Insidious

Retrouvez notre dossier consacré au festival Hallucinations Collectives 2011

James Wan arrivera-t-il un jour à passer le cap ? Depuis le succès surprise de Saw, on attend désespérément que le jeune réalisateur australien officiant à Hollywood arrive à nous sortir une véritable bombe cinématographique. En soit, la faute lui serait difficilement imputable au vu des efforts qu’il accomplit au niveau de sa mise en scène. Ça n’est un secret pour personne que les effets de style du surestimé Saw constituaient plus des moyens de contourner les problématiques économiques de la production que des choix artistiques pleins et entiers. Avec Dead Silence et Death Sentence, Wan bénéficiera de moins de restrictions et démontrera quelles sont ses véritables envies de cinéma. A l’imagerie crade et au montage hystérique entourant les machiavéliques machinations de Jigsaw, Wan y exprimait au contraire une volonté de revenir à une imagerie gothique léchée et à un filmage d’une fluidité remarquable. Mais le désappointement apparaît lorsqu’on voit à quoi il met au service son talent. En effet, les trois premiers longs métrages de Wan se caractérisent par des problématiques scénaristiques assez effarantes. Des soucis allant de l’exploitation maladroite du concept (le huis-clos fort aéré de Saw) à la gestion médiocre de ses sous-intrigues (Dead Silence et sa mythologie tournant parfois au ridicule) en passant par un attachement au genre trop déférent pour créer la surprise (la mécanique narrative archi-revue de Death Sentence). Des défauts que Wan arrive à écarter grâce à l’éclatante réussite de ses réalisations. Les expériences sont tout à fait plaisantes mais au fond sont frustrantes tant on sent que l’artisan en lui pourrait donner beaucoup plus si on lui offrait une base scénaristique déjà riche au départ. Son nouveau film Insidious ne va pas changer la donne.

Pourtant, les choses auraient pu être bien pires. On pouvait avoir des craintes à voir Wan s’embarquer dans une production entre les mains des responsables du pétard mouillé Paranormal Activity. Allait-il pouvoir s’exprimer pleinement au sein d’une telle entreprise ? On est d’autant plus ennuyé que la bande annonce avoue clairement sa filiation avec le film d’Oren Peli en mettant en avant un propos identique (ce sont les personnages qui sont hantés et non la maison). Mais Wan va d’emblée nous prouver qu’il a les choses bien en main. Le grand défaut de Paranormal Activity qui l’empêchait d’être ne serait-ce qu’un divertissement regardable tenait dans une absence complète d’attachement envers son couple. Un souci lié à la justification puérile de son dispositif cinématographique (chérie claquons toute nos économies dans des caméras high tech pour capter un phénomène paranormal tellement cool qu’on aura plein de clics sur notre compte Youtube) et par la connerie monstrueuse du personnage masculin (quand on vous dit de ne surtout pas faire quelque chose car c’est dangereux, vous vous empressez d’agir de cette manière vous ?). Wan provoque lui immédiatement de l’empathie envers sa famille qui vient fraîchement d’emménager dans sa nouvelle maison. Une qualité qui découle expressément de sa capacité à tout mettre en place par le biais sa mise en scène. Pour sa première séquence, il conçoit ainsi un cadrage qui indique immédiatement la certaine distance installée dans le couple incarné par Rose Byrne et Patrick Wilson. Une distance qui sera confirmée lorsque plus loin la femme, compositrice de son état, se mettra à entonner une chanson sur un désir de changement qui n’arrivera jamais. C’est là le grand talent de Wan de réussir à rendre émotionnellement touchant ses personnages en transcendant les nécessités narratives par sa mise en scène. C’est d’ailleurs par cela qu’il offrira plus loin l’une des scènes les plus poignantes du film où se télescopent une idée purement visuelle (la découverte de dessins d’enfant), dimension dramatique des personnages (le père prend conscience qu’il n’a pas été très attentif envers sa famille) et besoin de progression de l’intrigue (ce passage va permettre de justifier l’évolution du récit).

