Cowboy Bebop

Est-ce que vous vous souvenez comment commence le tout premier épisode Cowboy Bebop ? Si vous répondez instinctivement que c’est par un générique coloré et endiablé, alors votre mémoire vous a joué un mauvais tour. Cependant, il n’y a pas vraiment de reproche à lui faire ; comme tous vos autres souvenirs, celui que vous a laissé la série n’a rien de précis. L’être humain n’est pas un ordinateur et si nous emmagasinons des informations en permanence, leur objectivité reste relative. Tout ce que nous collectons est assujetti à notre point de vue et à ce que nous ressentons à un instant unique. Plus l’évènement devient lointain, plus le souvenir que nous en avons se fonde sur les sensations personnelles que l’on a éprouvées. Nous n’avons alors plus à l’esprit qu’une vision fragmentée de la réalité. C’est d’ailleurs là-dessus que se repose la première séquence de la série réalisée par Shin’ichiro Watanabe. Seulement portée par la lancinante mélodie d’une boite à musique, elle est constituée d’un enchaînement de plans énigmatiques. Les couleurs sont délavées et la seule qui ressort est celle d’une rose rouge gisant dans une flaque d’eau. Sur le moment, le sens de la scène nous échappe. C’est au cinquième épisode Ballad of Fallen Angels qu’une version alternative plus complète nous en donne la signification. Toutefois, une chose est claire dès le départ : ces images appartiennent au passé. Par la mise en scène, on nous indique que ce passé est ancien et tenu à l’écart par celui auquel il se rapporte. Plus que créer un début intriguant sollicitant l’attention du spectateur, Watanabe pose la première pierre du projet artistique de Cowboy Bebop. Il introduit cette idée de fuite mais une fuite vers où ? Vers un refuge, celui illusoire et protecteur du rêve.

Si on totalisait la liste des qualificatifs accolés à Cowboy Bebop, nul doute que le terme cool arriverait en tête. La série pioche dans tous les fantasmes engendrés par le cinématographe. La science-fiction, le film d’action, le mélodrame, l’horreur, le film de gangster, le cartoon, le western, la comédie musicale et on en passe. Tout est intégré par Watanabe et son équipe dans ce qui se transforme en un pot-pourri de la culture du XXème siècle. En pierre angulaire de cette démarche se trouve la musique de Yoko Kanno. Par son maniement virtuose de styles musicaux variés, la compositrice assure plus que quiconque la cohésion de ce mariage d’influence. Sans ce fil rouge émotionnel, la série n’aurait jamais pu atteindre son statut de chef d’œuvre. Mais si cette convocation galvanisante de tout un imaginaire est brillante, la qualité de Cowboy Bebop ne peut tenir qu’à cela. Aujourd’hui plus qu’hier, on ne compte pas les produits se contentant d’aligner des références pour caresser le public dans le sens du poil et ne révélant guère plus que d’opportunistes coquilles vides. Cowboy Bebop ne serait pas une œuvre marquante si elle n’était qu’un amusant patchwork, c’est que la série ne considère pas son concept comme une fin en soi. Oui, il participe grandement au plaisir du visionnage mais il contribue surtout à donner son essence de la série. Comme dit précédemment, Cowboy Bebop puise dans nos fantasmes. Il prend tout ce que l’on a pu admirer dans l’art et l’assemble en un lieu unique. Tout se mélange et se percute. Même s’il est gouverné par certaines règles, l’univers de Cowboy Bebop apparaît sans barrière et aux possibilités infinies. En jouant avec nos rêves filmiques, Watanabe en fait une dimension onirique qui va lui permettre de mieux raconter ses personnages.

