Un Été 42

Herman Raucher perdit son meilleur ami Oscar le jour de son anniversaire, tué sur le champ de bataille lors de la guerre de Corée. Un jour symbolique qu’il ne fêtera par ailleurs jamais plus. Lorsqu’il se mit en tête d’écrire ce qui deviendra finalement le scénario d’Un été 42, il était question de lui rendre hommage. Mais les deux compères n’ayant, selon lui, jamais connu d’instants de vie significatifs en dépit du fait d’avoir grandi ensemble, Raucher privilégia le récit, autobiographique, d’une expérience qui le marqua à vie. Lors de ses vacances d’été sur l’île de Nantucket, l’adolescent de quatorze ans qu’il était fit connaissance avec Dorothy, elle aussi en vacances avec un mari qui allait bientôt la quitter pour participer à la seconde guerre mondiale. Une histoire d’amour à sens unique, la première de sa jeune vie avec une femme bien plus âgée que lui. C’était en 1942, et c’est cette histoire, qu’il écrivit dans les années cinquante, que Robert Mulligan portera à l’écran 29 ans après les faits contés. Soit quelques temps après la sortie du livre, devenu best-seller, que beaucoup croient être l’origine du film. Il s’agit en réalité de l’inverse, Raucher rédigeant ces écrits à la demande de la Warner, soucieuse à l’idée de faire du long-métrage l’immense succès qu’il est d’ailleurs devenu. Ainsi naquit Un été 42, superbe chronique adolescente baignée dans la mélancolie d’une enfance vouée à disparaître.

Dans le cadre d’un tel sujet (l’importance d’une pareille rencontre, de celles qui bouleversent une vie), la mélancolie est une caractéristique fondamentale quant à l’émotion suscitée. En cela, le choix de Robert Mulligan à la réalisation s’avère-t-il parfaitement cohérent à l’aune de l’impérativité de ce parti-pris. Lui qui avait si bien su épouser le point de vue enfantin de ses jeunes héros dans son célébrissime Du silence et des ombres, savait créer de multiples ambiances en fonction de l’évolution de ses personnages, et savait étoffer à l’image ce qui n’était que de l’ordre du détail à l’écrit. Un générique constitué d’un enchainement de plans fixes et inanimés évoquant des photographies, la musique oscarisée de Michel Legrand, les apparitions muettes de Dorothy au ralenti et le choix d’une voix off du héros devenu adulte : c’est une tristesse prégnante qui introduit cet Été 42, mais aussi une volonté d’immortaliser ce qui est déjà révolu. Le soleil qui introduit et conclut également le film indique d’ailleurs, sinon la mort symbolique qui aura lieu (l’arrivée de la nuit n’indique-t-elle pas la « mort » future de la journée passée ?), une idée de continuité, celle également induite par les fondus-enchainés qui rythment le générique. Comme si tout ce qui se passera entre ces deux apparitions solaires (levé et couché) était isolé du reste de l’été, et plus encore de la vie du jeune homme, telle une journée par rapport à une semaine ou une saison. Des idées simples et évocatrices dont Robert Mulligan a souvent eu le secret au cours de sa carrière. En résulte une certaine épure dans le traitement de son introduction, et conséquemment une note d’intention claire (« ce qui suit a marqué une vie et je vais vous le faire ressentir ») et une ambiance estivale nourrie d’émotions à l’impact certain sur la suite du métrage.

Histoire d’amour, c’est certain. Elle est au cœur des enjeux du récit et conditionne l’évolution de l’adolescent qui la vit. Cependant, Un Été 42 s’intéresse paradoxalement bien plus aux relations entre Hermie et son ami Oscar qu’à celle débutée avec Dorothy. Ce choix n’est évidemment pas anodin : il décrit avant tout une opposition de caractères entre les deux amis, indissociable de leurs agissements présents et à venir. Oscar est quelqu’un d’extrêmement bavard, sûr de lui et plutôt « bourrin » dans son comportement avec la gent féminine, ne pensant qu’à prendre des seins en mains avant toute conversation posée. Le grand frère qu’il a lui permet de conseiller Hermie sur tous les sujets et d’avoir une certaine ascendance sur lui (symbolisée par sa victoire sur ce dernier lors d’un combat sur la plage). À l’inverse, Hermie est fasciné par Dorothy et sa méconnaissance totale du comportement à avoir avec les filles le conduit à se fier à son meilleur ami et ses conseils finalement peu avisés. Plus posé, il se doit de feindre la maturité pour séduire celle qui le fascine mais qui ne sera jamais dupe sur ses jeunes pensées. C’est l’un des thèmes chers à l’œuvre de Robert Mulligan. Le « jumeau maléfique » de L’autre, l’adolescente incarnée par Reese Witherspoon dans Un été en Louisiane : eux aussi sont voués à être pris en otage par leur jeune âge, à des fins sensiblement différentes néanmoins (l’enfant qu’est le jumeau l’empêche d’être suspecté de meurtre, la jeune fille ne sera jamais prise au sérieux malgré son évidente maturité). Aussi, c’est quand Hermie aura compris que modifier sa personnalité ne l’aidera pas qu’il gagnera en réussite. La séquence de l’achat de préservatifs en atteste, tout comme le lendemain d’une soirée où il ne voudra pas suivre les conseils prodigués par Oscar pour coucher à tout prix. Il pourra ainsi tenir tête à Oscar, cette obligation au respect participant d’une évolution du personnage, car faisant écho à sa défaite lors du combat de la première partie.

