Santa Clarita Diet ou le zombie parodique, un objet théâtral

Autrefois cantonnés au rôle de l’entité monstrueuse sans cervelle, les zombies deviennent un phénomène de société et phagocytent les écrans, petits ou grands. La romance Warm Bodies avait déjà popularisé au cinéma l’infecté qui a du cœur et n’attend qu’un rappel de son humanité. Il fallait l’attendre, cette obsession s’infiltre désormais jusqu’aux comédies. L’héritage de George Romero qui s’était ravivé dans les années 2000 (28 jours plus tard) est ici bien lointain et le zombie revête des propriétés qu’on attribuait autrefois au vampire, on pense au personnage de Sheila dont la libido connaît un regain exceptionnel depuis sa transition. Les néo-zombies sont souvent plus rapides, plus intelligents et depuis peu également doués de sentiments. Si Santa Clarita Diet s’inscrit dans cette lignée du zombie sentimental (façon iZombie), son aspect purement charnel et son retour au stade oral demeurent un fil rouge de l’intrigue. Ce n’est toutefois pas ce qui frappe le plus immédiatement car le principal référent de la série est la dramédie en suburb américain. Le cadre de vie du quadragénaire issu de la classe moyenne supérieure est le premier ressort comique de Santa Clarita Diet qui entrechoque les cultures : il s’agit de mettre en scène le décalage entre un thème littéralement cru et un environnement aux airs de Wisteria Lane. L’American Way of life d’une famille décrite comme des plus banales se verra donc remise en question par la mutation de Sheila. Cependant, cet effet ne peut s’inscrire que dans un court terme car la surprise à contempler des cadavres démembrés dans une banlieue ensoleillée ou bien des meurtres qui ponctuent de vaines discussions de voisinage se fait éphémère. Notre regard de spectateur, habitué aux transgressions de tous genres, s’habitue bien vite à la tonalité décalée de la série et on attend plus qu’un remake morbide de Desperate Housewives

Cette valeur ajoutée, c’est bien sûr Drew Barrymore et sa bouille enfantine qui semblent taillées pour ce rôle. Sheila, sage quadragénaire fait sa crise par l’intermédiaire de sa transformation en mort-vivante. À plusieurs reprises, la série ironise à ce sujet : il aura fallu qu’elle meure pour se sentir pleinement vivante. Le fil rouge de la saison servira donc à lever une à une les inhibitions de la classe moyenne supérieure et à les voir assouvir leurs fantasmes. Cela s’appliquera aussi bien aux voisins, à l’adolescent geek et introverti qu’à l’aînée un peu rebelle. Sur les bons conseils de Sheila, chacun est tenté de suivre son « ça » et se laisse contaminer par sa nouvelle joie de non-vivre. Hélas, ces personnages secondaires ne sont pas assez charismatiques pour que l’on s’y attache sincèrement. La série ne trouve pas l’équilibre entre humour et pathos comme ses ancêtres ont pu le faire ; tant de comédies nous ont émus, y compris au format sitcom entre deux rires du public. À l’inverse, quand Joel fond en larme, scène qui n’a pas vocation à faire rire, l’émotion ne prend pas comme elle le pourrait, si bien que la série échoue à tisser entre le spectateur et le personnage un lien tangible. Cette scène réunit Joel et sa fille Abby qui s’avouent leur désespoir face à la situation. Et pourtant, on ne ressent que le ridicule des pleurs hyperboliques joués par un Timothy Olyphant grimaçant. La fin de saison parle davantage à notre humanité puisqu’elle pense l’impermanence du corps.

La scène où l’orteil de Sheila se détache de son pied possède suffisamment de cruauté et d’absurde pour nous faire rire et pour nous horrifier dans un même mouvement. Les tentatives du personnage pour figer son corps à un instant –t et empêcher ses membres de se disloquer un par un renvoient vers nos peurs les plus intimes. C’est la plus grande réussite de la série qui s’éloigne alors d’un discours psychologisant mais dépeint des angoisses organiques. Cela illustre plus précisément la crise de la quarantaine qui confronte les femmes à leur horloge biologique changeant de cap, aux premiers cheveux blancs, aux rides qui se creusent sur le visage, aux enfants qui prennent leur envol, etc. Malgré cela, les ressorts comiques se reposent à outrance sur le pitch initial de la série (une quadra sexy qui se mue en zombie) qui demeure souvent le seul initiateur du rire. On suppose néanmoins que les scénaristes ont prévu d’autres trouvailles pour la saison 2 qui a déjà été annoncée…

Ainsi, même la dérision ne bat jamais son plein. La drôlerie devrait provenir de la banalisation du mythe du zombie – Sheila mixe des cervelles dans des smoothies – mais la cruauté de la situation ne nous frappe jamais totalement et ce, malgré la violence des images (cadavres démembrés et plans sanguinolents), on ne se prend donc pas totalement au jeu et la série ne parvient pas à s’écarter d’un Desperate Housewives un poil plus déjanté. Ce qui fait rire, c’est bien la conscience de transgresser des tabous et de rire de sujets impropres au genre, il est donc permis de graduer le grotesque et l’horreur, de les coupler toujours plus.