Personnage central de la série, Spike Spiegel le dit lui-même : il vit dans un rêve dont il ne se réveille jamais. Son existence au sein du vaisseau spatial Bebop tient de l’échappatoire. Les rêves étant elliptiques et n’ayant pas à justifier leur déroulement d’un point de vue pratique, la série n’expliquera jamais clairement les tenants et aboutissants de son passé. Du peu d’informations présentées, on sait que Spike est un ex-criminel qui s’est retourné contre ses anciens employeurs pour vivre avec la femme qu’il aime. Les choses ont apparemment mal tourné et il s’est enfuit en abandonnant tout derrière lui, y compris sa bien-aimée. Il s’est réfugié dans le monde réconfortant du rêve. A la lisière du réel et de l’imaginaire, le temps y est comme suspendu. Les règles de l’espace y sont relatives comme semble l’indiquer l’omniscience d’un groupe de petits vieux. La mort de cause naturelle est absente. L’équipage du Bebop a beau souvent être affamé, il se plaint plus de l’état de manque que d’une perspective de mourir de faim qui paraît inenvisageable. Dans Heavy Metal Queen, Spike s’expulse dans le vide spatial sans protection et ne souffre d’aucune séquelle. Toys In The Attic tourne même en dérision la mort. Pastiche d’Alien dont l’ambiance lourde et inquiétante cache son lot d’absurdité absolument hilarante, l’épisode se conclue sur le supposé décès des protagonistes. Avec l’air régulièrement détaché de Spike et de ses compagnons, on pourrait donc croire que les conséquences sont sans importance. Pourtant, la mort est bien présente dans Cowboy Bebop. Après tout, la mort est la grande sœur du rêve.

Les rêves sont générés par notre subconscient pour répondre à des besoins de notre esprit, que l’on veuille ou non s’y confronter. Il n’en va pas autrement dans l’univers de Cowboy Bebop. Celui-ci va ainsi rappeler constamment Spike au destin auquel il s’est dérobé au fil de ses rencontres. C’est là qu’on pourrait dire que la série s’empare de la logique du rêve pour l’incorporer dans un domaine artistique plus général. Nos rêves sont conçus par notre personne et adressés à nous seul. Il n’en est pas tout à fait de même pour de l’art. L’expérience que nous faisons de l’art nous est belle et bien unique. Si l’artiste veut infléchir nos émotions par différents moyens et manipulations, la façon dont nous allons plier devant ou accepter nous est propre. Pour autant, une œuvre ne nous est pas particulièrement destinée, elle est destinée à l’ensemble de la population, contrairement au rêve. Or, la dimension onirique de Cowboy Bebop est précisément plurielle. Il n’est pas un monde singulier tournant tout entier autour de Spike. C’est un univers collectif et, comme le rêve mélange souvenir et imaginaire pour atteindre ses objectifs, il va croiser les trajectoires des personnages et les faire rentrer en collision.

C’est ce que pose d’emblée le premier épisode de la série Asteroid Blues. Rétrospectivement, on se rend compte que cet épisode inaugural annonce déjà le final. Spike y recherche Asimov et Katrina, un couple qui a volé un stock de drogue au gang pour lequel il travaillait. Leur but est de le vendre rapidement, puis s’enfuir pour se bâtir une nouvelle vie. Ils sont traqués de toute part et Asimov est de plus en plus épuisé par ses pulsions ultra-violentes suite à la consommation de la drogue. Dans le premier des deux seuls contacts qu’ils auront, Spike joue pratiquement un rôle d’oracle pour le couple en leur affirmant que leur fuite est vouée à l’échec. Une ironie puisque c’est justement un oracle qui le mettra sur la voie des deux personnages. L’impossibilité de l’échappée se retrouve avec le ventre gonflé de Katrina qui ne contient pas un bébé, symbole d’avenir, mais la drogue qui consume son compagnon. À l’inverse de Spike, Katrina accepte l’illusion de son rêve et le chemin funèbre qu’elle a emprunté, tuant Asimov pour abréger ses souffrances avant de se suicider en forçant un barrage de police. Il faudra attendre The Real Folk Blues pour que Spike fasse de même et aille au bout de sa propre histoire.

