Michael Bay – An Awesome Rétro (1/2)

©PARAMOUNT PICTURES FRANCE

Pour commencer, Michael Bay va vous expliquer comment ça fonctionne le cinéma

Une anecdote pourrait résumer l’intégralité de la carrière de Michael Bay. À quinze ans, le bonhomme a obtenu un job chez Lucasfilms. Forcément, à son âge, on ne lui laisse pas faire grand chose et il se contente de classer les dessins préparatoires de la saga Star Wars (ce qui pour un fan de cinéma n’est quand même pas rien). À cette occasion, il va toutefois avoir l’opportunité de voir passer les storyboards de la toute nouvelle production de George Lucas : Les Aventuriers De L’Arche Perdue. Sa réaction est nette face à ceux-ci : le film ne va pas du tout marcher ! On ne peut qu’imaginer sa surprise lorsqu’il découvrira en salle le chef-d’œuvre que nous connaissons tous. Ce choc primordial lui a fait comprendre la puissance intrinsèque de l’image. Les idées de cadrage et de mise en scène jetées sur le papier n’ont pas suffit à l’impressionner. Ça n’est qu’à l’écran, lorsque les plans furent terminés et assemblés, qu’il a vu le miracle s’accomplir. C’est par le rythme de la scène, les textures du visuel, l’interprétation corporelle des acteurs et l’accentuation de l’action par les mouvements de la caméra que le film devient cette chose animée qui imprègne l’esprit du spectateur. A partir de là, Bay va concevoir la philosophie de sa carrière : créer un cinéma fait d’expériences visuelles étonnantes.

Dans son ambition, le monde de la publicité semble être une parfaite entrée en matière. Pour atteindre sa cible dans de telles entreprises commerciales, il s’agit surtout de réussir à construire des images chargées de mettre efficacement en valeur le produit. Dans ce registre, Bay se fait rapidement une réputation, alignant un C.V. conséquent et récoltant quelques prix au passage (notamment pour « Got Milk ? »). Logiquement, Bay étend ses activités au clip, lui offrant un peu plus de liberté même si l’objectif reste toujours la valorisation d’un produit (en l’occurrence une chanson et son interprète). C’est d’ailleurs par ce biais qu’il fera son entrée dans l’univers du cinéma. En effet, grâce au clip tiré du film Jours de Tonnerre de Tony Scott, son travail tape dans l’œil des producteurs Jerry Bruckheimer et Don Simpson. Néanmoins, ces derniers ne soupçonnaient probablement pas que ce jeune premier allait devenir une véritable poule aux œufs d’or en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

BAD BOYS
USA – 1995 – 1h58

« Bad boys, bad boys, watcha you gonna do ? Watcha you gonna do when they come for you ?« . Les paroles de cette chanson scandée tout le long du film résume assez bien la problématique de Bay vis-à-vis de celui-ci. Essayez un peu de vous mettre à sa place. Vous êtes un jeune réalisateur. Deux producteurs parmi les plus prospères du moment vous offrent l’opportunité de réaliser votre premier long-métrage. Le hic, c’est qu’ils vous soumettent un scénario juste ignoble. Qu’est-ce que vous faites ? Vous refusez poliment et attendez un projet plus clément qui ne viendra peut-être jamais ? Ou vous prenez votre courage à deux mains et tentez l’expérience en donnant le meilleur de vous-même ? Bay lui optera pour le second choix. Toutefois rétrospectivement, Bad Boys n’est pas un film très agréable à suivre. A l’époque, le magazine Première l’avait qualifié de catalogue des pires excès hollywoodiens. C’était probablement tout à fait le cas à l’époque mais il paraît aujourd’hui difficile d’en juger. En terme de surenchère, Hollywood a toujours pris plaisir à effacer la ligne de saturation pour la repousser un peu plus loin. Bay sera d’ailleurs lui-même le participant actif d’une telle politique. Pour s’en convaincre il suffit d’enchaîner le premier Bad Boys et sa suite sur lequel nous reviendrons ci-dessous. En le revoyant aujourd’hui, Bad Boys apparaît donc fade mais reste intéressant pour la manière dont Bay tente déjà d’imposer son style.

