Laurent Cantet parle de Foxfire


Laurent Cantet au travail avec ses actrices

Depuis son sacre au Festival de Cannes 2008 pour Entre les Murs, on attendait le retour de Laurent Cantet à la réalisation. S’il se sera fait aussi longtemps attendre, c’est entre autres parce que le projet dans lequel il s’est embarqué n’était pas des plus simples. Il est revenu, lors de son passage à Lyon pour l’avant-première de Foxfire – Confessions d’un Gang de Filles (sortie le 2 janvier 2013), sur la question de la nationalité de son film tourné en anglais et au Canada tout en voulant parler de l’Amérique des années 1950.

Après un film éponyme d’Annette Haywood-Carter sorti aux Etats-Unis en 1996 mais inédit en France, qui offrait l’une de ses premières têtes d’affiche à Angelina Jolie, c’est la seconde adaptation du roman de 1993 signé Joyce Carol Oates. Une lecture fascinante que Cantet a faite en plein montage d’Entre les Murs : « Les visages des filles du roman se mêlaient à ceux des filles de la classe que j’avais filmée. » 1955. Dans un quartier populaire d’une petite ville américaine, une bande d’adolescentes crée une société secrète, Foxfire, pour survivre et se venger de toutes les humiliations qu’elles subissent. Avec à sa tête Legs, leur chef adulée, ce gang de jeunes filles poursuit un rêve impossible : vivre selon ses propres lois. « Ces filles sont triplement opprimées : elles subissent la violence des mecs, elles sont adolescentes donc peu prises en compte par la société et elles sont en plus opprimées socialement parlant. Cela forme un tout auquel elles vont réagir de manière un peu globale. Le film est également marqué, çà et là, par le problème du racisme de l’époque. La question est traitée rapidement, mais ce sciemment. J’ai l’impression que le racisme n’était même pas un problème à l’époque pour ce genre de jeunes filles. Elles balayent la question sans en parler plus que ça… »

« Aucune des actrices, sauf Tamara Hope qui joue la jeune bourgeoise Marianne, n’était professionnelle. Certaines avaient simplement fait du théâtre à l’école. J’ai longtemps cherché, tout simplement parce que réunir une petite dizaine de filles pour jouer un groupe, c’est beaucoup plus long que simplement passer des coups de fil à des agents pour recruter des actrices. C’était compliqué parce qu’au-delà de la recherche de personnalités fortes et d’une capacité naturelle à évoluer devant la caméra, j’avais envie d’un groupe cohérent où l’on se renforce et non pas où l’on s’annule. J’ai par exemple trouvé plusieurs Legs formidables, mais dont la diction ou l’énergie était trop proches de celles d’une autre fille déjà castée [c’est finalement l’étonnante Raven Adamson, ci-dessous, qui a été retenu, ndlr] ! On a passé du temps à improviser, et l’apport du naturel des actrices m’a permis de repenser certaines scènes en introduisant leurs mots, leur rythme. Les personnages sont réellement apparus au cours de ce travail-là… »

« Cette histoire me permettait de retrouver des thèmes qui m’étaient chers : le groupe, la place qu’y occupe l’individu, l’oppression et la violence. (…) On est resté assez proche du livre, en tout cas dans « l’esprit » qui était le sien. Mais la construction du récit a évolué : le roman était plus proche du point de vue de la narratrice, Maddie [Katty Coseni, ci-dessus, ndlr], et des souvenirs qu’elle avait des choses, de sa tentative de restituer ceux-ci, avec ce que cela impliquait de corrections d’un chapitre à l’autre, d’incertitudes, etc. On a tenté, dans un première mouture du scénario, de respecter ça, mais j’ai trouvé qu’on s’éloignait de l’énergie et des motivations du groupe, qui étaient bien plus cinématographiques. »

Si l’on connaît de nombreux frenchies appelés par les grands studios hollywoodiens pour réaliser de manière plus ou moins heureuse des films aux budgets conséquents, il n’est pas si fréquent de voir des cinéastes français mettre en scène des histoires américaines sans qu’aucune grande major soit en jeu : « La décision a dû être prise de tourner le film au Canada et pas aux Etats-Unis pour de pures raisons de production : des accords de coproduction avec la France y étaient plus faciles et permettaient de conserver un statut européen du film donc d’être plus facilement vendu aux chaînes de télévision, tout simplement. Il me semblait très compliqué d’organiser un tournage aussi loin de la France. Mais c’était inévitable : à la lecture du roman, j’entendais les dialogues en anglais et j’avais du mal à imaginer cette histoire se dérouler en France. Les Etats-Unis s’imposaient d’eux-mêmes. La liberté dont ces filles jouissent, la possibilité – par exemple – qu’elles ont d’acheter et de conduire une voiture à seize ans, d’en faire un objet de pouvoir, etc. : je n’avais pas tout cela dans le contexte de la France des années 1950. (…) Le film regarde ce rêve américain florissant à l’époque et essaie d’en montrer les laisser-pour-comptes. Je voulais évoquer cette mythologie qui dit alors aux Américains qu’ils vivent dans le pays le plus puissant au monde et qu’ils vont vers des lendemains radieux. »

Dès lors, on devine que la démarche du cinéaste n’a pas grand-chose à voir avec une forme d’hommage à tous ces films américains des années 1970 et 1980 eux-mêmes nostalgiques de la seconde moitié des fifties et du début des sixties, d’American Graffiti (1973) à Grease (1978), de The last Picture show (1971) à Peggy Sue s’est mariée (1986) en passant par Retour vers le Futur (1985). On croyait tout de même voir dans le planétarium où travaille Maggy un clin d’œil à un classique datant bien, quant à lui, des fifties, La Fureur de vivre (1955) : « Le planétarium était déjà dans le roman d’origine, mais il n’est pas exclu qu’il ait déjà constitué à ce stade un clin d’œil d’Annette Haywood-Carter au film de Nicholas Ray. Autrement, je ne pense pas que le film joue tout à fait le jeu de la mythologie des fifties. American Graffiti était un repère, effectivement, mais précisément de ce que je ne voulais pas faire dans mon film. Ce que je voulais, c’était montrer l’envers de ce décor, ne pas être dans la guimauve, dans le clinquant. D’où ces rues plutôt délabrées, aux boutiques fermées, où l’herbe poussent entre les pavés du trottoir, etc. Et puis, je ne pense pas avoir mis en scène le film comme un film américain. Plutôt comme Entre les Murs, comme un documentariste qui laisserait le plus de liberté possible aux personnes qu’il filme… Mes sources d’inspiration, plus que des films, ont été des photos de l’époque comme celles de Joseph Sterling qui, à vingt ans dans les années 1950, photographiait des copains ou des jeunes de son quartier. Après, j’avoue avoir été assez ému en filmant ces voitures d’époque en arrière-plan : il y avait là un plaisir de cinéma, de cinéphile, mais qui ne l’emportait pas sur le reste. S’il fallait attester de mon absence d’envie de rendre hommage aux films sur cette époque, je pourrais rappeler cette critique d’un journaliste américain qui m’a accusé de ne donner qu’une « image boueuse » de l’Amérique des fifties ! »

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