Restless

REALISATION : Gus Van Sant
PRODUCTION : Imagine Entertainment, Columbia Pictures, 360 Pictures Inc.
AVEC : Henry Hopper, Mia Wasikowska, Ryo Kase, Schuyler Fisk
SCENARIO : Jason Lew
PHOTOGRAPHIE : Harris Savides
MONTAGE : Elliot Graham
BANDE ORIGINALE : Danny Elfman
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Drame
DATE DE SORTIE : 21 septembre 2011
DUREE : 1h35
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Bien qu’en phase terminale d’un cancer, la jeune et jolie Annabel Cotton est animée d’un amour profond de la vie et de la nature. De son côté, Enoch Brae a cessé d’avoir envie de faire partie du monde depuis que ses parents sont tragiquement morts dans un accident. Lorsque ces deux êtres à part se rencontrent à un enterrement, ils se découvrent d’étonnants points communs. Pour Enoch, dont le meilleur ami se trouve être le fantôme d’un pilote de guerre kamikaze, et Annabel, qui voue une fascination à Charles Darwin et à la vie de toute créature, c’est le début d’une relation exceptionnelle. En apprenant la mort imminente d’Annabel, Enoch propose de l’aider à vivre ses derniers jours avec intensité, au point de défier le destin, les traditions et la mort elle-même.

Cette année au Festival de Cannes, c’était un cinéaste de grande importance, auréolé d’une Palme d’Or et d’un Prix de la mise en scène en 2003 (pour Elephant) ainsi que d’un Prix spécial du 60e festival en 2007 (pour Paranoid Park), qui ouvrait la section Un Certain Regard, quand bien même celle-ci est objectivement moins prestigieuse – bien que de plus en plus intéressante – que la Compétition officielle. Les réactions de la presse internationale suite à la projection de son nouvel opus ont été si modérées que l’on ne parlait même plus de celui-ci deux jours plus tard sur la Croisette ! On pouvait facilement s’y attendre. Car Restless raconte l’histoire d’un adolescent perturbé suite au décès de ses parents et qui fait la connaissance d’une jeune fille en phase terminale d’un cancer : soit à priori un pur mélodrame, rien qui ne puisse laisser présager un retour de Gus Van Sant aux expérimentations plus ou moins radicales qui en ont fait l’un des metteurs en scène les plus célébrés par la critique au cours des dix dernières années. De fait, l’affiche promotionnelle qui circulait déjà dans les médias en mai dernier annonçait « par le réalisateur de Will Hunting et de Harvey Milk », soit deux des films que le cinéaste a réalisés, comme Restless, dans le circuit hollywoodien et non à sa marge. Indéniablement, Gerry, Elephant, Last Days et Paranoid Park, les quatre films qu’il réalise entre 2002 et 2007 dans une sorte d’échappée solitaire loin des rives du cinéma hollywoodien classique, sont ses plus personnels, ne serait-ce parce qu’il les monte (excepté Paranoid Park) et les scénarise lui-même, ce qu’il n’avait pas fait depuis le milieu des années 1990. Mais au-delà de la catégorisation sommaire (films hollywoodiens/films indépendants) qui éloignerait ces œuvres du nouvel opus de Van Sant, le souvenir de cette quadrilogie consacrée à l’errance d’une jeunesse déboussolée nous accompagne dans le visionnage de Restless

Certaines raisons à cela sont évidentes : Van Sant revient à Portland, sa ville de résidence qui servait de décor à quelques-unes de ses histoires adolescentes, et les arbres des quartiers résidentiels, des grands parcs et des forêts de la ville offrent ici de parfaites couleurs automnales à une histoire qui – de même que cette saison est en quelque sorte un passage progressif de l’été à l’hiver – se situe dans un entre-deux (entre la vie et la mort, nous y reviendrons), esquive toute radicalité, tout excès de pathos ou inversement toute surcharge de légèreté factice, et impose la demi-teinte comme seul parti-pris. Egalement, le film met en scène des personnages adolescents et marque ainsi, après la « parenthèse » Harvey Milk, le retour du cinéaste à cet âge qui l’intéresse plus que tout autre en ce qu’il est à ses yeux le plus vibrant de l’existence, celui auquel presque chaque expérience, chaque épreuve, est une première fois. Enfin et surtout, cette jeunesse est, une fois de plus chez Van Sant, confrontée à la mort. La mise en perspective de Restless avec Elephant ou encore Paranoid Park a ceci de nécessaire que la portée n’en serait pas aussi importante si ces films précédents n’existaient pas, s’ils n’étaient pas là pour servir de références et mettre en valeur l’évolution du traitement de ces thématiques communes par le réalisateur – évolution dont Restless est l’aboutissement. Certes Van Sant n’est pas lui-même l’auteur du scénario (c’est le jeune Jason Lew, qui voulait initialement écrire une pièce de théâtre avant que son amie Bryce Dallas Howard ne l’encourage à écrire l’histoire d’un film qu’elle produirait elle-même), mais il ne cesse de répéter en entretien à quel point celui-ci correspondait à ce qu’il avait envie de mettre en scène, à quel point il l’a porté à l’écran tel quel, sans y apporter la moindre modification.