Le réalisateur donne le ton dès son premier jour de tournage. Celui-ci consistait à filmer ce fameux plan en contre-plongée où un avion passe au-dessus d’un panneau indiquant Miami. Le panneau en question est une miniature et l’équipe est à l’aéroport pour la mettre en perspective avec un des nombreux avions atterrissant. Bay débarque sur le plateau et voit que la miniature a été placée à côté de la piste. Il ne sait pas pourquoi elle a été placée ici et demande aux techniciens de la bouger au milieu de la piste pour obtenir le plan qu’il veut. Personne ne comprend pourquoi un tel changement s’impose et se dit juste que cette réclamation est trop dangereuse à exécuter. Après quelques brimades, la miniature est finalement déplacée et le plan prévu mis en boîte. Avec ce premier jour dans le monde du cinéma, Bay marque son investissement dans la production et son désir d’en donner au spectateur pour son argent. Un désir qui deviendra un credo qu’il respectera tout le long de sa carrière même si dans le cas présent, il n’en dispose pas énormément d’argent. Alors que les films de Tony Scott comme Top Gun ou Le Flic de Beverly Hills 2 bénéficiaient de budgets d’environ vingt millions de dollars, Bay ne dispose que de neuf millions pour filmer son gros film d’action estival. En conséquence, il s’agit pour lui de tirer le meilleur parti des moyens à disposition. Remerciant une équipe locale incapable d’effectuer correctement leur travail (l’appartement de Mike Lowery est tellement enfumé qu’on croirait qu’un incendie couve), il s’octroie les services d’une équipe de vétérans capable d’assurer la pyrotechnie avec le peu de temps et de budget alloué. Cela n’empêchera pas Bay de devoir mettre la main à la poche en sacrifiant un quart de son salaire pour tourner un plan dont il avait besoin. Le plan en question ? Celui où un sbire du méchant Tchéky Karyo se fait expulser de l’avion par une explosion. Un plan gentiment violent mais qu’il jugeait nécessaire pour arracher quelques exclamations au public (ce qu’il ne manquera pas de faire dès les premières projection-tests).

Mais au-delà des anecdotes révélatrices, il y a surtout la naissance du style Michael Bay. Dans son commentaire audio, le futur réalisateur d’Armageddon déclarait vouloir se distinguer de la masse en pratiquant une mise en scène extrêmement rapide. Par exemple, il utilise une sorte de luge tractée pour la scène du cambriolage servant d’ouverture dans le seul but d’ajouter de la vitesse à une action finalement assez statique jusque là. Mais c’est bien sûr au niveau du découpage que Bay va se créer admirateurs et détracteurs. Bad Boys dévoile un découpage où les plans s’enchaînent avec une rapidité ahurissante, à un tel point qu’on ne comprend plus grand chose à ce qui se passe. On se retrouve à l’extrême opposé du cinéma d’action de l’époque prôné par le maître John McTiernan. La lisibilité exemplaire de ce dernier cède la place à une véritable abolition de toute notion de repères géographiques. L’une des séquences les plus ahurissantes à cet effet est probablement la poursuite suivant le kidnapping de Téa Leoni. Dans celle-ci, on passe d’un immeuble ou d’une rue à une autre sans en comprendre la moindre logique. En soit, cela apparaît comme un cache misère plutôt efficace pour un public non encore habitué à ce type de techniques. Bay multiplie les coupes et montre ainsi le moindre mouvement ou micro-événement se déroulant au cours de la scène. En conséquence, chacune de ses actions voient sa puissance décuplée par ce montage certes bref (le compositeur Mark Mancina doit parfois changer d’ambiance musicale en un dixième de seconde) mais en saisissant tout l’impact visuel. Un impact qui provient essentiellement de l’apprentissage publicitaire de Bay. Puisant dans une formation nécessitant de faire paraître extraordinaires des choses qui ne le sont pas, il cherche toujours des moyens pour que les images dégagent une vraie force. Il use donc de tout son attirail, des contre-plongées emblématiques (sa trademark des héros se relevant avec un mouvement circulaire) aux caméras à l’épaule donnant un semblant d’excitation (énormément de poursuites en voiture ont été réalisées au point mort par ce biais) en passant par un jeu permanent avec les filtres oranges et bleus jusqu’à un abus quasi-surréaliste (voir le ciel de Miami dans le plan d’ouverture).

