Annecy 2021 : Les Paysans

Les Paysans était l’un des work-in-progress les plus attendus du festival et il s’est avéré le plus fabuleux de cette édition. Il était difficile de contenir notre enthousiasme à découvrir plus en détail la nouvelle production de l’équipe de La Passion Van Gogh. Initialement pensé comme un court-métrage, le développement en long-métrage avait en son temps soulevé le scepticisme du milieu professionnel. Que ce soit du côté du cinéma en prise de vues réelles ou de l’animation, cette idée d’animation en peinture n’apparaissait pas comme une bonne idée. Un succès critique et commercial plus tard, la donne a changé. Dorota Kobiela et Hugh Welchman ont prouvé l’intérêt de leur démarche et des portes se sont ouvertes. Reste désormais à confirmer. Si l’envie de développer un nouveau film selon le même processus s’imposa rapidement, il fallait trouver un sujet. Est-ce qu’il fallait repartir sur un nouveau récit biographique avec un autre peintre ? Cela ne paraissait pas opportun puisqu’avait toutes les chances de déboucher sur quelque chose de trop semblable. Plusieurs projets furent alors envisagés comme par exemple un film d’horreur empruntant au style de Goya (proposition très excitante et toujours conservée pour le futur de BreakThru Productions). Kobiela soumit alors une idée qui est née au cours de la production de La Passion Van Gogh.

Pendant des sessions de peinture, elle se passa en fond sonore le livre audio de Les Paysans. Prix Nobel de littérature en 1924, ce roman polonais de Wladyslaw Reymont raconte la vie d’un village pendant une année. Extrêmement réputé en Pologne, ce pavé de 800-900 pages figure au programme scolaire et fait partie de ces œuvres que peu d’élèves prennent la peine de lire en entier. Ce fut donc une redécouverte pour Kobiela. Elle s’est immergée dans un style littéraire qu’elle a rapidement rapproché de la peinture dans sa manière de mêler la poésie au réalisme. Elle fut séduite par la façon dont sont abordés les thèmes du temps, la vie, la nature et le cycle. Poussant Welchman à s’y mettre, celui-ci dû admettre après un premier rejet que l’ouvrage proposait une fascinante dimension épique. Cela était idéale pour succéder à l’envergure plus intime de La Passion Van Gogh.

Néanmoins, il fallait se confronter à un sérieux soucis d’adaptation. A la fin de l’écriture, la taille du script équivaut à 5% du livre. Pour atteindre ce résultat, il était évidemment obligatoire de faire des choix. En ce sens, Hugh Welchman concentra l’histoire sur le parcours d’un seul personnage Yagna. Il reconstruisit ainsi l’intégralité du récit à la 1ère personne selon son point de vue. Afin de ne pas omettre dans la refonte des éléments significatifs de l’œuvre, il opta également pour une concentration sur ce qu’il juge ces points essentiels. Soit la beauté, la passion et le conflit entre l’individu et la collectivité. Au regard de ce travail de titan, le choix de l’animation en peinture apparaît d’autant plus essentiel. Dorota Kobiela déclare que les adaptations de roman sont souvent trop réductrices et que ce choix d’un visuel évocateur lui permet de contourner cela. Ce point est encore plus important qu’il respecte la nature des personnages du livre ne verbalisant pas leurs émotions et s’exprimant parfois par d’autres moyens (ça sera notamment le cas par l’intermédiaire de scène de danse).

Le WIP s’est logiquement arrêté sur la conception graphique. Si Kobiela a pu se reposer sur le savoir acquis avec La Passion Van Gogh, l’ambition de Les Paysans relève d’autres défis. La grande différence est bien sûr que La Passion Van Gogh se référait à un seul peintre alors que les sources sont multiples sur Les Paysans. Kobiela n’avait pas envie qu’une patte individuelle l’emporte sur un autre, tout en devant conserver l’unité graphique du film. Cela conduisit à l’élaboration d’une bible d’inspiration lorgnant particulièrement vers le début de l’impressionnisme polonais. Il fallut repartir dans une phase de test pour s’assurer de la dynamique et du style avec la réalisation d’une bande-annonce

s’avérant très concluante. En contrepartie, Kobiela se retrouve moins restreinte dans sa mise en scène. Elle n’a plus l’obligation de se conformer strictement à certaines références picturales et ce caractère moins statique lui donne les moyens d’embrasser le sens de la violence et passion de l’histoire. D’ailleurs, on note que le film mariera plus les techniques que La Passion Van Gogh et utilisera des CGI pour certains éléments comme les animaux.

Aujourd’hui, la production est loin d’avoir achevé ses treize mois de travail d’animation mais on attend avec la plus vive impatience de voir le résultat prévu pour l’année prochaine.

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