Le vent se lève

REALISATION : Hayao Miyazaki
PRODUCTION : Studio Ghibli
AVEC : Hideaki Anno, Miori Takimoto, Hidetoshi Nishijima, Masahiko Nishimura, Morio Kazama, Keiko Takeshita
SCENARIO : Hayao Miyazaki
PHOTOGRAPHIE : Atsushi Okui
MONTAGE : Takeshi Seyama
BANDE ORIGINALE : Joe Hisaishi
TITRE ORIGINAL : Kaze tachinu
ORIGINE : Japon
GENRE : Animation, Anime, Drame
ANNEE DE SORTIE : 22 janvier 2014
DUREE : 2h06
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Inspiré par le fameux concepteur d’avions Giovanni Caproni, Jiro rêve de voler et de dessiner de magnifiques avions. Mais sa mauvaise vue l’empêche de devenir pilote, et il se fait engager dans le département aéronautique d’une importante entreprise d’ingénierie en 1927. Son génie l’impose rapidement comme l’un des plus grands ingénieurs du monde.
Le Vent se lève raconte une grande partie de sa vie et dépeint les événements historiques clés qui ont profondément influencé le cours de son existence, dont le séisme de Kanto en 1923, la Grande Dépression, l’épidémie de tuberculose et l’entrée en guerre du Japon. Jiro connaîtra l’amour avec Nahoko et l’amitié avec son collègue Honjo. Inventeur extraordinaire, il fera entrer l’aviation dans une ère nouvelle.

Les fins de carrière sont toujours de redoutables moments d’appréhension pour le spectateur. Vénérés il y a encore peu, nos cinéastes favoris doivent surmonter la diminution de leurs capacités corporelles et mentales après tant d’années de travail. Le résultat n’offre souvent que des objets fatigués où ils répètent des motifs convenus sans pouvoir leur injecter la même vivacité d’antan. Des radotages inarticulés et incohérents qu’on préférera omettre pour privilégier le souvenir de l’époque où ces grands artistes furent au sommet de leur créativité. Il va de soi que cette sinistre malédiction n’a rien d’une fatalité et que fort heureusement, plusieurs contre-exemples viennent en attester. S’il y a bien un réalisateur dont on pouvait s’assurer qu’il rejoindrait le rang de ces exceptions, c’est Hayao Miyazaki. Du haut de ses soixante-douze ans, il a annoncé que Le Vent Se Lève serait son dernier long-métrage. Un ultime travail pour lequel il se réserve pourtant un certain nombre de défis. Il s’attelle ainsi à l’exercice de la biographie en se basant sur le concepteur d’avions Jiro Horikoshi. Pour ne rien gâcher, ce personnage historique n’est pas des plus aisés à traiter puisque son œuvre principale est le tristement célèbre chasseur zéro qui fera des ravages durant la seconde guerre mondiale. Alors que certains au sein même du studio Ghibli reprochaient une tendance au recyclage sur ces derniers films, Miyazaki veut faire un film qui lui ressemble mais de manière différente. De quoi être confiant en somme vis-à-vis d’un projet où la sagesse du maître se met au service de nouvelles ambitions. La chute n’en sera plus que dure.

Pourquoi faire un tel film et surtout comment le faire ? Tout au long de la production, Miyazaki fut suivi par la chaîne NHZ dans le cadre de l’émission Professional Shigoto no Ryuugi. Le reportage qui en fut tiré regorge de moments où le réalisateur se tape la tête contre les murs face à la complexité de cette question. Un tel comportement n’est pas inédit de la part de Miyazaki et fait partie intégrante de son perfectionnisme. Il apparaît toutefois clair au gré de ces instants recueillis que Le Vent Se Lève est un film majeur dans la carrière du cinéaste. Cela provient d’une part des défis précédemment exposés et d’autre part de ce que le projet représente pour lui. Si un thème se dégage particulièrement du long-métrage, ça serait la manière dont le rêve est rattrapé par la réalité. Contrairement à ce qui fut avancé en raison de son statut de film historique, Le Vent Se Lève n’est pas entièrement dépourvu d’imaginaire. Néanmoins, celui-ci a une fonction bien spécifique qui diverge des habitudes de Miyazaki. Dans la première scène, Jiro rêve qu’il pilote un avion. Après un vol calme et serein, des formes monstrueuses apparaissent dans le ciel. Il chausse des lunettes de protection pour passer à l’attaque. Mais sa vision se retrouve brouillée. Instinctivement, il retire les lunettes de protection en-dessous desquelles sont apparues des lunettes de vue jusqu’alors absentes du rêve. Jiro est effectivement myope et ce handicap l’empêchera de devenir aviateur. D’une manière ou d’une autre, ce concept du rêve virant au cauchemar revient dans toutes les séquences oniriques. Ce sont d’ailleurs par ces scènes que le personnage fait face à ses aspirations et à leurs conséquences. Dans la réalité, Jiro ne s’y confrontera pas particulièrement. Le concept y trouvera néanmoins des expressions similaires. Les tests de ses prototypes concrétisent un instant ses magnifiques rêves d’envol jusqu’à ce que les forces de la physique prennent le dessus et disloquent la carlingue.

