Ni no Kuni : La vengeance de la sorcière céleste

« Le mix 2D/3D fonctionne parfaitement et il n’est abusé de dire que c’est un véritable dessin animé interactif qui prend vie sous nos yeux.« 
« On a tout simplement l’impression d’être dans un film du studio.« 

La formule est belle. Elle a de la classe, en met plein les yeux et se veut garante d’une expérience vidéoludique extraordinaire. On se souvient alors de la réaction de certains critiques suite au visionnage de Scott Pilgrim, lesquels avaient l’impression de s’être retrouvés face à un jeu vidéo. « On était dans une salle de cinéma, on se retrouve avec une console vidéo et moi ça m’assomme », lâchait à l’époque un Eric Neuhoff éberlué face à ce nouveau représentant d’une fusion moléculaire qui le dépassait. Effet inverse aujourd’hui donc, dans la mesure où ce que Ni no Kuni parviendrait à proposer se révélerait si immersif qu’il en ferait oublier au joueur qu’il est le maître d’une partie de ce qui se déroule à l’écran.

Bien sûr, des élans d’enthousiasme tels que ceux cités plus haut doivent être pris dans leur globalité. Ils émanent le plus souvent de nouveaux joueurs moins attirés par l’objet lui-même que par le nom des studios Ghibli qui lui est accolé. Pour autant, ce genre d’affirmations est bien connu de ceux accoutumés depuis des années à des tests toujours plus enthousiastes face aux progrès en matière de graphismes. Combien de fois sommes-nous tombés sur les promesses de frontières toujours plus ténues entre cinématiques et phases de gameplay ? Pour autant, au-delà de l’appréciation de l’univers visuel de Ni no Kuni comme substitut idéal à des chartes graphiques plus traditionnelles, le désormais fameux « on se croit dans un dessin animé » (aka the new « on se croirait dans un western » qu’illustrait Red dead redemption) semble se parer d’autres arguments que celui, purement visuel, du cel-shading. C’est après tout ce qui fait l’essence du procédé, et chaque nouveau jeu en faisant usage depuis Jet set radio s’accompagne des comparaisons avec le médium animation. Reste que si la qualité des graphismes de Ni no Kuni est sans surprise évoquée au premier plan, à celle-ci s’ajoutent d’inhabituelles considérations narratives. Et pour cause : là où les meilleurs films d’animation se servent de l’image seule pour véhiculer du sens et illustrer leurs thématiques, Ni no Kuni inscrit directement ces dernières au cœur même de son gameplay.

UN ASPECT META

Et ce n’est pas la moindre de ses qualités si l’on en juge par le nombre improbable de codes en tous genres empruntés non pas tant au JRPG qu’au jeu vidéo lui-même. Infiltration, voyage dans le temps, capture et dressage de familiers, l’alchimie, la carte du monde que l’on peut parcourir, la recherche d’un objet dont il faut récupérer plusieurs parties, les quêtes annexes, les invocations, les systèmes de transport, la possibilité de prendre un ennemi par surprise ou inversement, le colisée, le casino… Ou même une séquence en 2D qui se paie le luxe d’être justifiée narrativement. En cela, Ni no Kuni se veut plus qu’à la simple croisée des genres : en évitant le spoil autant que possible (restez connectés, on y revient dans les semaines à venir, cette fois en vous spoilant la gueule comme il se doit), il convient juste d’appréhender le fait que l’univers du jeu se veut aussi bien nourri par l’imaginaire de son jeune héros que par les envies de développeurs passionnés, lesquels peuvent jubiler face à un scénario donnant matière au moindre caprice. Un monde hybride prétexte à compiler tout ce qui a fait le succès des JRPG traditionnels. Chrono Trigger, Eternal Sonata, Illusion of time, Dragon quest, Final Fantasy, Pokemon, la saga Tales of… Rien ou presque de ce qui constitue les grandes phases de gameplay de Ni no Kuni n’est inédit.
En un sens, celui-ci pourrait même très bien incarner le JRPG moderne terminal si son système de combats, sans ambages l’un des moins bons du genre et principal défaut du jeu, n’était si perfectible. Aaah, voir ses actions annulées ou ses familiers se marcher dessus…
Mais en réunissant en un tout harmonieux l’ensemble de ces codes, par-dessus tout en justifiant la présence de chacun d’eux par l’expérience vécue par Oliver, le jeu de Level-5 marque une date dans l’histoire d’un genre que d’aucuns voyaient péricliter depuis une dizaine d’années.


Vaincre un boss ou aider des gens aura rarement été autant porteur de sens

La raison en est simple : quel que soit l’acte effectué par le joueur, l’aventure peut se prévaloir de lui donner un sens, de le doubler d’une symbolique rarissime chez ce média. Jusqu’alors considérées inconsciemment, des mécaniques de gameplay bien connues en viennent à se parer d’une signification thématique immédiate. D’une anecdotique victoire sur un boss au simple fait de laisser un coéquipier derrière soi, Ni no Kuni nous invite à repenser certains de nos agissements sinon en brisant momentanément la suspension d’incrédulité, en tout cas en nous demandant de prendre du recul sur la situation en cours pour mieux cerner ce qu’ils impliquent en terme de métaphore ou d’allégorie. Et si l’on pourra toujours regretter que le scénario n’exploite pas toujours au mieux ce parti-pris, au moins le fait-il avec une subtilité n’interdisant jamais de vivre tout cela au premier degré. Plus qu’un niveau de lecture supplémentaire, il offre au jeu une dimension psychologique, une ampleur et un supplément d’âme surprenants à bien des égards.

