La Planète Des Singes – Les Origines

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Dix ans après avoir réactivé la série au travers d’un remake aussi gigantesque que raté, Twentieth Century Fox donne aujourd’hui un nouvel électrochoc de vitalité à La Planète Des Singes par la méthode du reboot. Autrement dit, ils vont nous relater le moment où le singe se rebella contre l’homme. Pour les fans de la franchise, cela revient à faire un remake de La Conquête De La Planète Des Singes, quatrième opus réalisé par Jack Lee Thompson. Un sujet ambitieux au vu de ce qu’a offert son aîné mais qui n’augurait pourtant rien de bon. Par les temps qui courent, il est rare qu’une major comme la Fox prenne le taureau par les cornes et plonge sans scrupule dans les méandres d’une œuvre au propos si troublant. La bande annonce parlait d’elle-même quant à un échec se profilant à l’horizon. Dans la forme, le film prend l’aspect d’un produit conventionnel avec son environnement urbain gris métallisé très en vogue cette décennie. Dans le fond, ces quelques extraits semblaient s’atteler à pointer du doigt la dangerosité des expérimentations scientifiques ou comment l’homme allait payer de s’être cru aussi fort que Dieu. Un emballage pas particulièrement alléchant rendant d’autant plus agréable la surprise que constitue La Planète Des Singes : Les Origines (quel titre banal à côté du Rise Of The Planet Of The Apes original). Se posant comme le meilleur blockbuster de la saison estivale (un exploit certes relatif vu la « qualité » de sa concurrence), le film de Rupert Wyatt a le bon goût de trouver sa propre voie malgré le poids de son lourd héritage.

La production n’a certes pas pu s’empêcher d’insérer des clins d’œil au classique de Franklin J. Schaffner (le chimpanzé surnommé « Beaux Yeux », César construisant une statue de la liberté miniature, les astronautes égarés dans l’espace) mais le film ne vit pas à travers ces derniers. Les Origines ne se la joue pas fanboy et construit sa propre histoire en s’inspirant de la tradition fixée par Les Evadés, La Conquête et La Bataille De La Planète Des Singes. Le film se permet ainsi quelques écarts avec la mythologie (le final inspiré de L’Armée Des Douze Singes change sensiblement l’Histoire jusqu’alors connue) mais de faible considération au regard du choix de la narration. C’est ce dernier qui crée la surprise et annihile les craintes de la bande-annonce. En voyant celle-ci, on s’attendait à voir un film nous démontrant comment l’homme perd le contrôle et devient l’architecte de sa propre destruction par son aveuglement obstiné. Or, si cet aspect est dans le film, il n’est qu’au second plan. La critique de l’obsession de la société pour le sacro-saint progrès n’est pas le sujet du film, tout simplement parce que le film n’opte pas pour le point de vue des humains et donc de leurs préoccupations. A l’instar de ses prédécesseurs (on n’inclura pas là le remake foireux de Tim Burton), c’est le point de vue du singe qui est embrassé.

En conséquence, le film s’ouvre dans la jungle où quelques spécimens simiesques seront capturés pour être revendus à des centres d’expérimentation. Ce choix tend à justifier le recours à ce fameux esthétisme métallique pour les premières scènes avec les humains. Il s’agit par là de marquer la transition vécue par l’animal de la nature verdoyante à une sorte d’inquiétant purgatoire dont il pense qu’il pourra se libérer en se soumettant et en réussissant les épreuves qu’on lui soumet. Il apparaît très logique dans cette optique que le projet se nomma en premier lieu Caesar avant d’être changé pour marquer clairement l’appartenance à la franchise. Le singe César est le personnage principal et le scénario s’attelle entièrement à dépeindre son évolution. C’est là le caractère passionnant du film que se soit dans le scénario ou sa mise en images. Au lieu de recourir aux maquillages qui ont fait la gloire de la série, Les Origines opte pour la performance capture. Le travail confié à Weta Digital est visuellement bluffant mais surtout parfaitement adéquat aux nécessités du projet. Acteur régulier de la franchise, Roddy McDowall avait expliqué que le maquillage oblige le comédien à surjouer afin que son interprétation transparaisse par-delà le latex.