En dépit de son avertissement et d’une seconde intervention plus musclée, on note que Spike a finalement peu d’impact sur le déroulement des évènements d’Asteroid Blues. C’est quelque chose de régulier dans la série. Cela contribue déjà à la caractérisation des personnages dans une logique de losers magnifiques. Malgré toute sa ténacité, l’équipage du Bebop n’obtiendra jamais la fortune et la gloire. Ils ne bénéficieront que des récompenses de substitution moralement plus gratifiantes. Ce manque de main mise sur les intrigues affirme aussi l’absence de maîtrise sur l’univers du rêve et donc sur le propos que celui-ci veut lui apporter. On retrouve cela dans un autre épisode annonciateur de l’épisode conclusif avec Waltz For Venus. D’une manière similaire, Spike croise le chemin d’un jeune homme ayant volé un gang pour financer l’opération de sa sœur. D’abord récalcitrant à son encontre (effet de déjà vu oblige), Spike se prend d’affection pour lui et joue les mentors en lui inculquant quelques techniques de combat. À la fin, l’adolescent montre qu’il a réussi à retenir son enseignement en exécutant une action qu’il n’arrivait pas à appréhender jusqu’alors. Mais il se fera abattre juste après. Malgré ses efforts, Spike n’a pas pu le protéger et n’a eu aucune emprise sur le chemin qu’il s’est tracé. Même chose sur Jupiter Jazz où Spike ne rencontrera Julius que trop tard, lui avec qui il partage la quête vengeresse contre la même personne (Vicious, personnage le plus « réel » de la réalité puisque rejetant explicitement toute notion de croyance).

De par son état de fuite, Spike passe presque pour un fantôme. Par conséquent, il ne peut aspirer offrir la vie aux personnages qu’ils côtoient. Le fait est que Spike s’avère plus apte à donner la mort. Si lui-même ne quitte pas l’enclos du rêve, il amènera d’autres à s’en délivrer. Dans Sympathy For The Devil, il abat ainsi Zen. Immortel prisonnier d’un corps d’enfant, il met un terme à une vie figée et déshumanisée. Similairement, dans Pierrot Le Fou, il renvoie Tongpu par une simple blessure au paradoxe de sa folie et le laisse succomber à ses délires. Du point de vue de Spike, la mort à laquelle il a échappé tient lieu de réveil et il ne peut se prétendre entier sans passer par cette étape. Comme il le dit à la fin en prenant la décision d’aller vers la confrontation qu’il a si longtemps repoussé : « j’y vais pour me prouver que je suis bien vivant ».

Dans sa pluralité de perception, la série va néanmoins introduire d’autres impressions de cette phase du réveil. À l’apaisement de Spike, elle lui oppose son versant désenchanté avec Faye Valentine. Si Spike est un personnage en fuite par choix, Faye l’est par contrainte. Tiré d’un sommeil cryogénique, elle est propulsée dans une époque qui n’est pas la sienne sans le moindre souvenir. Endettée jusqu’au cou, elle fuit parce que c’est son seul moyen de survie. La récupération de ses souvenirs et donc le réveil à l’entièreté de son être ne sonnera malheureusement pas pour elle comme une délivrance. Elle incarne au contraire toute la brutalité du réveil. C’est ce que représente Speak Like A Child qui prépare la séparation à venir sur Hard Luck Woman. L’épisode fonctionne dans sa majeure partie sur un registre comique. Rien ne présage de la rupture de ton sur les dernières minutes, laissant place à une pure mélancolie. En quittant le monde instantané du rêve, on prend le risque de se confronter à une réalité sinistre. Ce qui est le cas de Faye. Même si elle sait qui elle est, cette pensée est un maigre réconfort par rapport à ce que cette vérité implique. Tout ce qu’elle avait et tout ce qu’elle a connu a disparu. Elle est seule, elle n’a rien et doit tout reconstruire. Sous ses airs dilettantes, Faye apparaît comme le personnage le plus tragique de la série.

