[ENTRETIEN] Nicolas Bedos, Alexandre Castagnetti et Jonathan Cohen

Alors qu’un avion la ramène de New York à Paris où elle s’apprête à se marier, Julie se retrouve assise à côté d’Antoine, un séduisant débauché qu’elle a aimé trois ans plus tôt. Elle va alors tout faire pour l’éviter alors qu’il compte sur ces sept heures de vol pour la reconquérir ! Cadre éculé de l’avion ou de l’aéroport, principe de l’antithèse parfaite entre deux personnages, affiche respectant des codes vieux de plusieurs décennies : Amour & Turbulences ne semble à priori rien apporter de nouveau sous le pâle soleil de la comédie française. Pour autant, rencontrer son réalisateur Alexandre Castagnetti et son interprète principal et co-auteur Nicolas Bedos permet de prendre conscience des ambitions somme toute honorables des collaborateurs : livrer un film qui, précisément, ne cherche en rien l’innovation mais qui puisse prétendre à l’élégance et l’émotion des meilleures romcom qui l’ont inspiré, toutes produites aux Etats-Unis. Tout comme Jonathan Cohen, interprète d’un second rôle également présent lors de la rencontre, Castagnetti et Bedos sont passés par la télévision, que ce soit pour des séries, des téléfilms ou des émissions à grande audience. Ils évoquent avec nous leur passage au cinéma et bien d’autres choses…

Courte-Focale : Pouvez-nous nous dire ce que vous pensez d’une sortie qu’a faite Jean Rochefort il y a quelques jours sur le plateau du Grand Journal ? Lorsqu’on lui demandait s’il y avait un problème dans le cinéma français, il répondait : « Le cinéma français EST un problème. Il devient des téléfilms et nous, gens de cinéma, on raconte des histoires, des états d’âme de jeunes femmes, de jeunes gens autour d’un frigidaire. C’est pas cher, on a des repères. Et ça se vendra toujours, ça fera toujours un 20h45 ».

Nicolas Bedos : J’ai connu Rochefort plus brillant, plus original… C’est un homme absolument délicieux à écouter. Pour le coup, c’est un vieux cliché. On disait à une époque du cinéma français que c’étaient des gens dans un grand lit qui regardaient le plafond en citant de grands philosophes. Je ne le connais pas bien ce cinéma-là. Je vois des films français très différents. On vient aujourd’hui vous parler d’une comédie romantique, François Cluzet était récemment à Lyon pour un polar, mes amis Jean Dujardin, Gilles Lellouche ou Marion Cotillard font des choses très différentes… Il y a bien sûr des films qui ressemblent à des téléfilms. Ce film-ci a selon moi une histoire de téléfilm, mais il a un talent de réalisation, une élaboration dans les dialogues, les seconds rôles, la psychologie, la musique et les décors qui n’est vraiment pas celle d’un téléfilm pour 20h50. J’ai écrit des téléfilms pendant trois ans avec Josée Dayan et je peux vous dire que ce n’est pas ça…

Jonathan Cohen : Mais vous savez, de toute façon, on l’aime bien la télé nous !

Alexandre Castagnetti : Oui, avec Jonathan on a tourné ensemble pour la télévision, avec la série « Les Invincibles » dont on est fier. Il y a bien sûr des limites partout : un problème assez généralisé de travail, d’implication qui peut donner des choses bâclées, à la télévision comme au cinéma.

Votre scénario est au départ écrit par un Américain….

AC : Celui de départ oui, mais on s’en est progressivement éloigné. Il n’en reste plus grand-chose à l’arrivée. Je crois que ce qui caractérise les Américains, c’est le respect de certaines règles, en tout cas dans ce genre de la comédie romantique. Il y a des choses qu’ils n’ont pas forcément envie de détourner pour être originaux. La tendance, c’est plutôt de se servir de contraintes et de structures constantes pour se renouveler à chaque fois à l’intérieur de ce cadre.