Le résultat de cette affaire ? Le film obtient un plébiscite public et engrange près de cent quarante millions de dollars au box-office mondial. Pas mal pour un bête démarquage de la série télé Miami Vice qui aura passé des années à bourlinguer de studio en studio. Don Simpson a d’ailleurs dû être fort soulagé, lui qui la veille du tournage était prêt à abandonner la production devant l’inconsistance du scénario. Mais la réalisation étonnante pour l’époque et les improvisations du duo vedette (Will Smith et Martin Lawrence alors surtout connus du petit écran) ont convaincu le public qui ne s’est pas appesanti sur l’inconsistance de l’intrigue policière et la débilité de sa comédie vaudevillesque. Si les critiques elles ne sont pas tendres, l’avenir de Bay s’annonce radieux.

THE ROCK
USA – 1996 – 2h16

Après s’être accroché à un projet auquel il ne croyait pas, le petit Michael a pu accéder à une production au combien plus prestigieuse pour sa seconde réalisation. Avec un budget sept fois supérieur à celui de Bad Boys, The Rock n’apparaît pas comme un chemin de croix aussi pesant. Rien qu’au niveau du script, Bay bénéficie de prestigieux soutiens. Car si les inconnus David Weisberg, Douglas Cook et Mark Rosner sont les seuls crédités, la production s’octroiera les services de script doctors des plus recommandables. Afin d’améliorer le personnage du bad guy, Aaron Sorkin (Des Hommes d’Honneur, The Social Network) retravaille la partie concernant le Général Hummel. Jonathan Hensleigh (Une Journée en Enfer) repasse derrière pour faire concorder le scénario à la vision de Bay (« c’est son script que j’ai réalisé » déclare-t-il dans le commentaire audio). Quelques conseils sont également demandés à Robert Towne (Chinatown). Pour couronner le tout, Quentin Tarantino serait également repassé sur le manuscrit. A l’instar du USS Alabama de Tony Scott, il y aurait officié en tant que dialoguiste. Si certaines répliques portent bien sa marque, il est toutefois difficile de savoir ce qu’il a exactement apporté puisque Nicolas Cage s’attribue énormément des références rock’n’roll entourant le personnage de Stanley Goodspeed.

Cage est lui-même un autre signe du degré de prestige de la production. Si Bad Boys bénéficiait des prestations (ou plutôt des improvisations) de Will Smith et Martin Lawrence populaires pour leurs prestations télévisuelles, Bay travaille ici avec des pointures du paysage cinématographique. À Cage se rajoute une ribambelle de seconds rôles brillants (William Forsythe, Tony Todd, John C. McGinley, Michael Biehn et même Jim Caviezel pour une poignée de plans) et bien sûr les impériaux Ed Harris et Sean Connery. En interview, Bay ne tarit pas d’éloge sur l’ex-interprète de James Bond et rappelle combien ce dernier lui a fait comprendre l’importance de décrocher un peu de la technique pour être à l’écoute des acteurs. Cela vaut d’ailleurs un passage assez cocasse dans le film. Pendant cinquante minutes, Bay maintient le style initié sur Bad Boys. Dès la séquence d’ouverture, il déploie sa fascination pour un art du bourrinage qui fait bondir le cœur du spectateur en créant un véritable marasme visuel (superposition d’un enterrement militaire, de la préparation du Général Hummel et d’images éparses du Vietnam) et sonore (se mêle à l’identique la musique déchaîné de Hans Zimmer, une conversation radio entre soldats sur le terrain et répliques hors contexte du personnage). Bref, ça hurle, ça crie et ça se déchire dans un flot ininterrompu. Puis vient ce passage où Mason retrouve sa fille. La scène commence normalement pour Bay. Les deux personnages marchent et parlent en même temps. Puis à un moment, Mason se rend compte qu’il parle dans le vide et que sa fille s’est assise sur un banc. Il doit revenir sur ses pas et la rejoindre pour poursuivre la conversation. La situation symbolise clairement Bay, passionné pour un art en mouvement qui découvre qu’il va devoir se poser quelques instants afin de laisser s’exprimer ses personnages.