Entre ces deux extrêmes, on trouve deux autres extrêmes : la juvénile Edward Wong Hau Pepelu Tivrusky IV (dit Ed) et le patriarche Jet Black. Ed finira la série en quittant le Bebop accompagnée du fidèle Ein et en traçant son propre chemin. Personnage excité et déluré, Ed symbolise tous les privilèges de la jeunesse qui est libre d’arpenter à loisir le rêve et de s’en nourrir autant qu’elle peut. Membre le plus âgé du Bebop, Jet a également récupéré ce privilège. Les deux épisodes centrés sur sa personne lui ont permis de mettre de l’ordre dans ses affaires en suspens, qu’elles soient de nature professionnelle dans Black Dog Serenade ou sentimentale dans Ganymede Elegy. Il n’a plus rien qui l’attache à la réalité et au crépuscule de sa vie, il a le droit de profiter du monde du rêve. Un détail ne trompe pas sur cette position favorisée dans l’épisode Mushroom Samba. Désireuse de tester les effets de champignons hallucinogènes, Ed en refile à chacun des membres de l’équipage. Spike et Faye auront des délires en lien avec leurs problèmes. Spike est condamné à monter éternellement les marches vers le paradis sans jamais l’atteindre. Faye s’imagine en train de se noyer et tente en vain de rejoindre la surface. Quant à Jet, on le voit philosopher avec ses bonzaïs. Sauf que contrairement à ses deux comparses, il n’y a aucune représentation de sa vision délirante. Probablement parce qu’il n’y a pas autre chose à montrer que ce qu’est déjà sa réalité. Jet vit pleinement son fantasme et il aura tout le temps de le poursuivre en étant au final le seul membre résidant dans le Bebop.

On peut ainsi noter comment un épisode consacré à la comédie cartoonesque peut distiller des informations sur les personnages. Plus que marier les influences, la série sait jouer sur ses ambiances et leurs implications émotionnelles. L’idée d’un humour comme vecteur de sens se trouve d’ailleurs également dans un des derniers épisodes Cowboy Funk. D’allure anecdotique, ça n’est pourtant pas un hasard si celui-ci intervient aussi tardivement dans la série. Spike y croise littéralement son doppelgänger. Andy est en effet son double, chasseur de prime exerçant son travail déguisé en cowboy. Il a totalement investi la dimension du rêve. Telle le montre la conclusion où il revête l’apparence d’un samouraï errant, Andy peut incarner toute forme d’imaginaire. La rivalité entre lui et Spike sera source de comédie jusqu’à s’achever dans un respect mutuel. Andy est la version purement fantasmée de Spike et renvoie logiquement ce dernier à son propre comportement (expliquant son irrépressible haine envers lui). En laissant s’éloigner cet emblème de tous ses rêves, Spike se rapproche alors de sa décision finale. C’est après tout la fonction légendaire du doppelgänger qui annonce généralement la mort de l’individu.

Les raisons du succès et de la popularité jamais démentis de la série se trouve certainement là. Elle nous parle de tout ce que les rêves ont à nous offrir dans leurs diversités et richesses pour au bout du compte nous reconnecter autour de thèmes universels sur les rapports à l’imaginaire, au passé, à la mort et surtout à la vie.

CRÉATION : Hajime Yatate
SCENARIO : Keiko Nobumoto
REALISATION : Shin’ichirō Watanabe
ORIGINE : Japon
GENRE : Western, Cyber punk, Néo-noir
Avec : Aoi Tada, Kôichi Yamadera, Unshô Ishizuka
FORMAT : 25 minutes
ANNÉE : 1998
BANDE-ANNONCE

Synopsis : 2071. Suite à un accident survenu sur la Lune, la vie sur la planète Terre est devenue impossible. Les Humains ont dû partir, coloniser d’autres planètes. Cet exode a créé un chaos dans tout l’univers, laissant une totale liberté aux criminels les plus dangereux. Un vrai terrain de jeu pour les chasseurs de primes. Parmi cette clique : le Bebop, un vaisseau spatial abritant Spike Spiegel et Jet…

7 Comments

  • Anonyme Says

    Superbe analyse. Bravo

  • Anonyme Says

    Merci beaucoup pour ton analyse que je trouve très pertinente.
    Tu m’a ouvert les yeux sur des aspects que j’ignorais sur cette série qui est une de mes Préférés.

  • Augustin Says

    [1] Je n’avais pas réalisé que le thème du rêve était aussi prégnant dans Cowboy bebop. Ou plutôt, ce n’est pas ce mot que j’avais choisi.