NB : On est par exemple très content que Jonathan soit avec nous aujourd’hui parce que dans notre travail d’écriture avec Alexandre, on a vraiment essayé de se payer un meilleur copain de rêve ! C’est une chose que l’on voit dans les meilleures comédies romantiques à nos yeux. On a souvent l’impression que le genre a été inventé par Meg Ryan et Hugh Grant, alors que la romance au cinéma, c’étaient déjà Lubitsch, Cukor, Mankiewicz, et des seconds rôles géniaux, l’histoire du cinéma en déborde ! Je m’intéresse beaucoup à ce genre-là et j’ai revu récemment plusieurs films de Mankiewicz où j’ai trouvé des personnages secondaires formidables… On nous parle beaucoup du personnage de Clémentine Célarié dont nous sommes très fiers. Par rapport aux « téléfilms » dont parlait Rochefort, où les psychologies sont sommaires, où les évènements sont tirés par les cheveux, on avait certes envie nous aussi de faire de l’audimat mais tout en poussant les choses jusqu’au bout. Le personnage de Jonathan, par exemple, est marrant mais a quand même à un moment donné une scène-clé à l’échelle du film entier, où ce pote en admiration devant mon personnage qui ramasse toutes les nanas bascule dans une sorte de trouble, de doute, et c’est pour moi l’une des plus belles scènes du film.
C’est donc vrai que ce sont des codes qu’on a repris avec Alexandre, mais on a cherché à les honorer. Parmi les comédies romantiques récentes que je suis allé voir en salles – et ce n’est pas pour clasher mes collègues – certaines sont de purs produits, où les personnages secondaires sont là pour venir à un moment donné faire avancer mécaniquement l’histoire. Lorsqu’on préparait les dialogues avec Alexandre, on voulait toujours être touché !

AC : Ce n’est pas parce qu’il y a un cadre général que la chair a l’intérieur n’est pas intéressante. C’est un peu comme quand on compose une chanson : il y a un refrain et un couplet d’imposés…

Est-ce cette émotion dont vous parlez tant qui, plus que les ressorts comiques, vous a guidés dans l’écriture ?

AC : Dans « comédie romantique », il y a deux mots qui sont aussi importants l’un que l’autre. Je suis très friand du genre et quand je vais voir une comédie romantique, je veux croire à l’amour des personnages, je veux être ému, je veux pleurer. Évidemment, on ne laisse pas tomber le pan comique pour autant. Mais comme les gens qui financent les comédies romantiques sont souvent très concentrés sur la comédie parce qu’elle fait plaisir au public, ils ont tendance à oublier l’émotion. Ici, on s’est appliqué pour les deux.

NB : Cela avait de gros impacts sur le jeu. Sur le plateau, j’étais là pour faire chier sur un point : que les dialogues sonnent le plus vrai possible. Mais comme je débute au cinéma, j’avais toujours tendance à en faire un peu trop. Le boulot d’Alexandre au niveau du jeu, c’était donc de m’empêcher de cabotiner – ce que Jonathan en revanche fait très très bien (rires).

Y avait-il, sur le tournage, une place laissée à l’improvisation ?

AC : Extrêmement peu. C’est très difficile de faire ça parce que le timing d’un tournage – en tout cas du nôtre – est très serré…

NB : (Il le coupe) Bon après, Jonathan a tendance à rallonger ses répliques mais bon… (rires)

JC : J’adapte !

AC : Il y a tout de même un passage court mais important à nos yeux qui a été improvisé. C’est une conversation, dans l’avion, entre Nicolas et la petite assise à côté de lui, qui est en fait ma fille. Nicolas avait à inventer la fin du dialogue : il lui dit « C’est bizarre la vie hein? », elle répond que oui. Et puis il rajoute : « Bon courage ». Et là, ce qui est venu à ma fille qui ne savait pas ce qu’elle devait dire à ce moment-là, c’est juste : « Merci » (rires).

NB : Et alors là, je me souviens que j’ai hurlé au cameraman « Pourvu que ce soit sur elle ! ». Parce qu’on savait bien qu’elle ne pourrait pas faire ça deux fois avec la même voix, avec le même regard sérieux, être aussi irrésistible ! Toute l’équipe était super touchée et contente à ce moment-là !

Monsieur Bedos, en quoi l’écriture d’un scénario a-t-elle différé de celle d’un roman ou d’une chronique à la télévision ?

NB : Tout reste lié à un goût musical. J’ai toujours envie de quelque chose de sensuel. Souvent, quand j’écris une chronique, je danse dans ma tête, je me sens presque plus slameur que journaliste. Pour les dialogues de cinéma, c’est un peu pareil : j’adore les chutes et c’est presque une histoire de nombre de pieds comme pour un vers en poésie !