« Les zombies activent le niveau freudien du rire, permettant d’exprimer de façon acceptable des pensées socialement inacceptables autour de tabous constitutifs : les zombedies dans la lignée des Return of the Living Dead sont des « comédies de la mort », tabou ultime de notre société selon les historiens des mentalités. Au niveau bakhtinien, les zombies sont carnavalesques, célébrant par leur réalisme grotesque le bas corporel anarchique et joyeusement ambivalent, bouffant et étant bouffés, libérés des contraintes du corps sérieux de la culture policée. Auto-référentiels et souvent auto-parodiques, ils sont aussi des icônes de l’ « horralité » étudiée par P. Brophy, fusion d’horreur et d’hilarité. »

Invasion Zombie, Antonio Dominguez Leiva

C’est l’abjecte et le grotesque qui fusionnent pour mieux nous dérider et qui en nous choquant, nous donnent envie de nous esclaffer, ravis de notre propre irrévérence. Quand Sheila dévore un cadavre sans envie et seulement pour le faire disparaître, c’est au tabou de la profanation que l’on nous renvoie. Les zombies ancestraux ne peuvent pas réfléchir et mangent par simple impulsion, ici Sheila engloutit un corps pour supprimer toute trace de son existence et en étant consciente de son geste. Il y a pire : cela ne choque pas son conjoint qui trouve plutôt commode cette manière de dissimuler des preuves et qui prive ainsi son ancien voisin d’un rituel funéraire. C’est bien la mise à distance du tabou qui nous choque et nous pousse donc à en jouir. Quand Joel commet un meurtre sans avoir d’excuse valable à ce sujet, on comprend qu’une limite morale est franchie car le personnage qui se voulait garant de l’ordre établi bascule lui aussi du côté du crime. Le spectateur oscille alors entre inconfort et sourire, ne sachant comment se positionner par rapport à ce monde qui asphyxie le surmoi.

Néanmoins, cet inconfort n’est pas pleinement servi par les joutes verbales qui monopolisent les personnages. Non seulement les dialogues très denses possèdent une saveur de déjà-vu mais ils illustrent l’incapacité de la comédie à laisser au silence une utilité burlesque. On ne laisse in fine jamais au comique de situation ou de gestuelle le loisir de se déployer puisque le verbe est omniprésent et pas toujours à bon escient. Les dialogues font sourire, bien sûr, mais ne sont jamais assez jouissifs pour faire accepter cette logorrhée, seule Drew Barrymore permet de porter le ton décalé de la série, nous charmant par sa frimousse de femme-enfant. Ce n’est pas anodin puisque le retour à l’enfance et donc au stade oral charpente sa transformation en zombie. Sa faim et sa sexualité ne font désormais plus qu’un et son appréhension du monde se réduit à son besoin d’ingurgiter l’autre. De chacune des mimiques de Sheila, transparaît l’innocence et la pureté. Si elle rationalise ses actions en décidant de ne manger que des criminels, on constate aussi que ses phases boulimiques n’ont étrangement rien de malsain : comme un bébé, elle explore, elle tâte et elle porte à sa bouche les objets de sa curiosité. Sheila n’est pas portée par des instincts mauvais mais au contraire par une avide envie de découvrir le monde. Absorber des corps étrangers devient pour elle un mode d’exploration normal qui ne lui procure qu’une infime culpabilité.

Les situations ont par conséquent de quoi captiver le spectateur (au sens propre puisqu’on se retrouve captifs de notre attrait pour le gore) mais nous ne pouvons pas en dire autant des personnages. La mythologie de Santa Clarita Diet bercée de manuscrits médiévaux est intrigante mais à ce stade, on se demande tout de même si elle ne sert pas de simple ornement à une comédie qui s’avérerait alors assez convenue. En effet, les personnages à la caractérisation minimale ne semblent eux-mêmes pas investis par les intrigues qui les concernent, en atteste la mort du policier qui ne fait même pas sourciller sa compagne. Comment se sentir proche de protagonistes qui donnent l’impression de jouer leurs émotions et de ne jamais les vivre ? À tout moment, on s’attend à voir les acteurs faire un clin d’œil à la caméra, à tout moment, on attend les rires de l’audience et roulements de tambour précédant un jeu de mot. Les inquiétudes des personnages ne sont jamais réelles, leurs détresses, leurs angoisses ou leurs romances ne sont que des prétextes au rire qui alors se vide de sa susbstance. Tourner en dérision un sujet n’est pas strictement équivalent à lui ôter toute sa puissance narrative… Si légèreté il y a, l’humour noir n’est pas flagrant alors qu’on aurait précisément pu attendre ce cynisme (cynisme dont Abby l’ado rebelle pourrait se faire la voix). On se rappelle notamment de Dead like me qui liait un univers farfelu à des intrigues dramatiques. N’est pas Bryan Fuller qui veut…