    C’est l’hybridité de la série qui m’a marquée. Comme tu l’as souligné, il y a un mélange des genres qui donne presque le tournis si l’on s’efforce de les distinguer les uns des autres : science-fiction, film d’action, mélodrame, horreur, film de gangster, cartoon, western, comédie musicale… Alors, pour éviter le tournis, ne décomposons pas la série en ces différents genres : essayons d’apprécier le créé dans sa globalité. On se retrouve avec une série sans genre, versatile, qui refuse le déjà-vu sans pour autant refuser le parti-pris assumé. La série assume pleinement, à mon sens, une esthétique : pour preuve, l’hybridité est une catégorie qui permet d’en analyser plusieurs éléments, pas seulement son genre. Prenons Ed : iel aussi sort des catégories de genre. Prenons l’épisode 11 et le frigidaire pourri : invoquant les traits du film d’horreur, les évènements tournent pourtant au comique (elle touche même à l’absurde, ce qui sort de l’opposition horreur/comédie, et nous plonge alors dans une indistinction au niveau du ton). Prenons la famille alternative constituée par nos quatre personnages. Ou encore les paradoxes apparents de ces derniers : Ed entre hyper-compétence et naïveté, Jet entre chair soigneusement nourrie par ses talents de cuisinier et son bras mécanique, etc. Ce ne serait néanmoins pas rendre justice à la série que de la déclarer indistincte. [suite en-dessous]

  • Augustin Says

    [2 / suite du premier message]
    Il me semble qu’un autre élément « hybride » peut nous permettre d’avancer dans la réflexion. Je trouve le jazz contrastant avec l’univers spatial : ce n’est pas une musique immatérielle qui résonnerait avec l’apesanteur, puisqu’elle utilise bien des instruments traditionnels et non pas électroniques. Mais le contraste est relatif : le jazz n’est-il pas un genre qui fait penser à la dislocation du social dans la traite des esclaves ? Cette dislocation du social est justement prégnante dans la série : « prévenance » serait mal utilisé pour décrire la relation entre Jet, Spike et Faye ; cette dernière, acculée de dettes, est recherchée par un système économique peu indulgent ; exercer en tant que chasseur de prime met l’opportunisme au sommet des valeurs, trait sur lequel une culture peut difficilement se fonder ; pas d’urbanité non plus, puisque les relations de voisinages sont réduites dans l’espace. Chaque épisode, en nous mettant face aux pires crapules, montre les horreurs engendrées par une société sans culture ni social : Tongpu et Zen en sont les exemples paroxystiques. L’hybridité, dans ces conditions, apparaît comme une résistance contre l’effritement du monde. Elle n’est pas seulement une juxtaposition d’éléments qui sont traditionnellement séparés, mais aussi la création de nouveaux ensembles, mettant alors une faculté à l’honneur : créer du lien. L’intérêt du patchwork résidant non pas dans les carrés de tissus mais dans le fil qui les assemble. Créer du lien avec des humains qui ne sont pas de notre famille, des objects techniques à réparer ou même des animaux non-humains (chien !). Créer du lien, mais pour quoi faire ? [suite ci-dessous]

  • Augustin Says

    [3 / suite des deux premiers messages]
    Tu remarques que ni Spike ni les autres membres de l’équipage n’atteignent leurs objectifs, que ce soit dans Asteroid Blues, Walz for Venus ou Jupiter Jazz. C’est que l’intérêt ne réside pas tant dans l’objectif à atteindre que dans l’invention des solutions. La fuite en avant qui caractérise les personnages (Faye, par exemple, misant son existence sur l’avenir, son passé étant trop incertain ; ou bien Ed, dans un style moins anxieux, semblant ne donner aucune valeur à la vie) témoigne de l’inhabitabilité du monde. Mais ne soyons pas dupes, il me semble que ce que nous dit cette série, c’est que la solution n’est pas dans l’avenir (je ne vois pas d’espoir se dessiner au fil des épisodes) mais dans le présent. Pourtant, le réel glisse entre les doigts, il est si divers qu’on ne peut en comprendre la cohérence, et son délitement n’offre pas le privilège de la contemplation. Rester en mouvement est alors la seule chose sensée : surtout, ne pas se fixer, et le faire consciemment. Le présent, d’accord, mais sans s’adapter : il s’agit de suivre ses envies, sans toutefois se projeter trop loin, l’avenir est trop incertain… Ce mode de vie, Ed en offre sans doute l’exemple le plus frappant, iel qui quitte à la fois son orphelinat et le vaisseau au cours de la série. [suite dans le prochain messages]

