[Annecy 2020] Les rencontres

Le festival d’Annecy ce n’est pas que des films. C’est aussi des rencontres. Alors certes, cette année ce sont des rencontres à distance mais qui n’en conservent pas moins leurs intérêts.

Le réalisateur Henry Selick et le compositeur Bruno Coulais s’offrent une plaisante conversation. Le constat est presque étonnant tant le premier parle souvent au second de contrariétés, que celles-ci soient infimes et dû à son sentiment d’insécurité artistique ou importantes et dépassant totalement sa simple personne. C’est bien évidemment le cas du confinement qui empêche la rencontre en direct des deux hommes. Une situation d’ailleurs plus compliquée à vivre professionnellement pour Selick que pour d’autres dans le domaine de l’animation. Car si l’animation 2D et 3D peut se poursuivre en télétravail, il n’en va pas de même pour la stop-motion et sa manipulation de figurines. Mais tout en admettant ses moments de frustration, Selick montre également qu’il n’est pas du genre à se laisser abattre et s’avère toujours prêt à aller de l’avant. C’est le cœur d’ailleurs de la discussion où chaque difficulté conduit moins Selick à se morfondre qu’à se réjouir lorsque certaines opportunités se concrétisent. Cela est à la base de la collaboration entre les deux artistes. Il y a un véritable respect mutuel qui amène Selick à craindre d’annoncer certaines décisions influençant le travail de Coulais alors que celui-ci percevra constamment leurs intérêts artistiques et les acceptera sans souci. C’est le cas habituel des indispensables changements de montage contraignant Coulais à revoir la si parfaite partition qu’il avait composé. Mais cela donne aussi des changements plus drastiques comme sur le futur Wendell And Wilde où Selick a voulu intégrer une mécanique de pop song autour d’un personnage. Une hérésie à annoncer pour un compositeur mais qui ne mécontente pas Coulais, jugeant que c’est une bonne idée.

De cette conversation, la leçon à tirer serait : qu’importe les épreuves liées à l’exigence que l’on se fixe, il faut accepter l’échec car on ne sait jamais quand le vent peut tourner en sa faveur. Selick ne pleure guère par exemple sur l’annulation de The Shadow King, long-métrage avorté car jugé trop sombre par les studios. De même, il ne s’est pas démonté pour Wendell And Wilde alors qu’il avait lui-même du mal à définir un film à la croisée des genres. C’est lorsqu’il croisera sur son chemin Jordan Peele que le projet trouvera la parfaite impulsion. C’est le genre de rencontre qu’on ne commande pas et ce fut aussi le cas avec Coulais. Selick ne savait pas exactement où trouver le compositeur qui saurait saisir l’atmosphère particulière de Coraline. Ça sera le temp track comportant des morceaux du Peuple Migrateur qui lui fera connaître le travail de Coulais. Là où cet outil est souvent défini comme responsable du recyclage musical en vigueur actuellement à Hollywood, il lui a fait gagner un précieux compagnon. Car au bout du compte, toutes les contrariétés de Selick restent liées aux ambitions de son art refusant l’évidence (il critique le recours à une musique soulignant juste l’image) pour offrir des idées qui changent (Coulais cite la difficulté à faire accepter l’utilisation des chœurs sur Coraline). Et cela rend cette heure d’échange très inspirante.

En 2018, Dean DeBlois était à Annecy pour une preview de Dragons 3. On avait pu apprécier son côté détendu, s’affairant à un exposé clairement préparé mais qu’il n’hésitait à bousculer en cours de route. On était ainsi très loin des présentations des productions Disney où les intervenants suivent un script extrêmement précis, sentant qu’ils seraient foudroyés sur place s’ils disaient un mot de travers. La masterclass que DeBlois donne cette année montre bien qu’il n’est pas du genre à se cacher ou à ne pas connaître ses capacités. La forme de l’interview le dénote. On y évoque ainsi à sa carrière dans le désordre, sautant d’un point à un autre. Il répond pourtant à chaque question en s’adaptant, tout en laissant s’exprimer une vision claire de son art. Là est toute l’essence du réalisateur qui se veut fidèle à lui-même, tout en acceptant d’être suffisamment flexible pour profiter de chaque opportunité se présentant sur son chemin. Il ne fait pas pour autant preuve de candeur comme lorsqu’il parle par exemple du confinement, opportunité d’isolation souvent fantasmée par les artistes mais s’avérant surtout une lutte contre les distractions. Mais il faut savoir faire avec ce qu’on a. Après tout, c’est comme cela qu’il s’est trouvé embarquer dans l’aventure Dragons. Chris Sanders l’invita à se joindre au projet qui devait être intégralement remanié. On lui fixa plusieurs éléments narratifs à respecter et pour le reste, il était libre de réinventer les livres de Cressida Cowell (qui accepta bien volontiers cette réappropriation de son travail littéraire).

DeBlois reviendra d’ailleurs sur cette notion de liberté artistique. Selon lui, les restrictions n’ont rien de gênantes tant qu’elles sont clairement énoncées et peuvent donc être intégrées dans son travail. Il cite en contre-exemple les problèmes de classification sur Lilo & Stitch causées par la violence pourtant cartoonesque dans le dernier acte. Il y a un désir d’honnêteté chez le réalisateur qui se retrouve dans la promotion de ce film culte. La fameuse idée des bandes-annonces où Stitch s’incruste dans les classiques Disney venait de lui. Il la jugeait bien plus clair sur la nature du personnage que tout ce que le service marketing avait pu pondre. DeBlois affirme plusieurs fois le besoin de respecter la voix de ses personnages et ce qu’ils peuvent exprimer. Il précise en ce sens que la personnalité d’un protagoniste doit définir son design et non l’inverse. C’est selon lui ce qui a permis à Stitch de devenir une icône qui fait les beaux jours du merchandising. Évidemment, DeBlois ne peut pas en ce sens contourner la question du remake live annoncé pour Lilo & Stitch. Il ne le définit autrement que comme un signe de paresse d’un studio en position de prendre des risques mais qui ne le fait pas. Il le juge comme un gâchis d’opportunité pour des films originaux et on sent dans son ton une certaine tristesse. Il en va de même pour son passage au film live afin de toucher des thèmes un peu plus matures que l’animation américaine pourrait difficilement lui permettre de faire.