AC : On travaillait d’ailleurs beaucoup sur cette musique des mots d’une prise à l’autre. On parlait de « notes de voix », d’accélération et de retenue.

NB : Oui. Et une autre différence entre télévision et cinéma à laquelle je pense, c’est le degré d’élaboration. Une chronique, finalement, c’est beaucoup liée à une capacité à se lâcher, tandis que l’écriture des dialogues impose au contraire de se limiter, de couper, d’économiser. Le rôle des silences est aussi plus important, tandis que dès que je débute l’écriture d’une chronique ou d’un livre, je ne m’arrête plus !

Par rapport à votre travail à la télévision, Monsieur Bedos, la configuration d’un tournage, avec des prises courtes et à répétition, vous frustre-t-elle ?

NB : Oui, énormément. Je suis dans un travail important pour moi. Ludivine Sagnier, qui ne peut malheureusement pas être là aujourd’hui à cause d’une grippe, m’a beaucoup réprimandé, materné et au final aidé parce que je suis nul pour ça : vous voyez bien que je ne tiens pas en place, je dois toujours être en train de fumer, de boire un truc, d’écrire et d’écouter la radio en même temps ! Par rapport à la télévision ou au théâtre, le cinéma, c’est l’art du non-jeu ! En fait, on joue deux minutes par jour et le reste du temps, on attend que les choses se mettent en place. Mais j’aime tellement le résultat, cette magie de l’assemblage de tous ces petits moments, que je suis prêt à faire encore de la psychanalyse pour être plus agréable pour tout le monde sur les prochains tournages…

Ce rôle semble assez proche de vous. Comment fait-on pour « s’écrire » en beau gosse irrésistible ? N’est-ce pas le comble du narcissisme ?

NB : Mais vous êtes arrivé en France il y a trois semaines ou quoi ?! Je suis le comble du narcissisme (rires) ! Pour être sérieux, d’abord oui : je suis narcissique et tous les acteurs le sont. Je trouve ça moins narcissique de s’écrire un rôle comme ça et de se foutre quand même souvent de sa propre gueule – je me montre en train de me maquiller, de lutter contre la calvitie, etc. – que de faire mine d’être modeste alors qu’on est dans le fond profondément narcissique. Ce n’est pas tant que je parle de moi, c’est que le scénario permettait à un moment donné que j’y glisse le personnage que les gens connaissent de moi : ce type sûr de lui, qui se vante, qui séduit des nanas, etc. Il y a des choses dites sur moi qui sont vraies, d’autres non, mais j’ai en tout cas décidé de faire de cette mauvaise réputation un atout. Parce que je suis quelqu’un de très impudique, je vous le dis : il se trouve aussi que l’histoire a des résonances avec ma propre vie. Non seulement je trouve que l’histoire de ce coureur de jupons qui doit prouver sa capacité à tomber vraiment amoureux à une espèce de psychorigide, c’est une très bonne situation de comédie, mais il se trouve en plus que ça m’est arrivé !

Le film est travaillé autour d’un équilibre entre les personnages, autour d’une série de poids-contrepoids. Avez-vous construit le scénario en réfléchissant en ces termes ?

AC : Ce n’est pas un processus mais on avait effectivement ça a l’esprit tout le temps parce qu’on avait cette ambition de défendre les deux personnages à égalité. L’opposition des points de vue devient même à un moment un principe narratif en permettant un quiproquo : ce qui s’est vraiment passé est alors situé entre les visions diamétralement opposées de la fille et du mec. Il s’agissait d’être bon à la fois sur l’écriture des défauts de chacun et dans notre capacité à les faire aimer du public. On avait quand même comme référence Quand Harry rencontre Sally (1989), qui était je pense la première comédie romantique à travailler autant à égalité les personnages masculin et féminin. Ça donnait l’impression de parler d’une génération…

Souvent les comédies françaises reposent avant toute chose sur le dialogue. Vous ajoutez à cela un travail sur les glissements de décor qui est assez étonnant…

