Interview – Lionel Steketee

Vous connaissez surement Fabrice Éboué et Thomas Ngijol, deux humoristes révélés par le Jamel Comedy Club et réputés pour leur humour éloigné de tout conformisme et de politesse hypocrite, mais finalement moins provocateurs que ce à quoi on les limite parfois. Tous deux ont fait leurs premières armes au cinéma en tant qu’acteurs (entre autres, Fatal pour le premier, Vilaine pour le second), mais si on le retrouve aujourd’hui en tête d’affiche dans Case Départ, le duo s’est également occupé du scénario et de la réalisation du film. L’occasion d’injecter dans celui-ci les ingrédients qui ont fait leur identité : en résulte une comédie hilarante, parsemée de punchlines souvent mémorables et de séquences que le genre, en France en tout cas, ne nous offre que trop rarement. Fruit d’un intelligent travail d’écriture ou l’humour seul tend à véhiculer un propos, Case Départ investit une époque révolue pour mieux refléter la notre et les hypocrisies qui la gangrènent. Racisme, communautarisme ou religion, rien n’échappe à une mécanique comique bien huilée et savamment entretenue par Lionel Steketee, troisième réalisateur d’un film qui, quelle qu’en soit sa réception au sein du public, tranche avec le tout-venant d’une vision très française du genre. Actuellement en pleine promo (Case Départ sort le 06 juillet), Lionel Steketee a quand même accepté de répondre à nos questions. Merci encore beaucoup pour sa disponibilité.

Quel a été votre parcours avant de réaliser Case départ ?

Je suis né en France en 1964, de parents américains. J’ai étudié le cinéma à l’université de Boston, suite à quoi je suis devenu premier assistant-réalisateur, fonction que j’ai occupé depuis 1990 sur des films tels que Le Pacte des loups ou Hôtel Rwanda, ainsi que sur plus de 200 pubs (réalisées par Wong Kar-Wai, Jean-Baptiste Mondino, Bettina Rheims ou Bruno Aveillan, LE réal référence en pubs). J’ai réalisé un court-métrage en 2000, Évasion. J’ai rencontré Fabrice Eboué sur Fatal de Michaël Youn et il m’a proposé de coréaliser le film. J’ai lu le scénario et ai tout de suite accepté vu sa qualité.

Vous avez notamment travaillé sur Hellphone, Lucky Luke ou Fatal donc, des comédies sinon référentielles, en tout cas sous haute influence. L’un des atouts de Case départ est au contraire sa forte personnalité.

Oui, ces autres comédies étaient très référencées ou en tout cas avaient un passif fort aux yeux du public (Hellphone -injustement boudé- fait référence aux films US des années 80 style Christine de Carpenter, Fatal se base sur un personnage préexistant et Lucky Luke sur la BD). Case Départ vient d’une idée originale – même si le voyage dans le temps à été utilisé à de nombreuses reprises – en particulier dû au fait qu’il s’agisse d’un film dont les personnages principaux sont noirs et un cadre – l’esclavage – trop rarement vu au cinéma. Cette « personnalité » vient des deux scénaristes/acteurs et leur l’humour intraitable et touche-à-tout. Elle vient aussi du fait d’avoir voulu faire un effort sur l’aspect pictural du film. Je l’ai tourné comme j’aurais tourné un drame sur la même époque. L’humour vient des anachronismes des deux personnages dans ce monde aussi réel que possible, bien qu’évidemment le fait de tourner un film d’époque nous autorise à quelques libertés artistiques, à partir du moment où elles ne nuisent pas à l’image et l’intégrité du message et des personnes représentées.

La comédie est justement un genre que l’on peut considérer comme le parent pauvre en ce qui concerne la mise en scène. Des artistes comme Judd Apatow privilégient ouvertement un certain minimalisme (dialogues à base de champs-contrechamps notamment) pour laisser toute liberté à leurs acteurs et finalement « construire » leur film au montage. Comment avez-vous pensé celle de Case Départ ?

Apatow, une référence dans le genre !
La comédie est un genre qui a ses règles et ses devoirs, à commencer par privilégier le jeu des acteurs avant toute technicité. Les grands classiques américains (Wilder, Capra, Lubitsch ou plus tard Landis, Mel Brooks, Allen) tout comme Veber ou Molinaro en France ont tous suivi cette règle. Le réalisateur de comédie doit faire preuve d’une grande humilité face au texte et à ses acteurs. Ceci est particulièrement valable pour une comédie comme Case Départ qui est basée sur le texte et non sur le physique comme pouvait l’être Fatal dans la tradition des Hot Rod, Zohan et Keaton de son temps.
Toutefois cela n’empêche pas d’essayer de faire de la « belle image ». On a en France, contrairement aux Etats Unis, trop souvent tendance à penser que l’aspect visuel d’une comédie est sans importance. Pour Case Départ, j’ai essayé de faire attention à cet aspect de la production. Cela va de la couleur des murs (sombres pour mieux faire ressortir les personnages blancs), à la présence de fumée et drapeaux au marché pour étoffer le décor, des amorces floues souvent présentes pour enrichir le cadre, etc… Comme je l’ai dit précédemment j’ai tourné ce film comme s’il s’agissait d’un drame. L’humour vient des deux personnages, pas de l’univers dans lequel ils sont envoyés.

Des comédies comme celles d’Alex De La Iglesia bénéficient pourtant d’un important travail visuel. Vous dites également que les comédies françaises ont tendance à délaisser cet aspect. Est-ce selon vous une question de culture cinématographique, de rapport personnel au Cinéma, ou tout simplement d’une absence d’intérêt vis-à-vis de la technique ? Un réalisateur tel que Xavier Beauvois (qui ne travaille pas la comédie, certes), déclare par exemple que celle-ci s’apprend en vingt minutes.

