On vous a laissé longtemps sans nouvelles sériephiles, peut-être parce que la propriétaire de cette plume avait délaissé ce medium au profit du sacro-saint cinéma. Mais le confinement lui aura permis de retrouver son premier amour et de découvrir des curiosités ou pépites, non chez Netflix mais chez son concurrent principal, Prime Vidéo. Puisque l’interface n’a pas été pensée en fonction de l’expérience utilisateur, il aura fallu fouiller dans ses tréfonds pour trébucher sur Keeping Faith, série galloise produite par la BBC.
Spoilers : en filigrane, vous pourrez deviner certains ressorts de l’intrigue mais la critique reste suffisamment évasive pour qu’une personne n’ayant pas visionné la série en préserve certains mystères.
Keeping Faith, une série qui joue sur tous les fronts
Le premier épisode de la série nous fait vivre, presque en temps réel, le traumatisme de son héroïne et se sert des paysages bucoliques gallois pour incarner ses peurs. On aurait donc pu croire que la première saison poursuivrait son traitement par l’intime d’une thématique d’habitude parcourue par le genre policier. Cependant, on se rattache bien vite à des ressorts séculaires : corruption, mafia, institutions viciées, etc. Alors, les intrigues deviennent plus poussives et se ponctuent de petits accros scénaristiques…
La frustration n°1 : le (non) développement du personnage d’Evan
On s’attachera bien peu à Evan puisque le personnage n’est pas assez fouillé pour cela. En effet, on effleure ses fêlures et on les observe d’un œil distant. C’est peut-être le signe d’un certain militantisme : il faut garder le focus sur Faith et évacuer toute compassion pour l’homme coupable de ses malheurs, mettre en exergue la force et les passions de l’héroïne, bref mettre en scène le point de vue féminin ; rien que le point de vue féminin. Même si c’est honorable, cela semble dommage de ne pas exploiter davantage l’alchimie d’Eve Myles et de Bradley Freegard, époux dans la vie. Aussi, il devient lassant de voir l’acteur arborer plan après plan l’expression du cocker triste, le regard du chien battu alors que ses compétences lui permettraient de jouer une palette bien plus large.
La frustration n°2 : romance express
Non contents d’avoir déjà initié plusieurs fils rouges, les scénaristes ont très vite laissé éclore une passion amoureuse qui secouera Faith. Si la romance est touchante, on peut toutefois objecter qu’elle survient beaucoup trop vite. La durée diégétique de la saison 1 est d’une semaine, il est donc difficile de croire qu’en un laps de temps si court autant de péripéties aient pu se succéder. Non seulement, les retournements de situation sont pléthore mais l’état d’esprit de l’héroïne évolue à vitesse grand V. Tristesse, déni et colère s’y retrouvent condensés et lui laissent encore le temps de faire la connaissance de Steve et tomber sous son charme. Ce problème de temporalité laisse la série confiner au soap, ce qui est loin d’être honteux mais qui laisse tout de même un goût de déception, le pilote nous ayant orientés vers une autre direction, plus introspective.
Keeping Faith, une ode au féminin
Marée basse
Malgré ces quelques notes déceptives, la série nous offre une partition élégiaque assez enivrante. Le cadre unique du canal de Bristol (dont les marées sont parmi les plus hautes du monde) offre un paysage digne des romans gothiques. À la lande galloise qui se fait cadre idéal du corps mélancolique, répondent les chansons pop composées par Amy Wadge. Si les mélodies peuvent paraître trop emphatiques voire mielleuses, on apprécie que les douleurs se cristallisent autour d’une unique voix. Le timbre est d’ailleurs rocailleux ce qui ne pourrait pas mieux faire écho à la personnalité de Faith, femme forte qui n’hésite pas à exprimer ses émotions. On note que la plage est toujours filmée quand l’océan se retire, à marée basse, n’offrant à la contemplation qu’un paysage désolé. Quand le monde de Faith s’effondre autour d’elle, l’océan lui-même déserte le sol et arrache tout sur son passage. Ici, le vent souffle et le personnage principal n’est plus obligé de maintenir les apparences – quoiqu’au quotidien, elle n’hésite déjà pas à prendre de front certains de ses ennemis. Comme les paroles de la chanson « Nothing left » le suggèrent, le monde naturel semble lui-même ébranlé, ce qui fait de Faith une héroïne en mode survie. Et pourtant, c’est aussi sur le littoral qu’elle retrouve son amant. Lors de de la saison 2, elle explique même qu’il est le medium par lequel elle réapprend à respirer, comme s’il insufflait en elle un nouveau souffle vital. Par conséquent, c’est un procédé psychologique qui se fait en deux étapes : l’environnement arrache douloureusement les larmes. Et Steve de panser les plaies. La plage, c’est la permission du deuil, l’ouverture des plaies pour les désinfecter en profondeur avant qu’elles puissent être pansées (non sans douleur). La mise en scène n’oublie pas de filer le parallèle, insistant bien sur les grandes bouffées d’air iodé que Faith inhale. Contrairement à d’autres fictions où la thérapie serait brève et signe d’apaisement, on y voit un procédé fastidieux qui bouleverse et qui ne peut se développer que dans un bain de larmes.
