Les garçons et Guillaume, à table !

Après qu’il a cartonné sur les planches, Guillaume Gallienne, présent devant et derrière la caméra, tire de son spectacle une œuvre de cinéma. Il est partout : à l’écran dans deux rôles, le sien (à tous les âges) et celui de sa mère, omniprésent sur la bande-son via une voix-off au mieux mordante, au pire redondante voire lourde. Le jeu du travestissement et du double-rôle est une idée fondamentale et un pari de gagné : la fusion filiale s’incarne physiquement entre un fils et sa mère qui aurait voulu une fille. Qu’à cela ne tienne : Guillaume s’efforce dès sa plus tendre enfance de ressembler à la marâtre qu’il vénère. Pour autant, les caractères s’opposent : tandis que lui est efféminé à l’extrême, d’une sensibilité à fleur de peau, elle masque ses émotions par un voile rêche et cassant et fascine par un mélange d’élégance et de vulgarité (ses répliques sont parfois à hurler de rire). Les situations que Gallienne tire de ce duo principal sont souvent inspirées, parfois faciles mais toujours désopilantes. L’acteur-réalisateur multiplie les trouvailles pour incarner un malentendu assez monumental : tout en le déplorant, la famille Gallienne lui assigne une homosexualité qu’elle juge flagrante, tandis que lui n’en est qu’à se découvrir, comme il découvre ébahi tout ce qui l’entoure, avec une naïveté d’enfant, puis d’adolescent un brin attardé. La bonne surprise du film, c’est que cette innocence est maintenue tout du long et qu’il refuse de céder au sérieux des débats dans lesquels l’homosexualité peut être prise en France à l’heure actuelle. Tout ne tient ici qu’à l’évolution des regards dans un cercle familial restreint et à l’univers bien défini du personnage titre.

Le film a néanmoins une double limite. Lorsqu’il rompt avec la préciosité qui fait sa spécificité, Gallienne donne trop manifestement l’impression de céder aux canons de la comédie populaire de fin d’année (on notera que la sortie, le 20 novembre, est calée presque exactement sur celle d’Intouchables deux ans plus tôt). La guest star Diane Kruger ou les apartés sur les pratiques sexuelles déviantes d’un groupe de Maghrébins semblent être de petits éléments parasites, des outils un peu voyants de fabrication de scènes d’anthologie ou alors d’embarrassantes maladresses. Il n’y avait pourtant pas besoin d’être aussi rentre-dans-le-lard : cet humour potache sied si mal au film… Il suffit à Gallienne de ponctuer un dialogue de respirations savamment étudiées ou de bégaiements persistants pour suggérer tout un monde de déviance trash et d’immondices qui viennent trancher avec le milieu quasi-aristocrate qui est décrit (les séances chez les recruteurs de l’armée sont monumentales).

Mais ce n’est pas seulement lorsqu’il sort de son sentier raffiné que le film peut décevoir : les procédés narratifs, qui pourraient participer de ce raffinement, peuvent ankyloser le tout. Les allers-retours entre le récit et la scène de théâtre depuis laquelle il est raconté ont l’air de cache-misères et accusent une timidité de Gallienne vis-à-vis du romanesque. Chacun se rendra compte qu’on ne chipote pas lorsque l’éclat de rire d’une réplique finale idéale (certains la trouvent digne de Certains l’aiment chaud, bon…) est coupé court par un petit épilogue de rien du tout, à la joliesse un peu tarte…

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