Vous l’aurez compris, Un été 42 est avant tout un film de personnages. Aussi l’attachement au « trio terrible » (Hermie et Oscar passent aussi leurs vacances avec un troisième garçon), et particulièrement à l’amoureux transi d’entre eux, dépend-il de la présentation faite de Dorothy. Dans sa faculté à adopter un point de vue, Robert Mulligan traduit celui de son héros à travers la peinture faite de la jeune femme. Celle-ci doit autant nous fasciner que Hermie. Cela passe d’abord par une psychologie bien définie. Même à la fin du film, c’est à peine si l’on saura qu’elle est mariée, qu’elle aime les beignets ou possède un break. Des éléments majoritairement sans importance donc, qui accompagnent le fait que l’on n’apprendra son prénom que tardivement. Cette absence d’informations revêt un caractère primordial dans la mesure où l’absence de repères sur sa personnalité la condamne à être inaccessible. Les conversations avec Hermie tournent autour de la vie de ce dernier, de ses vacances, de sa famille. Rien ne pourra lui être demandé d’intime. Robert Mulligan joue alors à la perfection sur l’équilibre nécessaire entre fascination et peur d’approfondir cet amour. Le Hermie adulte l’avait évoqué en début de film : « Personne, depuis la première fois que je l’ai vue, ni rien de ce qui m’est arrivé ensuite, ne m’a donné une telle sensation de peur et de confusion. Aucun des êtres que j’ai connu n’a autant fait pour me rendre plus sûr de moi et plus incertain, plus persuadé de mon importance et de mon insignifiance. » Rien n’est par exemple dit sur la provenance des roses que Dorothy viendra poser sur la table pendant qu’elle discute avec Hermie. Mais le sourire naissant à leur touché, ainsi que leur présence constante dans le cadre, viendra raviver le souvenir du mari, imprimant à la fois une double présence à l’écran et laissant à penser que Dorothy n’écoute pas son interlocuteur.

Dans ses apparitions, la jeune femme est généralement habillée en blanc. Là aussi, Mulligan joue d’une logique interne notamment élaborée avec son chef-opérateur Robert Surtees. Comme le duo le fera aussi dans L’autre un an plus tard, une place très importante est ici accordée à la lumière et ses variations. Les vêtements blancs du personnage féminin trouvent écho dans des plans surexposés laissant une lumière éclatante envahir partie ou totalité du cadre. Ceux-ci se révèlent être signe d’épanouissement pour qui s’y trouve (des amusements en contre-jour pour suggérer les rayons du soleil qui frappent les personnages, la maison de Dorothy qui en est enveloppée, etc…), en opposition avec ombres et obscurité synonymes de menace et de mal-être. L’épouse incarne donc la lumière, celle de Hermie, et finira dans le noir à l’annonce du décès de son mari. L’adolescent sera baigné par une très forte lumière le lendemain de son éveil sexuel, et trouvera la lettre de Dorothy annonçant son départ, dans un coin sombre de la maison. Cette première et dernière relation physique avec la jeune femme sonnera comme la suite logique de son évolution (entamée en gardant sa vraie personnalité et en tenant tête à Oscar), celle sonnant le glas d’une enfance révolue. Le passage à l’âge adulte sera définitif lorsque, comme Dorothy le précisera, l’adolescent aura compris la raison de l’acte de la veille. « Pour chaque chose qu’on acquiert, on en abandonne une autre », conclura le narrateur devenu Homme dans une ultime envolée mélancolique.


Réalisation : Robert Mulligan
Scénario : Roger Avary
Production : Richard A. Roth
Bande originale : Michel Legrand
Photographie : Robert Surtees
Montage : Folmar Blangsted
Origine : Etats-Unis
Titre original : Summer of ’42
Date de sortie : 9 Avril 1971

1 Comment

  • RedRoss Says

    Je viens juste de le voir. Un film magnifique, et ton papier lui rend très bien hommage. Erf, ces films mélancoliques vont finir par me tuer hein ^^

    Aucun lien de fait avec Le Lauréat, sorti peut-être 2 ou 3 ans avant ?

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