Cette fin du rêve trouve un écho particulier par rapport à un film censé clôturer la prestigieuse filmographie de Miyazaki. Depuis la sortie de Princesse Mononoké il y a maintenant plus de quinze ans, le réalisateur ne cesse de repousser son départ à la retraite. Comme le montre le reportage cité plus haut, il accuse aujourd’hui son âge. Il enrage de ne plus avoir la même vivacité de trait et d’esprit qu’auparavant. Le réalisateur se doit d’intégrer qu’il est un septuagénaire et qu’il n’a peut-être plus suffisamment de réserves pour mener ses projets comme il l’entend. La réalité l’a rattrapé et il s’en attriste au moins autant que nous. Quitte à enfoncer le clou, l’actualité alimente cette mélancolie. Il y a la crise économique qui renvoie à celle de l’époque décrite dans le film et il y a bien sûr la catastrophe de Fukushima. À la sortie de Princesse Mononoké, Isao Takahata félicitait son partenaire et néanmoins rival pour son film mais remettait en même temps en cause le fond de ce dernier. Pour reprendre ses dires : « les films fantastiques parlent d’amour, de justice, de courage mais j’affirme que tout ça est inutile pour appréhender la vraie vie ». Les films de Miyazaki usent justement de l’imaginaire tout autant comme source d’émerveillement que d’enseignement. A la lumière des faits exposés, Miyazaki laisse parler avec Le Vent Se Lève le doute quant à l’échec de sa pensée, cette possibilité que l’imaginaire ne peut finalement déteindre sur la réalité. L’épreuve est courageuse et on ne peut y rester indifférent.

Néanmoins, on osera poser une question. Si Le Vent Se Lève est un film majeur pour le réalisateur, l’est-il pour le spectateur ? Par là, il convient de s’interroger non pas sur ce que le long-métrage représente pour celui qu’il l’a créé mais ce qu’il procure à son audience. Ici se trouve la grande problématique du Vent Se Lève. Est-ce que ce dernier comporte des audaces formelles et narratives équivalentes à des œuvres essentielles comme Nausicaä ou Mon Voisin Totoro ? La réponse tendrait vers la négative. L’optique particulière revendiquée par le film pourrait être naturellement une cause de cette appréciation. Mais cette sorte d’inconfort du visionnage semble trouver une origine plus profonde. Le génie des artistes peut se jauger à leur capacité d’adapter leurs moyens à la finalité recherchée. Preuve en est les deux long-métrages précités, deux œuvres radicalement différentes mais aussi primordiales l’une que l’autre. Or, au-delà du propos, c’est bien une régression dans l’utilisation de ces moyens qui est constatée. Le Vent Se Lève rappelle en ce sens que les faiblesses d’Arrietty n’étaient pas uniquement dues à la réalisation du novice Hiromasa Yonebayashi mais bien également au scénario de Miyazaki.

Plus haut, on notait que les scènes de rêves constituaient les moments de confrontation du personnage principal avec ses ambitions. Ces passages prennent surtout la forme de discussions avec l’ingénieur italien Caproni. La verbalisation est assez grossière surtout de la part de quelqu’un comme Miyazaki. Elle devient encore plus ennuyeuse lorsqu’elle devient une mise à plat pure et simple de ce qui devait constituer les circonvolutions du récit. Dans le reportage, on voit Miyazaki élaborer la scène où Caproni demande à Jiro si il est prêt à accepter ce cadeau maudit consistant à élaborer des avions de guerre pour pouvoir exprimer sa créativité. Le réalisateur se montre peu convaincu par la scène et il se montre là un bon juge. Tentons une comparaison avec Princesse Mononoké. De façon similaire, c’est un dialogue qui définit ce que sera le parcours du héros : porter sur le monde un regard sans haine. Toutefois, la réplique équivaut à une clé sans serrure. C’est par le cheminement du personnage et ses rencontres que l’affirmation reflétera toute sa complexité. Les affirmations dans Le Vent Se Lève sont des solutions préemballées qui n’appellent aucun approfondissement et se circonscrivent à une posture naïve.

D’une certaine manière, cela renvoie à la difficulté pour Miyazaki de traiter son personnage historique. Il finira pourtant par trouver l’angle d’attaque adéquat. Jiro est un créatif et son art ne peut s’exercer qu’au sein d’une conjoncture imposée. En l’occurrence, l’époque où il évolue ne lui offre qu’une possibilité : construire des instruments de guerre. Jiro accepte donc cette malédiction, quand bien même l’accomplissement de son rêve deviendra le cauchemar de bien d’autres. En fait d’acceptation, on peut s’interroger si ce n’est pas juste de la négation. Le personnage s’apparente à un pantin ne vivant que par son désir de création. Il est totalement renfermé et ce désir se ressent alors comme une fonction et non comme la seule source d’exaltation du personnage. Jiro est en ce sens un personnage quasi-passif et il est fort difficile d’éprouver la moindre empathie pour lui. Il suit son chemin sans sourciller, ne prêtant pas attention à la grande histoire (le regard du gouvernement sur ses travaux) comme à sa propre histoire (sa relation amoureuse avec Nahoko). Le personnage est terne mais le film manipule moins cette caractéristique qu’elle ne la subit. Finalement, le spectateur rejoint ce personnage. Aucune emprise émotionnelle ne se produit au fil d’un récit décousu jonglant péniblement entre ses grande et petite histoire avant de s’enfermer dans une ambiance d’académisme frigide.

Le constat est peut-être cruel, surtout qu’on parlera difficilement de ratage et de désastre. En soit, Le Vent Se Lève n’est même pas une fin de carrière indigne comparativement à d’autres. Oui, mais Miyazaki n’a rien d’un autre et c’est ce qui place l’exigence de son œuvre si haut. Du coup, ça fait forcément mal de le voir partir sur le film le moins maîtrisé de toute sa filmographie.

2 Comments

  • LN Says

    Merci pour votre critique. Ca m’intéresserait d’avoir la référence des propos d’Isao Takahata pour me documenter un peu plus à ce sujet. Merci d’avance !

  • Le propos de Takahata est issu du reportage télé qui suivit la production de Mes Voisins Les Yamada. Il est disponible en bonus sur le bluray ;)

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