Vingt minutes… Amusant. On demandait à Oscar Wilde combien de temps il a mis pour écrire sont dernier livre, il répondit : « 34 ans et 2 jours »… La technique ne sert à rien sans l’expérience.
Mais il ne s’agit pas ici de technique mais de grammaire cinématographique, de goûts et de couleurs, de partis-pris artistiques. Certes, en comédie, les « grands » mettent leurs pattes (Capra, Chaplin, Kubrick, frères Coen…), leur style, mais j’ai bien peur que, pour des raisons de budget, d’intérêt, de culture, ou tout simplement de travail, un bon nombre de réalisateurs pense qu’à partir du moment où il s’agit d’une comédie, l’aspect visuel est moins important. Attention, je ne prétends certainement pas avoir réalisé une œuvre d’art, loin s’en faut. Je dis simplement que ce n’est pas parce qu’on fait une comédie qu’il faut que ce soit laid. En tout cas j’ai essayé d’éviter ça pour ce film. Par contre, il est inutile de faire preuve d’une grande dextérité technique ou visuelle pour une scène de dialogue de comédie face à face, à moins que la caméra apporte du rire en plus du dit dialogue.

Dans le cadre de votre mise en scène, avez-vous été influencé par d’autres comédies ? On peut notamment penser au Ridicule de Patrice Leconte.

Ridicule bien entendu pour le maquillage et les costumes, mais aussi, et surtout d’autres films plus sérieux comme Barry Lyndon (décors / costumes / maquillage), Amistad (décors / lumière), Elisabeth (lumière), La Couleur Pourpre (cadrages), Soy Cuba (décors / cadrages), Vanity Fair (lumière / optimisation des moyens…) et j’en passe. Mes influences viennent bien entendu aussi des réalisateurs avec qui j’ai travaillé comme premier assistant pendant vingt ans.

Qu’en est-il concrètement ? De votre apprentissage à leurs côtés, qu’est-ce qui vous a le plus servi sur le tournage de Case Départ ?

En étant premier assistant réalisateur on acquiert un grand sens pratique et d’anticipation. Ce pragmatisme empêche d’ailleurs de nombreux premiers assistants de faire le saut vers la réalisation, faute d’avoir parfois délaissé leur créativité. Premier assistant depuis plus de vingt ans, j’ai toujours été très proche du travail créatif des réalisateurs avec qui j’ai travaillé. Cela m’a permis, au cours des années, de voir comment chacun aborde un film ou une scène, leurs qualités, leurs défauts, leurs succès et leurs erreurs. Tout cela étant évidement bien subjectif. Pour Case Départ, cette expérience m’a permis de faire des choix rapides et aussi précis que possible, d’optimiser le temps et le budget qu’on nous a accordé, bref, d’essayer tant que possible de faire en sorte qu’un film à 5 millions d’euros – budget correct mais modeste pour un film d’époque – ait l’air d’un film à 8 ou 9 millions. J’espère avoir réussi ce pari.

Fabrice Éboué et Thomas Ngijol sont aussi crédités en tant que réalisateurs. Comment vous êtes-vous répartis le travail ?

Fabrice et Thomas se sont occupés du jeu des comédiens et moi de l’aspect technique et artistique du film.

Case Départ fait la part belle à l’humour décomplexé, parfois subversif, cher à ses scénaristes. Cela vous a-t-il causé quelques problèmes pour son financement, compte tenu notamment du rôle important de la télévision dans la production d’un film ?

Non pas de problème particulier. Le financement était déjà a 80% bouclé lorsque j’ai commencé à travailler sur le film.

Case Départ parvient à conserver le même ton et la même énergie comique du début à la fin. Le film ne ment jamais sur ses intentions, chose finalement assez rare dans une comédie, française de surcroit…

Le scénario était déjà très bien écrit et rythmé. Au montage, nous avons tout fait pour garder à la fois cette énergie et éviter les scènes superflues qui soit n’étaient pas aussi drôles autant que prévu, soit ne faisaient pas avancer l’histoire. Durant le tournage nous avons évité toutes les tentations à faire des « private jokes » qui au final n’auraient fait rire que nous. C’est souvent un piège en comédie. Par expérience, il faut suivre le texte, rien que le texte.

Pendant la promo du film, on a très souvent entendu vos acteurs se faire interroger sur le message qu’il véhiculait, beaucoup moins sur son humour. Comme si dans une comédie, faire rire était secondaire et ne pouvait se passer d’un véritable propos. Pourquoi cette « mise à l’écart » du rire selon vous ?

Il semble évident qu’avec la présence de Fabrice Eboué et Thomas Ngijol à l’affiche nous ne pouvions faire qu’une comédie. Cet aspect est donc déjà acquis. Par contre, nous ne voulons pas donner l’image d’un film à sketches, sans histoire, sans fond et surtout irrespectueux des thèmes qu’il aborde. C’est pourquoi, nous avons toujours fait très attention aux images et aux messages que nous véhiculons durant la promotion.
Il en est de même d’ailleurs pour le tournage durant lequel une des difficultés fut d’aborder des scènes pouvant être soit dramatiques (cale du bateau – marché – prison), soit violentes (fouettage), tout en conservant un aspect de comédie.

Quels sont vos projets ? Allez-vous continuer dans la comédie ?

Mes projets dépendent en partie du succès ou non du film à sa sortie. Après avoir goûté à la réalisation, il est clair pour moi que je désire poursuivre dans cette voie, que se soit en comédie ou tout autre genre à partir du moment où la qualité du scénario est là.

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