Mais le cinéaste reste globalement fidèle à lui-même et c’est son approche graphique qui prédomine toujours autant. En dépit de ses scénaristes de renom, l’histoire peine parfois à convaincre tout particulièrement en raison de son ambition de mêler trois sous-intrigues en une. Si l’équilibre narratif est plutôt bien préservé, on aura par contre du mal à se satisfaire de leurs embranchements souvent risibles (la première rencontre entre Goodspeed et Mason se base sur un prétexte incompréhensible). La vitesse d’exécution de Bay et le soutien des acteurs font passer la pilule. Ces derniers n’ont toutefois pas toujours été du côté de Bay, notamment lorsqu’il voulait préserver son sens du mythique. Ainsi faut-il convaincre Sean Connery de la raison de l’exclusion du plan final entre lui et de sa fille au profit d’une conclusion plus énigmatique à la mesure du statut surpuissant du personnage. De même, il faut affronter un Ed Harris qui est un peu frustré qu’on le filme principalement en gros plan alors qu’un acteur s’exprime à travers tout son corps. Allons donc lui expliquer que cela permet à la fois de montrer sa position dominante lors des négociations avec le gouvernement et l’enfermement du personnage dans sa propre mécanique destructive. Les voies du naturalisme n’intéressent pas Bay qui veut se concentrer sur le pouvoir abstrait des images. En ce sens, il affine sa perception par l’exploitation de ses environnements (les extérieurs situés à Alcatraz même et le décor des tunnels regorgeant de mille détails) et une photographie perfectionnée (utilisation alléchante des contrejours et de différents effets de fumée).

Il s’essaie même à marcher sur les traces du grand James Cameron. Si on sait qu’il n’a pas manqué une occasion de demander à Harris comment se comporte le réalisateur d’Abyss durant les tournages (au grand dam de l’acteur qui le considère comme un trou du cul professionnellement parlant), on retiendra surtout les tentatives de Bay pour jouer sur une notion que Cameron maîtrise sur le bout des doigts : l’insert. En insérant un bon plan truqué au bon endroit, Cameron a souvent réussi à décupler la puissance d’une scène sans que le public ait seulement conscience du trucage proposé. Entre autres exemples, on pourrait ainsi citer les miniatures utilisées pour la conclusion de la poursuite sur l’autoroute de Terminator 2. Bay voudrait bien jouer dans la même catégorie. Au-delà de trucages complexes qui font mouches (l’arrivée sous-marine de l’équipe de sauvetage a été filmée avec des marionnettes), c’est surtout cette fascination de décupler une scène par un plan bien placé que Bay tente d’explorer. Dans Bad Boys, tout était surdécoupé et on s’arrêtait indifféremment sur le moindre petit détail. L’approche était immature mais faisait son effet. Dans The Rock, Bay réfléchit donc un peu plus sur la valeur d’un plan. Une illustration pourrait se dérouler lors de la séquence où Mason et Goodspeed fuient des explosions successives dans les tunnels. Afin de faire ressentir le danger de la situation, Bay veut filmer un plan en contre-plongée où Cage et Connery se réfugie sous l’eau alors que des flammes monstrueuses ravagent la surface (on peut y voir un écho à un plan de True Lies). Il sait que ce plan permettra à l’audience de se crisper à son fauteuil mais il ne peut le tourner avec des doublures. Il devra en conséquence convaincre à tout prix ses acteurs de participer au plan malgré le danger d’une telle idée. Evidemment tout ceci reste encore assez rudimentaire, les plans en question étant souvent trop courts pour pouvoir être savourés à leur juste valeur. De même, Bay n’arrive pas à se détacher de quelques techniques économiques mises au point sur Bad Boys et qui détonnent dans une production si friquée. Le plus embarrassant à cet effet sera la course poursuite en ville où des gros plans tremblants ajoutés à des zooms sont censés nous faire croire que Connery participe vraiment à ce rallye de destruction urbaine. Ces défauts, Bay fera en sorte de les annihiler au fur et à mesure de sa carrière.