Grâce à la performance capture, l’acteur est libéré de la contrainte du surjeu. Il n’a plus à se demander si il risque de plonger dans les tréfonds du cabotinage et peut ainsi se concentrer sur toutes les possibilités à sa disposition pour exprimer les émotions de son personnage. Du fait de la quasi-absence de dialogues, le choix de la performance capture apparaissait indispensable pour créer le maximum d’attachement envers les singes grâce à une restitution parfaite du jeu des comédiens. En ce sens, l’interprétation d’Andy Serkis est tellement intense qu’elle risque bien de constituer un des moments forts de l’année cinématographique. Alors que l’académie des oscars commence à assouplir sa position vis-à-vis de la performance capture, peut-on espérer une possible nomination (et rêvons consécration) pour Serkis ? Cela ferait de toute évidence plaisir à Robert Zemeckis, initiateur de l’emploi de la technique au cinéma qui pleurnichait à n’en plus finir dans le commentaire audio du Drôle De Noël de Scrooge sur le fait que Jim Carrey aurait dû remporter l’oscar. D’ailleurs, le réalisateur Rupert Wyatt salue souvent Zemeckis par sa mise en scène en reprenant certains de ses tics comme sa caméra en contre-plongée sous le plancher et surtout de longues prises de vue impossibles saisissant toute l’évolution des personnages lorsqu’ils appréhendent leur environnement.

L’évolution est la clé du film. Il ne s’agit pas tant de la relation d’apprentissage entre le scientifique et son cobaye mais dans la capacité à nous faire ressentir le parcours d’un personnage et sa perception du monde. D’ailleurs, le film ne comprend pratiquement pas de scènes dites d’éducation où seraient transmises des notions élémentaires comme le bien et le mal. César grandit par lui-même et se construit au sein d’un univers limité. Son milieu est en effet circonscrit en un premier temps à la maison du scientifique d’où il ne peut sortir que pour quelques escapades dans une forêt de séquoias. Le personnage évolue à sa guise dans cet univers où pratiquement aucune force extérieure ne peut s’introduire. Cela vaut d’ailleurs mieux puisque l’homme est lui-même tellement recroquevillé sur son petit monde qu’il ne peut accepter la différence que ce soit des promeneurs choqués qu’on traîne un chimpanzé en laisse au lieu d’un chien à un banlieusard y voyant d’office une menace pour son foyer. Ce dernier démontrera d’ailleurs plus loin que ce recroquevillement s’allie à une forme d’aliénation lorsqu’il montrera ne pas être au courant de la maladie d’Alzheimer dont souffre son voisin. L’homme est une créature censée être naturellement sociable mais celle-ci a de toute évidence une portée limitée. La preuve en est avec le personnage principal humain, faux idéaliste exploitant les ressources du laboratoire pour trouver un remède à la maladie de son père mais qui se moque que le système l’exploite également pour accroitre ses profits.

César est lui-même soumis à cette absence de socialisation en raison d’une absence d’échanges véritables avec l’extérieur. La perception du monde par César est forcément faussée en ce sens puisque bien que traité comme un homme, il ne peut être accepté par l’humanité. Il ne peut l’être non plus par ses congénères puisque comme l’homme, il n’a jamais su appréhender pleinement sa part de primitivité. Cela rend d’autant plus forte et irréparable la trahison de son créateur obligé donc de l’abonner dans un nouveau monde où la socialisation sera la clé des rapports de force. Après des débuts difficiles, César va comprendre qu’il doit accomplir le même schéma que dans sa vie antérieure : évoluer dans cet environnement, en comprendre les mécanismes et en tirer partie. Le voir se construire une position de domination au sein de cette nouvelle société s’avère fascinant puisqu’appelant un sentiment universel d’affranchissement. Comme le montre la très belle scène avec le gorille, il est facile d’envisager une autre façon de penser le monde pour peu de l’accepter. Au bout du compte, Les Origines exprime moins un sentiment de révolte qu’un désir de libération. En ce sens, le dernier acte ne fait ainsi que suggérer par touches le changement dans l’ordre naturel de domination. La course des singes dans les arbres provoque une chute de feuilles qui crée une imagerie automnale annonçant la mort à venir de l’humanité, l’évasion du laboratoire montre la fuite des singes à travers le reflet d’une vitre et le climax prend place sur un pont notant ainsi le passage entre deux univers. Dans son objectif certifié PG-13, César ne désire pas asservir l’homme pour prendre son monde mais en trouver un qui lui sera propre.