La série compile des références, se donnant ainsi des airs : Desperate Housewives donc, des airs de sitcom adolescente (les intrigues concernant Abby et Eric) des airs de iZombie comique mais la mise en scène ne lui permet pas de trouver son identité propre. Les personnages semblent frappés de déréalisation tant leurs réactions sont invraisemblables et distanciées des circonstances. Nous pourrions y voire un nihilisme philosophique si la narration n’épousait pas des rebondissements classiques. Car les personnages essaient réellement de trouver une cure à Sheila, ils mènent des enquêtes, ils parlementent, ils évitent la police, ils essaient de garder leur famille soudée et malgré toutes ces péripéties, tout est creux. Cela se traduit par des espaces contextuels qui se désagrègent bien vite. Rapidement, l’espace professionnel des agents immobiliers disparaît nous faisant perdre de vue l’opposition entre leur quotidien banal et leur intimité extraordinaire. Or c’était précisément la réussite de Dead like me qui avait restitué cette dichotomie entre le travail administratif de Georgia et son identité marginale. De même, l’espace-lycée des adolescents devient volubile et ne s’incarne pas réellement à l’écran. Le personnage du proviseur est cantonné au running-gag, les camarades lycéens ou autres enseignants n’existent pas plus à l’écran. Le choix d’un nombre de personnages minimal est probablement à incriminer. La construction d’un microcosme est souvent une force, en attesterait Robert McKee, mais ici le tissu relationnel n’est pas assez fort et surtout le contexte n’a pas été suffisamment posé au préalable.

Ainsi, c’est bien la caractérisation qui pêche et qui mène vers une redondance des intrigues. Abby s’ennuie à l’école et se réjouit de vivre des aventures plus palpitantes, ce constat rapidement dressé nous est montré, dicté, répété chaque épisode. De même, le topos du geek introverti qui manque de confiance en lui et rêve de séduire la girl next door reste étonnamment superficiel pour une série de 2017. Les voisins sont à peine assez farfelus pour nous faire sourire et l’espace-banlieue, huis-clos probablement assumé n’a pas la densité d’un Wisteria Lane. Les maisons que les personnages principaux tentent de vendre en leur qualité d’agents immobiliers sont utilisées tantôt comme des scènes de crime, tantôt comme des lieux de vie interchangeables. Cela fait poindre une critique des suburbs et rappelle la manière dont Los Angeles est dépeinte dans Ray Donovan, froide et sans substance, néanmoins l’environnement est si transparent qu’il est difficile d’en déduire plus. Il y aurait pourtant de quoi construire un espace signifiant et établir un parallèle entre les villes nouvelles construites en périphérie des villes, sans histoire ni âme, et les villes post-apocalyptiques. À ce sujet, on pourrait citer la subversive Weeds qui savait porter sur l’American Way of Life un regard acerbe. Le brillant générique qui révélait la routine des habitants du quartier, leurs trajets de footing et finalement leur intimité dévastée se voulait plus cynique. Le refus de Santa Clarita Diet de porter un tel message et sa phobie du pathos lui font alors endosser le costume de la série fun au bon mot. La série nous annonce la vacuité d’une communauté et nous montre que derrière le masque… il n’y a qu’un masque.

L’aspect théâtral anime ainsi des marionnettes aux yeux ahuris (le mari) qui récitent un texte drolatique, sans même un clin d’œil métatextuel pour appuyer l’idée. On assiste donc davantage à une suite de (bons) sketchs qu’à une série réellement subversive. Puisqu’elle se veut parodique, la série devrait s’engager davantage dans cette voie et ne pas hésiter à dévoiler ses accointances, bref à grossir le trait pour paradoxalement rendre le tout plus crédible. La série qui incorpore à différents genres le mythe du néo-zombie a donc encore de quoi faire pour détourner les codes de la culture populaire et se les approprier sans quoi les signes qu’elle porte seront dépossédés de leurs signifiants.

CRÉATION : Victor Fresco
DIFFUSION : Netflix
AVEC : Drew Barrymore, Timothy Olyphant, Liv Hewson, Skyler Gisondo, Mary Elizabeth Ellis
RÉALISATION : Ruben Fleischer, Marc Buckland
SCÉNARIO : Victor Fresco, Clay Graham
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie, Fantastique
STATUT : En cours de production
FORMAT : 30 minutes
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Joel et Sheila sont mariés. Tous deux agents immobiliers, ils vivent dans l’insatisfaction de leur petite routine tranquille à Santa Clarita, une banlieue de L.A., jusqu’au jour où Sheila subit une transformation spectaculaire qui les attire vers la mort et la destruction… pour le pire et surtout pour le meilleur !

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