AC : Dès le départ, je voulais à la fois faire honneur à ce genre classique et y apporter un peu de personnalité, de fantaisie. J’ai expérimenté ça avec « La Chanson du Dimanche », une série musicale avec deux clips en 25 minutes où il fallait avoir comme ça des idées un peu bricolées, un peu délirantes. J’avais aussi en tête une référence très chère à mes yeux : Eternal Sunshine of a spotless Mind de Michel Gondry (2004), qui est une comédie romantique d’une certaine manière et à la fois une œuvre magistrale d’inventivité. Et puis tout simplement, j’avais envie de divertir : les passages musicaux peuvent être un moyen de « réveiller » le spectateur au sein d’un ensemble dont il connaît peut-être un peu trop les codes. La comédie romantique est avant tout un jeu et il s’agissait aussi de me faire plaisir.

NB : Je crois que dans le fond et avant tout, tout le monde a fait ce film pour faire plaisir. Voilà : c’est un film de plaisir. La seule question qu’on se posait, c’était : « Est-ce que c’est beau ? Est-ce que c’est réjouissant ? ». Et mine de rien, répondre à cette question par l’affirmative, c’est déjà beaucoup de travail. Avec Alexandre, on avait d’emblée le même but : sensuel, glam, beau, pas con. En fait, le « pas con » découle du beau. Et réciproquement, quand c’est con, c’est pas beau. Je sais pas si vous me suivez (rires)… Un dialogue explicatif, c’est pas beau. Un personnage un peu trop bête, c’est pas beau, surtout s’il faut l’aimer. Et le grand alter-ego d’Alexandre, le chef opérateur Yannick Ressigeac, qui nous a bien cassé les couilles avec sa lumière, au final, avait lui aussi envie de faire un film qui se la pète à fond !

Vous avez évoqué les uns et les autres des références relativement anciennes dans le genre, mais qu’est-ce qui vous plaît dans la comédie actuelle ?

JC : Pour moi, Judd Apatow, qui a d’ailleurs un film en ce moment à l’affiche [40 Ans : Mode d’Emploi, ndlr], c’est le renouveau de la comédie. Il n’est pas vraiment dans la comédie romantique pure, il la mélange avec du buddy movie ou autre, ce qui permet à ses scénarios de ne jamais s’asphyxier. Il a créé ce que j’appelle les « comédies humaines », c’est-à-dire que ce n’est pas tant l’action qui prime que les personnages, qu’il a replacés au centre de l’écriture. Ce sont eux qui, par leur rencontre ou par leur simple personnalité, créent très naturellement le comique, les situations. J’aime leur sincérité et la réussite, particulièrement, des personnages de loosers ou de girls next door, de ces gens qu’on ne regarde généralement pas trop. Il en a fait le cœur de son œuvre. Il suffit, pour se rendre compte de son importance, de regarder ce qu’il se passe en France aujourd’hui : tout le monde cherche à faire du Judd Apatow…

NB : Pour le coup, l’idée de notre film était assez loin de ça : c’était avant tout celle d’élégance. J’adore Judd Apatow, mais il y a quand même une large partie de son cinéma qui est « bites, poils, cul, couilles » et ce n’était pas dans notre cahier des charges.

AC : Pour résumer, la démarche était bien plus classique dans le fond… Mais effectivement, s’il fallait faire un rapprochement avec Apatow, ce serait au niveau des personnages, du fait qu’ils nous guident eux plus que l’intrigue pré-définie… Aux Etats-Unis, on appellerait ça un scénario « character-driven » par opposition à « plot-driven ».

NB : Et puis je trouve qu’il y a un autre point du film qui est assez original. J’ai regardé beaucoup de comédies françaises récentes et excusez-moi, mais je remarque que les personnages sont souvent moins intelligents que le spectateur. Dans ce film-là, les personnages sont intelligents, ils ont de la répartie, etc. Le personnage de Ludivine s’amuse beaucoup de la drague du mien, la prend beaucoup au second degré. Mon personnage se moque de lui-se-moquant-de-lui-même-en-train-de-draguer ! Il y a quelque chose de l’ordre de la lucidité et de l’auto-dérision que l’on voit finalement assez peu ailleurs dans la comédie française actuelle.

Propos recueillis par Gustave Shaïmi le 15 mars à Lyon. Merci aux cinémas Pathé Vaise et UGC Confluence.

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