La peinture du quotidien fonctionne à merveille en conséquence et permet de marquer avec d’autant plus de force l’apparition du fantastique. Ce sentiment se retrouve tout particulièrement dans l’ambiance sonore. Insidious emploie ainsi ce procédé éculé qui consiste à lancer des cordes stridentes ou un retentissement de percussions lorsque le surnaturel apparaît. Le procédé est presque honteux de nos jours puisqu’il permet de générer sans grand embêtement un sentiment de peur éphémère à son spectateur. Pourtant cela fonctionne ici parce que Wan oppose ce son gonflé avec le silence qui règne dans une maison de tous les jours. Ce bruit participe autant à la création d’un jump scare qu’à surligner l’émergence du fantastique dans le quotidien. Mais à l’inverse de Peli, Wan va nous faire extrêmement plaisir en assumant jusqu’au bout son appartenance au registre fantastique. Pendant un temps, Wan joue néanmoins avec cette notion. Il laisse de la place afin de douter ou non de la véracité du surnaturel. Les évènements peuvent tout à fait être réinterprétés et la mise en scène entretient également le trouble quant aux possibilités. Par exemple, après avoir entendu une voix dans le baby phone, la mère fouille la chambre de son enfant et notamment le placard. Le cliché semble inévitable mais Wan le désamorce en choisissant de situer la caméra à l’intérieur du dit placard de telle manière à ce qu’on soit face à l’actrice. Celle-ci scrute le débarras et finalement referme la porte. Etant donnée son attitude, on soupçonne que celui-ci est vide et ne présente rien d’anormal. Pourtant, la convention aurait voulu que nous bénéficiions d’un contre-champ pour nous en assurer nous-mêmes. En le refusant, Wan laisse entendre que sa caméra pourrait très bien constituer le point de vue d’une entité invisible.

Les doutes et les questions, le cinéaste va les lever lorsqu’apparaîtront deux spécialistes du paranormal dont l’un est interprété par son scénariste et comparse Leigh Whannell (beaucoup plus à l’aise dans un registre comique que dans celui dramatique de Saw). Le fantastique va alors prendre le dessus sur toute considération rationnelle et c’est avec une joie non dissimulée que Wan va nous offrir un remake officieux de Poltergeist. Si le point de départ évoque assez la production de Steven Spielberg (une famille voit son quotidien parasité par le fantastique et doit l’affronter pour sauver sa progéniture), la suite ne laisse plus aucun doute. À une peur de l’indicible qui vire de nos jours à une horreur artificielle, le film se lâche dans une multiplication d’apparitions monstrueuses et débouche sur une galerie des horreurs des plus terrifiantes. Mieux, grâce à la prise de conscience du père relatée plus haut, Wan va reconstituer avec brio une des séquences clefs du film de Spielberg : la recherche par un des parents de son enfant dans l’autre monde. Laissée hors champs dans le film Hooper (mais dévoilé par une abomination kitsch dans le médiocre second opus), cette séquence constitue un incroyable moment d’angoisse plein d’invention. Avec la magnifique photographie de John Leonetti et une ambiance gothique entre l’absurde (les goûts musicaux des morts) et pure terreur (la reconstitution par étapes d’un drame familial), ce climax est un splendide passage horrifique. Et on retiendra longtemps ce démon d’allure grotesque dont les interventions auront de quoi secouer le palpitant.

Si Insidious ne se détache pas d’une progression narrative fort prévisible (le rôle du père se devine à des kilomètres, sans parler du rebondissement final), Wan prouve à nouveau qu’il est un cinéaste attentionné capable offrir le plus efficace des divertissements.


Réalisation : James Wan
Scénario : Leigh Whannell
Production : Alliance Films
Bande originale : Joseph Bishara
Photographie : John R. Leonetti
Origine : USA
Titre original : Insidious
Date de sortie : 15 juin 2011
NOTE : 4/6

1 Comment

  • Intéressante critique avec laquelle je suis à la fois d’accord, et pas du tout. En fait, ce qui me dérange le plus, c’est la première partie, dans la mesure où pour moi, Saw est un excellent film, pas du tout surestimé (même plutôt sous-estimé tant les gens ont tendance à le confondre avec ces suites), n’ayant que le défaut que vous avez souligné. Mais surtout, pour moi, Dead Silence et Death Sentence sont de véritables chefs d’oeuvres.
    Mais bon, puisqu’on est là pour parler d’Insidious, allons-y. Et là, par contre, félicitations car je suis entièrement d’accord avec cette critique, mais surtout parce que vous soulignez ce qui m’avait semblé évident, mais que 90 % des journalistes ont raté. A savoir que le film est clairement un remake officieux de Poltergeist. Et qu’au final, il en possède les mêmes qualités et les mêmes défauts (la fin). Pourtant, je ne sais pas, cette fameuse fin, et là, je suis encore d’accord avec vous, ne m’a pas autant déçu que la plupart des spectateurs et journalistes. Certes, il aurait mieux vallu ne pas montrer le monde fantastique, mais toujours est-il qu’avec le parti-pris de le montrer, je trouve que James Wan s’en sort plutôt bien et que celle-ci réserve de véritables moments de flippe. Par contre, effectivement, il manque quelque chose au film pour en faire un chef d’oeuvre, mais ce quelque chose, je n’arrive malheureusement pas à mettre la main dessus. De la surprise, peut-être ?

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