Il n’y a qu’à voir son expression lorsqu’il commettra son premier meurtre, jalon indispensable de son cheminement de leader. C’est d’ailleurs une des belles qualités du script d’avoir réussi à lier intimement son parcours personnel avec la démarche « historique ». On n’en dira pas autant des humains. Ceux-ci n’ont jamais qu’une valeur fonctionnelle que ce soit une petite amie jouant la bonne conscience (non mais c’est pas bien de faire tes expériences contre nature) et un gardien de zoo servant juste à attiser la colère de César envers l’humanité (que demander de plus à Tom Malfoy Felton en même temps ?). Il y avait toutefois quelques pistes intéressantes à explorer notamment à travers la figure paternelle interprétée par John Lithgow qui aurait pu être un élément de conflit entre Will et César (ce dernier se montrera ainsi plus attentif aux réminiscences de sa maladie que son fils biologique). Si il est naturel que le spectateur porte toute sa sympathie envers les singes, ça ne permet pas aux scénaristes de délaisser les hommes au-delà du raisonnable. Il en va de même pour la notion de perception du monde où la narration délaisse parfois une certaine logique et laisse poindre un nombre grossier d’invraisemblances (les scientifiques produisent encore des échantillons de test bien des années après l’abandon du projet, les gardiens de zoo sont tellement aveugles qu’ils ne remarquent pas les capsules chimiques traînant sur le sol). Cela dit, il s’avère au vu des extraits de tournage diffusés ces derniers mois sur internet que plusieurs séquences ont été coupées au montage. Parmi les sacrifices, on notera le personnage de Cornelia, un chimpanzé dont César s’éprendra et qui justifiera son intrusion au laboratoire dans le dernier acte.

On attend donc avec impatience l’annonce de la version longue (c’est quand même devenu une mauvaise manie depuis plusieurs années) et on dira même plus de la suite. Car le studio n’a pas craché sur une fin ouverte qui laisse largement la place à un nouvel épisode. On pense notamment par là au personnage de Jacobs. Tout juste esquissé dans le dernier acte, ce chimpanzé est loin de montrer les mêmes prédispositions que César quant au sort du genre humain. Nul doute qu’il y a l’idée d’une suite centrée sur leur antagonisme qui traîne dans le crâne d’un scénariste. En l’état, cela n’empêche pas de savourer La Planète Des Singes : Les Origines qui se pose parmi les meilleures suites de la série.


Réalisation : Rupert Wyatt
Scénario : Rick Jaffa et Amanda Silver
Production : Twentieth Century Fox
Bande originale : Patrick Doyle
Photographie : Andrew Lesnie
Origine : USA
Titre original : Rise Of The Planet Of The Apes
Date de sortie : 10 aout 2011
NOTE : 4/6

 

2 Comments

  • RedRoss Says

    Justement, je dirai qu'on sent beaucoup trop la suite à venir, tant le film se termine brutalement. Si bien que j'ai plus de mal à le considérer comme un film à part entière que comme un épisode zéro. Un peu déçu par la politique et les choix de la Fox donc. Sans même avoir besoin d'opter pour le format 120' ils auraient pu pas mal couper de scènes du chenil par exemple, pour nous offrir une fin respectant leurs promesses. Mais à partir de la scène du pont tout me semble un peu survolé, du sacrifice sans ampleur du gorille jusqu'à l'adieu définitif de Caesar. Reste que j'adore le film pour toutes les raisons que tu cites et sur lesquelles il est inutile de revenir, mais autant dire que s'ils foirent la suite, alors ça ne lui desservira énormément.

  • Que dire de plus si ce n'est que j'ai également beaucoup aimé ce film, pour les raisons que tu énonces. Dommage que certaines invraisemblances viennent partiellement ternir un scénario très bien construit et que les humains n'est finalement qu'une place peu importante dans l'évolution du récit. Mais Les Origines s'impose comme le meilleur blockbuster de l'été.

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