Néanmoins, DeBlois n’affiche aucun regret sur sa carrière si ce n’est de ne pas avoir passer plus de temps avec certaines personnes avant qu’elles disparaissent. Bref, toujours profiter de ce qu’on a car on ne sait pas quand tout peut s’effondrer. Il définit avec modestie son parcours comme facile et sa chance d’avoir trouvé avec le temps la communauté de passionné où il avait sa place. Il n’en minimise pas moins son travail comme son portfolio extrêmement précis qui lui a ouvert les portes de Disney ou son désir de passer du service lay-out au story-board pour mieux s’exprimer. Ce qui l’amènera à rencontrer Chris Sanders sur Mulan et lui donnera l’opportunité de travailler sur une scène clef du film : celle où l’héroïne se coupe les cheveux. Une scène pivot qu’il a conçu d’office sans parole en s’inspirant de la scène du suicide dans Le Cercle Des Poètes Disparus. Rester fidèle à soi est ce qui prévaut à ses yeux en dépit des évolutions technologiques (notable sur les dix ans de production de la trilogie Dragons qui a su conserver son esthétisme de bout en bout) ou la mécanique du studio dont on ne peut pas complètement se détacher. A la question « faut-il s’accrocher à sa vision artistique aussi bizarre soit-elle ou toucher le plus de gens ? », DeBlois ne peut ainsi trancher et admet qu’il faut accorder les deux. Cela ne l’empêche pas poser des limites comme le note son refus (pour le moment) d’un Dragons 4 malgré la fin légèrement ouverte imposée par le studio. Au final, DeBlois a offert plus d’une heure généreuse en belles paroles.


Bien que désormais retraités, Ron Clements et John Musker n’ont eu pas perdu les habitudes de chez Disney et suivent un script pour leur conversation. Un ajout de structure qui ne prémunit malheureusement pas contre les soucis techniques émaillant la communication. Il n’en reste pas moins que leur discussion est sympathique même si peu encline à livrer de grandes informations inédites ou à se laisser aller sur certains points (la question des remakes live est esquivée rapidement). En l’état, ils font ensemble un tour d’horizon de leur carrière qui commença de manière similaire puisque les deux compères ont pratiquement le même âge. Ron Clements évoque ainsi son obsession pour l’animation après la découverte de Pinocchio, sa découverte de l’incontournable ouvrage The Art Of Animation, les difficultés pour étudier l’animation à l’époque et se faire une place dans le milieu, la chance finalement de pouvoir profiter d’un temps où Disney cherchait à renouveler son équipe.

Les deux réalisateurs reviennent bien entendu également sur leur approche de l’animation, se rapportant aux enseignements de leurs mentors Eric Larson et Frank Thomas. Ils abordent ainsi souvent l’importance du jeu d’acteur dans l’approche du personnage animé, la nécessité de faire comprendre ce que celui-ci pense. Cela les amène à expliquer le point déterminant qui les attirent vers une histoire plutôt qu’une autre : le besoin d’une connexion émotionnelle. Musker ajoute également qu’un choix déterminant pour un projet était qu’il devait posséder quelque chose que seule l’animation peut apporter. C’était le cas des personnages parlant sous l’eau dans La Petite Sirène ou de l’excentricité du génie dans Aladdin. La démarche est devenue de plus en plus compliquée à entreprendre avec l’émergence des CGI qui brouille cette limite entre l’animation et la prise de vue réelle. Dans cette même logique, ils évoquent leur gout d’une stylisation par la musique. Cela les a conduits à ne jamais refuser les écarts stylistiques proposés par les compositeurs (l’exemple le plus connu restant Sébastien dans La Petite Sirène). La mécanique du duo est aussi passée en revu. Musker s’occupe d’étaler sur le papier toutes les idées et Musker se charge de les structurer. Puis dans la tradition des sequence directors, il se répartissent chacun les scènes sans se limiter chacun à un genre précis. Bien sûr, il rappelle que la méthode marche parce qu’ils partagent une même vision globale et que c’est pour cela que leur collaboration a pu durer si longtemps.

La discussion passe également en revue les grands évènements du studio (le départ de Don Bluth, le début de l’ère Eisner/Katzenberg, l’avènement de la 3D) sans trop rentrer dans les détails gênants. A peine sentons un léger regret sur le cas de La Princesse Et La Grenouille dont le classicisme rétro assumé n’était peut-être pas le plus approprié au regard des directions prises ultérieurement par des œuvres comme Klaus ou Into The Spider-Verse qu’ils adorent. Se terminant sur quelques conseils (le story-board est une bonne école pour toucher à tout, accepter la critique pour s’améliorer), la masterclass s’avère agréable de la part de deux artistes qui n’ont toujours pas lâché leurs stylos que ce soit pour écrire ou dessiner.

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[Annecy 2020] My Favorite War + The Knight And The Princess + Old Man : The Movie

Festival d'animation Annecy 2020 (online) : Pour le meilleur et pour le pire

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