachel regarde ses voisins de son balcon : tous regardent la télévision. Le scénario utilise cet objet de la vie quotidienne comme un portail sur une autre réalité, un monde que nous ne connaissons pas, celui que s’est forgé Samara pendant les sept jours où elle agonisait dans le puits. On ne découvrira pas ce monde parallèle, si ce n’est durant la courte vidéo. Pour les plus curieux, The Ring 2, la suite américaine réalisée par Nakata lui-même (peut-être pour se faire pardonner d’avoir offert un faiblard Ringu 2) offre aux spectateurs une séquence se déroulant entièrement dans le monde de Samara.
Et cette fameuse cassette vidéo ? Dans Ringu, ce terrible film durait moins d’une minute et comportait des éléments inexpliqués et/ou inexplicables. Ici, cela semble être le cas au début, mais plus le film avance, plus nous comprenons que Rachel se retrouve confrontée dans sa vie quotidienne à des éléments de la vidéo. C’est un changement qui peut sembler anodin, mais qui ne l’est aucunement, celui-ci étant surtout lié à la culture américaine, plus logique et rationnelle. Rachel utilise cette vidéo pour avancer dans son enquête, mais se retrouvera au final là où tout a commencé, dans le chalet.

C’est dans ce lieu que nous avons droit aux scènes les plus intéressantes visuellement parlant. Gore Verbinski a fait le choix de n’utiliser dans son film aucune couleur vive, l’ensemble étant très sombre et lugubre. Pourtant, lorsque Rachel regarde la vidéo, le chalet est comme tamisé d’une lumière rouge, celle créée par un arbre solitaire dont les feuilles semblent prendre feu lorsque le soleil se couche. Ce superbe effet reviendra bien entendu le septième jour, lorsque Rachel et son ex-mari retourneront dans le chalet. Visuellement parlant, le film est donc une réelle réussite, Gore Verbinski faisant preuve d’une belle audace en s’éloignant considérablement de l’esthétique de Ringu. Le metteur en scène a donc choisi une photographie froide (jamais le soleil n’arrive à franchir cette barrière de nuages) mais en totale adéquation avec la psychologie de l’héroïne, dont la solitude n’a d’égale que sa perdition. Le metteur en scène déploie tout son savoir-faire technique à l’aide d’une réalisation fluide et nette, qui sait néanmoins s’emballer quand il le faut (le suicide du cheval est de loin la scène où la réalisation est la plus tremblante). On pourra alors pardonner au long métrage quelques ajouts pas forcément honteux, mais inutiles à la narration, justes bons à rajouter des scènes d’horreur (le rêve de Rachel). Cependant, si The Ring a acquis une réputation de film effrayant, il faut reconnaître que le scénario n’a pas oublié l’aspect dramatique de l’original. Si la relation entre Aiden et Rachel est bien plus poussée dans la suite (tout comme le lien qui uni Samara et Aiden), nous avons tout de même droit ici à des scènes touchantes (l’enterrement du début, le sort des parents de Samara et de Samara elle-même) qui permettent au film de mieux berner le spectateur. Faire passer Samara pour une victime et créer l’empathie entre elle et le spectateur à l’aide d’une autre cassette vidéo dans laquelle elle dit « Mais j’en fais [du mal] et je regrette » est une excellente idée, rendant le final encore plus dérangeant.

Mais pourquoi opérer certains changements dans le récit pour arriver, tout compte fait, au même point ? Car les nouveautés ne sont pas anodines, le scénario a choisi d’étoffer le rôle de la mère de Samara, mais également d’en décider autrement sur le sort de la jeune fille. Ce n’est plus son père qui en finit avec elle, mais sa mère, celle qui voulait tellement avoir un enfant, celle qui s’est battue pendant des années pour arriver à ses fins. Elle n’est maintenant plus dotée de pouvoirs psychiques surprenants (dans l’original, elle est taxée de menteuse opportuniste et finira par se tuer, laissant derrière elle son mari et sa fille), mais est juste une femme heureuse et épanouie, qui gère une écurie. Mais quand Samara arrive, sa vie dégringole, puisque les chevaux se suicident et qu’elle voit des choses horribles dans sa tête, des choses que sa fille lui montre, inconsciemment ou non. Elle finira donc par enfermer Samara dans le puits et se tuer en sautant d’une falaise. Ce changement narratif apporte une intensité dramatique nouvelle et finalement, la mère de Samara apparaitrait presque ici comme un double de Rachel (cette idée sera poursuivie dans la suite). Car Rachel a du mal à communiquer avec son fils, un enfant solitaire et peu bavard qui semble en plus depuis peu être en lien avec une gamine morte depuis 40 ans. Ce qui explique facilement l’empathie que ressent Rachel à l’égard de la mère de Samara, et celle que ressent le spectateur, Rachel et lui partageant les mêmes opinions. En effet, la belle héroïne est présente dans la majorité des scènes (si l’on excepte l’introduction) et un véritable point d’ancrage pour le spectateur, perdu autant qu’elle dans cette histoire surnaturelle. Il est d’ailleurs intéressant de voir le lien qui se créé peu à peu entre l’héroïne et le spectateur. Nous nous posons les mêmes questions qu’elle, surtout durant la scène du visionnage. Qu’aurions-nous fait à sa place ? La question n’est pas évidente. Est-ce que, tout comme elle, la raison et le rationnel auraient pris le pas sur la peur basée sur des propos d’adolescents et légendes urbaines ? Surement. Mais quand le téléphone sonne, on regrette, tout comme elle, qu’elle se soit lancée dans un périple qui la dépasse, et dont elle ne sortira pas indemne. Cela n’aurait évidemment pas pu être possible sans le talent de Naomi Watts, dont c’est la première expérience hollywoodienne juste après David Lynch et son troublant Mullholland Drive. Et l’actrice prouve brillamment qu’il y a une vie après Lynch en livrant une prestation remarquable, tout comme le luxueux casting à ses côtés (Brian Cox est formidable, tout comme le jeune David Dorfman).

Alors si Gore Verbinski a fait un excellent travail pour imprégner son long métrage d’une ambiance inquiétante (presque malsaine), il doit beaucoup au travail remarquable de Hanz Zimmer. Le compositeur signe une bande originale saisissante qui se marie à merveille avec l’esthétique du film. La musique qui s’échappe de la vidéo est quant à elle tout simplement terrifiante, et rend les images encore plus dérangeantes. Entendre ces sons étranges collent une chair de poule qui ne nous quittera plus jusqu’à la fin. Si le final n’est pas forcément ouvert, Hideo Nakata a rempilé pour une suite, choisissant de reléguer la vidéo au deuxième rang au profit d’une histoire de possession plus classique, mais qui poursuit avec talent les principales idées du premier opus. Un troisième film serait en préparation, et comme pour la saga originale, il s’agirait d’un préquel (un remake de Ringu 0 peut-être) sans Naomi Watts donc. Une chose est sure, ce nouveau volet serait présenté en 3D. Alors si ça vous dit de voir Samara sortir littéralement de l’écran, il ne vous reste plus qu’à trépigner d’impatience.


Réalisation : Gore Verbinski
Scénario : Ehren Kruger
Production : Dreamworks Pictures
Bande originale : Hans Zimmer
Photographie : Bojan Bazelli
Montage : Naomi Kawase, Kaneko Yusuke, Tina Baz
Origine : USA
Date de sortie : 5 février 2003

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