UN ASPECT… BÊTA

Hélas, cette subtilité tranche avec un aspect didactique encombrant là aussi la plus insignifiante de nos actions. Et ce n’est pas le moindre des euphémismes : entre des tartines de dialogues insupportables qui ne cherchent jamais à dissimuler leur répétitivité (sur ce point, les quêtes consacrées aux vertus deviennent rapidement pénibles) ; un didactisme affolant où les personnages te décrivent les enjeux, t’expliquent les enjeux et, mais c’est vraiment parce que c’est toi, te réexpliquent les enjeux… Les joueurs allergiques au dirigisme en seront pour leurs frais. Régler quelques options pour y remédier ne sert finalement que de palliatif face à des missions dont la structure, pour le moins galvaudée, peut être remise en question. Deux cas de figure en l’état : le joueur laisse l’étoile affichée sur la carte pour lui permettre de se rendre directement à l’endroit voulu. Ou celui-ci la supprime, se prêtant alors au jeu de scénaristes passionnés par les allers et retours au sein d’un même environnement.
On retrouve là la pate typique de Level-5, celle du genre à te pondre un Dragon quest VIII où chaque quête était constituée de sous-quêtes, qui était constituée de sous-sous-quêtes, qui… Prenons l’un des premiers gros objectifs que Ni no Kuni nous propose, la recherche d’une baguette magique qui nous serait offerte par le roi de la première ville dans laquelle nous débarquons. Un énoncé simple, répété une dizaine de fois au cas où mais tout de même simple.
La démarche à effectuer en revanche. Celle qui nous est imposée.
Mmmm…

Visiter la ville trouver des vêtements constater qu’il est impossible de voir le roi parce que son poisson rouge s’est échappé chercher ce putain de poisson rouge retourner voir le roi qui a malheureusement perdu son enthousiasme repartir en ville chercher une personne qui a de l’enthousiasme revenir le donner au roi le roi va chercher la baguette sauf qu’aller chercher une baguette ça met du temps et comme tu n’as rien d’autre à faire et ben tiens si on allait au magasin d’équipements comme ça pourquoi pas c’est super de s’équiper revenir au château mais le roi ah ce cher roi ben il est pas là partir dans le monde réel revenir pour chasser une souris… Bon.
#EtCestPareilPourAvoirUnBateau

Paradoxalement, Level-5 limite les excès de ce genre de schéma au premier quart du jeu. Il ne faut y voir là que la volonté des développeurs à faire comprendre au joueur la logique de la diégèse où il met les pieds, tout en lui dévoilant de manière plutôt intuitive la cohérence de cet univers.

« PLUS MENTEUR QU’UNE FEE, TU MEURS »

Un monde qui, de par sa nature même, voit ses géniteurs emprunter autant au conte de fées qu’au cinéma de Miyazaki ou à notre propre culture populaire. Un agrégat d’influences qui se fait bien sûr écho direct de celui opéré au cœur du gameplay, à des fins narratives encore une fois. Un moyen comme un autre d’étoffer les passages obligés en jouant volontairement sur les acquis du joueur/spectateur/téléspectateur/lecteur. Sans être de véritables relectures, ces séquences gagnent en profondeur et ont le mérite d’amuser. Il faut voir les personnages se plaindre de missions complexes ou se moquer d’archétypes que l’on n’a pas forcément l’habitude de voir ainsi maltraités.
Le tout sous la bienveillance d’une direction artistique (et on ne cessera de le répéter mais plus que les graphismes, c’est bien elle qui nous importera dans notre jugement) pas nécessairement surprenante (si ce n’est au niveau des villes traversées) mais plutôt sublime en l’état. Certains boss sont parmi les plus beaux – oui oui, les plus beaux – jamais affrontés et le chara-design compense en général une mise en scène des combats plus fonctionnelle qu’autre chose (même les invocations n’ont pas l’envergure que l’on aurait pu souhaiter). Demeurent de très belles idées visuelles par instants, faisant aboutir certaines velléités spectaculaires du meilleur effet (l’œil du cyclone, le château de Shadar…). Parcouru à n’en plus pouvoir d’immenses moments de bravoure, Ni no Kuni se crée progressivement une carrure et un charisme inattendus. La bonne réception du jeu par le public aura par ailleurs nettement été mise sur le compte de sa magnificence visuelle. Ce serait oublier qu’au-delà de cet aspect, ce qui impressionne le plus n’est autre que le sublime travail de Joe Hisaishi, compositeur attitré de bien des classiques estampillés Ghibli. La mauvaise foi nous impose certes de souligner un certain manque de risques (les habitués du genre pourraient reconnaître sans aucun mal le type d’environnement sur lequel vient se poser tel ou tel morceau), il n’empêche qu’en tant qu’OST, celui-ci n’a rien à envier aux plus belles mélodies du genre.

Vous l’aurez compris, sans se révéler transcendant d’un bout à l’autre, Ni no Kuni reste un de ces jeux indispensables à même de réconcilier détracteurs et défenseurs du genre auquel il appartient. Assurément grand, il ne lui manque que cette maîtrise technique qui fait les chefs-d’œuvre. Peut-être de quoi ressortir frustré de l’expérience, pas assez en tout cas pour ternir le tableau de manière significative. À la fois ambitieux, ample et sincère, il marquera sans sourciller votre année 2013 de son indiscutable magie. On appelle ça un must-have.


DÉVELOPPÉ PAR : Level-5
ÉDITÉ PAR : Namco Bandai
DISPONIBLE SUR : Playstation 3
GENRE : RPG
ORIGINE : Japon
DATE DE SORTIE : 1er février 2013
DUREE DE VIE APPROXIMATIVE : 40 heures pour la quête principale
BANDE-ANNONCE









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