Toute la « normalité » de Restless, tant sur le plan narratif que sur celui de la mise en scène, paraît trouver une justification lorsqu’on le confronte à ses aînés dans l’œuvre vansantienne. La sophistication formelle de la quadrilogie évoquée précédemment paraissait figurer une sorte de bulle dans laquelle évoluaient les jeunes personnages, semblait être là pour offrir une consolation illusoire au tragique de leur existence. Mais la bulle menaçait toujours d’éclater et de marquer ainsi une prise de conscience brutale de la dure réalité, et cet éclatement était la fin sans appel d’Elephant ou encore de Last Days, tandis que seul Paranoid Park offrait un épilogue plus optimiste après que le personnage s’est confronté à sa propre violence. Ici, c’est comme si l’éclatement était déjà advenu depuis bien longtemps, et donc comme si la réalité n’avait pas besoin d’être enjolivée par quelque virtuosité formelle que ce soit – d’où cette épure, dont on avait perdu l’habitude chez Van Sant. Restless s’ouvre sur la rencontre des protagonistes qui assistent tous les deux à un enterrement sans y connaître qui que ce soit. Ils sont « habitués à la mort » depuis un certain temps, Enoch parce qu’il l’a pour ainsi dire connue lors de l’accident de voiture qui a tué ses parents et l’a plongé dans un coma long de trois mois, Annabel parce qu’elle s’avance lentement vers une rencontre imminente avec elle : il ne reste à la jeune fille que trois mois à vivre lorsque le métrage débute. Au début, on pense bien sûr à Harold et Maude (1971) en croyant qu’Enoch et Annabel partagent eux aussi un goût pour le macabre qui faisait toute l’ironie morbide du film d’Hal Ashby. Il n’en est rien : lui est obsédé par les enterrements parce qu’il n’a pas pu assister à celui de ses propres parents, étant plongé dans le coma, et elle paraît vouloir s’habituer à l’idée de sa mort prochaine pour s’y diriger avec la plus grande sérénité possible. C’est ce que lui proposera Enoch : de l’aider à aller vers la mort, lui qui, en quelque sorte, en revient. Sa solution est simple : vivre plus intensément que jamais.

Dès lors, la menace du basculement de l’œuvre dans une catégorisation « feel-good movie » peu digne de Van Sant apparaît. Mais jamais il ne mettra le paquet sur un humour qui serait alors apparu bien poussif. On craint un temps qu’il nous ressorte la structure binaire qu’ont trop de comédies dramatiques : déferlante joyeuse puis dernier temps tire-larmes. Bien au contraire : la réussite du film tient principalement à ce qu’il est fondamentalement en nuance, et ce sur toute sa durée. La portion infime de leurs vies que partagent Enoch et Annabel est pour ainsi dire cernée par la mort : c’est un enterrement qui permet leur rencontre, et leur relation est annoncée d’emblée comme éphémère. Tous deux ont conscience d’évoluer dans cet entre-deux que l’on évoquait précédemment, d’être en sursis. La vie et la mort se mêlent dans chacune de leurs conversations décalées : dans ce dialogue entre Annabel et Hiroshi (le fantôme d’un kamikaze japonais de la Seconde Guerre Mondiale qui accompagne Enoch depuis sa sortie du coma) où Enoch sert d’intermédiaire ; dans l’évocation par Annabel de ces oiseaux qui croient mourir au crépuscule et qui, le matin, au réveil, épatés d’être en vie, chantent merveilleusement ; et – moment déchirant traité pourtant avec la même pudeur que tout le reste – lorsqu’Enoch imagine pour les funérailles d’Annabel quelque chose de très gai et se dit certain qu’ils s’y amuseront bien tous les deux… avant de réaliser l’absurdité de ce qu’il vient de dire. Rien n’est de trop, même pas ce personnage un peu risqué du fantôme, qui permet certes quelques raccourcis narratifs (il prévient Enoch lorsque l’état d’Annabel s’aggrave) mais enrichit cette évocation de la mort en ce qu’il a lui-même eu une mort connue d’avance et que sa présence plutôt chaleureuse est un supplément d’apaisement pour les deux jeunes gens.

Le tragique de cette situation est sans cesse déjoué par Van Sant en ce qu’il lui permet de fixer la quintessence de cette jeunesse qui l’obsède : les découvertes – principalement celle du sexe – et les épreuves des personnages ne sont plus seulement des premières fois mais aussi, du moins pour Annabel, des dernières fois, et elles n’en sont donc que plus intenses, plus puissamment vécues. Il y a une certaine poétique romantique dans cette manière dont le cinéaste peint la beauté épanouie sans jamais oublier que celle-ci est bientôt amenée à disparaître. D’ailleurs, il est important de noter que, s’il se situe entièrement entre vie et mort comme on l’a dit, le film ne met pas en scène le passage précis de l’une à l’autre, autrement dit le décès en soi, ni même la période des derniers jours agonisants. La fin n’en est que plus belle : on en vient directement, après une ellipse, aux funérailles d’Annabel, aussi colorées que prévues, et à la tentative d’Enoch de prononcer un discours. Il voudrait parler de la morte, mais seules des images de la vivante lui reviennent et il ne peut faire autre chose que simplement sourire. Ici, le cap de la quadrilogie adolescente est franchi en ce qu’aucun élément extérieur (la forme sublime du film dans Elephant ou encore le personnage de l’amie confidente dans Paranoid Park) n’a à venir consoler le personnage du tragique de l’existence. Il se console lui-même, se cramponnant au bonheur que lui a offert celle qu’il aimait, le faisant se prolonger en lui après la mort d’Annabel. Van Sant n’a pas à intervenir en complexifiant le récit pour l’amener à quelque optimisme bricolé, il n’a plus à dominer ses personnages, simplement à les admirer. L’hommage qu’il leur rend est magnifique.

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