Le pathos assumé
Finalement, Keeping Faith se révèle être une ode à au féminin qui se bat, qui combat, qui crie, qui pleure, qui hurle, qui rage. D’une part, on pourrait trouver qu’Eve Myles se tient à l’orée du surjeu, d’autre part on doit concéder que ses tics et expressions faciales soulignent le caractère totalitaire de son personnage. C’est dans l’expression de la douleur que se situe sa force autant que dans sa retenue. Ce personnage féminin est assez incroyable par la spontanéité et la fraîcheur dont elle est capable avant le drame vécu et ensuite par la persistance de ses valeurs et idéaux, par sa fidélité sans faille à sa famille et sa clairvoyance. En sus, ce personnage est difficile à étiqueter puisque dépeint à travers des identités très différentes : Faith est intellectuelle, mère, boxeuse, etc. Avocate de formation et galloise de surcroît – son accent est très marqué – Faith possède une gouaille assez jouissive et le sens de la réplique qui fait mouche. Il est par conséquent précieux pour les spectatrices de pouvoir se projeter dans un tel personnage, pas une jeune fille, pas une jeune femme mais une quadragénaire, en outre mère de trois enfants. Bref, cette série dessine avec finesse le contour d’une nouvelle féminité, dénuée de tout stéréotype.
Keeping Faith : quand la foi vacille
Sous tous les angles, Keeping Faith se fait récit de la perte : perte du mari disparu, oui, mais surtout perte des illusions. Tout ce en que quoi l’héroïne croyait vacille sous le poids des mensonges. Mus en illusion, les souvenirs s’effondrent. Quand toutes ses convictions sont détournées, Faith l’idéaliste ne peut que se perdre elle-même et renoncer à certains de ses idéaux, c’est-à-dire accepter de se corrompre. En quelque sorte, elle doit renoncer à l’image qu’elle avait d’elle-même, une avocate d’une droiture extrême et qui ne souffre aucune compromission. En plus de faire le deuil de son mari, de son couple tel qu’elle l’a connu, elle traverse donc aussi le deuil du Moi. A partir de là, la perception du monde se ternit et ne laisse que des visions teintées de gris. Comment continuer à élever des enfants dans ces circonstances ? Comment être la lueur qui éclaire leur chemin, comment servir de modèle quand son intégrité est déstabilisée ?
Ce parcours, similaire à la catabase des héros grecs explique le ressentiment qui la gangrène et ses séances cathartiques de boxe. Si Evan a été lâche comme la série le répète à loisir, il lui a surtout ôté ce qu’elle avait de plus cher et qui ne pourra jamais être totalement reconstitué. Au contraire, Faith affronte les problèmes de front, sans jamais leur tourner le dos. On comprend à demi-mot qu’Evan a été en prise avec les attendus patriarcaux de la société, qu’il en a intégrés toutes les logiques et que ce sont elles qui l’ont détruit. Il ressentait certainement une pression asphyxiante à l’idée de devoir rentrer dans le costume de son père et craignait de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. C’est l’archétype de l’homme qui préfère tout gérer seul : ses finances, ses ennuis, ses défaites et, ne sachant pas communiquer ses états d’âme, qui ensevelit son éthos sous un monde de faux semblants. Il pense que cela fait partie de son devoir d’endosser le rôle ancestral du chef de famille quand bien même il ne s’y sentirait pas prêt et in fine, il oublie que son épouse est aussi sa partenaire professionnelle, sa meilleure amie et sa confidente. Par plusieurs remarques énoncées par Faith, on devine que là n’est absolument pas sa vision du couple moderne et qu’au contraire, elle plaçait la sincérité au dessus de toutes valeurs.
La série se fait donc profondément politique en montrant que les âmes masculines s’égarent quand elles sont en quête d’une virilité bien désuète et se croient en prise avec tous les devoirs que l’imaginaire collectif leur a attribué. On comprend sous ce jour les actes les moins pardonnables d’Evan qui lui auront servi de drogue (pour oublier affres et culpabilité) mais auront aussi été signes d’un renoncement ; il est en effet plus simple de s’avouer vaincu que de lutter pour préserver son intégrité. Il aura sûrement pensé pour se dédouaner que ses actes étaient nécessaires ; pour survivre dans une société corrompue, ne faudrait-il pas en accepter les règles du jeu et ternir son âme, à la façon de Dorian Gray ? C’est aux mêmes problématiques que Faith fera face : les gens de bien peuvent-il lutter contre le Mal avec morale et respect ? Comment lutter contre les salauds quand nous nous interdisons d’employer les mêmes armes qu’eux ? La série aurait pu jouer davantage du parallèle entre les deux époux et en profiter pour exhumer les sentiments qui les unissent. Cependant, elle aura su nous bouleverser par ces enjeux idéologiques, permettant au talent d’Eve Myles d’éclater à l’écran.
CRÉATION : Matthew Hall
DIFFUSION : BBC One Wales (disponible sur Prime Video en France)
AVEC : Eve Myles, Bradley Freegard, Hannah Daniel
ORIGINE : Grande-Bretagne
GENRE : Drame
STATUT : ?
FORMAT : 60 minutes
ANNÉE : 2017
BANDE-ANNONCE
Synopsis : Suite à la disparition de son mari, Faith Howells découvre que ce dernier menait une double vie. Tandis qu’elle essaye de protéger sa famille et de préserver sa santé mentale, elle embarque dans une quête pour trouver enfin des réponses à ses questions.