  • Augustin Says

    [4 / fin du paragraphe 3 et conclusion]
    Rester en mouvement, c’est garder son esprit occupé dans une société dont l’éclatement est propice à la mélancolie et à la perte de sens. La plus tragique, Faye, semble la victime ultime de cette société ; mais justement, c’est de sa reconquête du pouvoir dont parle la série. Si elle est comme tu dis en fuite par contrainte là où Spike l’est pas choix, sa quête de vérité sur son passé est une révolte contre ce déterminisme. Et puisque ce n’est pas la nécessité qui préside aux départs en mission (tu parles de l’absence de mort naturelle qui rend la nourriture finalement assez accessoire), le mouvement est mise en branle pour lui-même, pour le plaisir de voir se déployer différents styles d’action : la personnalité qui transparaît derrière tel stratagème, telle maîtrise du mouvement, tel choix d’armes.

    Cowboy bebop me surprend donc par son mélange des genres, qui ne signifie pourtant pas une incapacité à assumer une esthétique. C’est plutôt une volonté de garder une hybridité et un aller-retour constamment en mouvement qui anime les choix esthétiques et narratifs. Hybridité et mouvement étant les deux seules manières de garder les pieds sur terre face à une société qui perd son sens sans lien social et et sans autre culture que la compétition et l’opportunisme (ce qui nous rappellera peut-être l’atmosphère du néolibéralisme…). Dans ces conditions, le rêve me semble tantôt le symptôme de l’absurdité d’un monde qui engendre la folie d’un Zen, tantôt le ressort nécessaire aux personnages pour rester actifs. Irrationnelle étant à la fois la société à laquelle nous faisons face et l’énergie requise pour y vivre sa vie librement, comme une révolte, une résistance. [fin]

  • Erika Says

    Je viens de terminer la série et cette analyse et le complément d’analyse apporté par le commentaire d’Augustin m’ont fait mieux comprendre la série. Plus que cela, c’est le type de réflexion sur la vie et ses interprétations multiples que j’affectionne particulièrement.
    Merci pour ce moment de réflexion qui vous donne un sentiment de mélancolie et qui a tendance à rappeler que la vie que l’on mène repose sur le choix de vivre l’instant présent, sans trop se soucier du futur lointain incertain, en se rappelant l’importance de savoir d’où l’on vient pour mieux savoir où l’on va (représenté par la souffrance de Faye face à son passé effacé).
    J’ai apprécié la dimension spirituelle de la série qui est si bien accordée avec le contexte du voyage dans un espace infini.
    On comprend au fur et à mesure que le destin des personnages est scellé et que chacun est à la recherche de quelque chose, et qu’ils n’avancent dans cette quête que lorsqu’ils sont seuls et se retrouvent face à eux même, ou alors qu’ils affrontent leurs anciens démons, cherchant toujours à combler ce sentiment d’inachevé.
    Dans la plupart des épisodes d’ailleurs, les personnages confrontés à une même situation ont des interprétations multiples de l’événement qui est en train de se produire et on a toujours cette impression de comprendre la situation à travers les yeux de chaque personnage. Les conséquences et l’impact d’une situation sur eux sont variés et on remarque que dans peu de situations ils sont tous du même avis: cette divergence de point de vue mêlé à des quêtes qui s’entrechoquent résulte à des conflits et des séparations fréquentes des membres de l’équipage du Bebop, et malgré cela, l’affection qu’ils se portent est bien perceptible. Voila mon interprétation.

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