ARMAGEDDON
USA – 1998 – 2h30

Dans un processus d’escalade perpétuelle dans le spectaculaire, Armageddon était le nouveau projet rêvé pour Bay. Dans Bad Boys, nos héros sauvaient un otage et accessoirement neutralisaient un enfoiré de français qui voulait refourguer sa drogue frelatée aux quatre coins du pays. Dans The Rock, une ville entière était sauvée de la destruction par une arme bactériologique. Maintenant, c’est tout simplement la fin du monde qu’il s’agit d’empêcher. Enfin, le monde, c’est vite dit. On ne peut qu’admettre que Bay livre une illustration un brin réductrice de la notion de menace planétaire. Dès la première chute de météores sur une navette spatiale, le réalisateur balance un plan où un éclat détruit le drapeau américain cousu sur la combinaison d’un cosmonaute. Par cette image, c’est comme si Bay voulait insinuer que ce gros caillou venu du fond fin de l’espace avait choisit sa cible privilégiée. D’ailleurs, la suite semble admettre cet acharnement spécifique. New York sera ainsi « attaqué » dans une séquence de cinq minutes tentant d’installer quelques caractères auxquels s’attacher. Lorsque viendra le tour de la France et de Pékin, ces villes seront atomisées en tout juste une dizaine de plans (ce qui dans le cinéma de Bay équivaut à une durée de trente secondes). Plus loin, lorsqu’un plan de sauvegarde est mis en place, l’investissement des autres pays est juste esquissé en une réplique comme si personne d’autre que l’Amérique n’était soucieux de préserver notre planète bleue. Et il faut voir qui sont nos sauveurs. Si le film atteint des pompons en terme de clichés (les gamins français s’amusent dans des 2CV, le russe est un taré qui habite dans une station MIR en ruine), Armageddon repousse toutes limites en faisant des pires beaufs inimaginables les sauveteurs du monde. Outre leurs natures assez étonnantes (y a que ces petits cons d’écologistes pour croire que les membres de l’industrie pétrolière se moquent de l’avenir de la planète), on restera abasourdi du comportements de ces « héros » qui passeront leurs temps à faire les andouilles en se balançant des vannes douteuses comme seul Bay en a le secret (Nicolas Cage n’hésitait d’ailleurs pas à rappeler sur The Rock à quel point Bay a un sens de l’humour particulier).

Pourtant, c’est ce choix de la beaufitude qui fait passer le film d’un patriotisme américano-neuneu à une dimension plus attendrissante. Quant on évoque Bay au travail, il s’impose généralement l’image d’un grand enfant qui fait mumuse avec des jouets gigantesques. Cette impression ne peut absolument pas être niée (surtout après avoir vu le making of de Bad Boys 2 où le cinéaste répétait une poursuite avec des voitures Hot Wheels). Avec Armageddon, on atteint la quintessence de cette sensation de film de gosses. Bien que le sujet puisse être traité de manière sérieuse (Cameron et le parfois inspiré Peter Hyams développèrent un temps une histoire du même cru), Bay en exploite tous les côtés exagérés pour flatter nos rêves d’enfant. Qui n’a jamais imaginé pouvoir s’envoler dans l’espace intersidéral ? Qui ne s’est jamais rêvé en sauveur du monde ? Lorsqu’on voit les héros du film, ces foreurs pas bien matures et à l’humour pachydermique, réaliser ce fantasme, un curieux processus d’identification se met en place. Si de tels personnages se retrouvent embrigadés dans une aventure de cette dimension, pourquoi pas nous ? Les sensations provoquées par le film se retrouvent alors liées inextricablement à cet onirisme infantile.

Tous les excès du film s’assimilent alors comme une sorte de charmant délire d’enfant en bas âge. Des explosions gigantesques se produisent dans l’espace, on fait des vols planés au dessus de monumentaux canyons, on s’installe dans des navettes fonçant à plusieurs milliers de kilomètre/heure, on se ballade sur un astéroïde au look infernal jusqu’à en faire un véritable monstre vivant. Il ne s’agit plus d’un film catastrophe sérieux où le caractère modeste des héros (après tout c’est la classe ouvrière qui est sollicitée pour sauver les meubles) doit nous faciliter l’immersion. Non, nous nous baignons dans un océan de naïveté en renouant avec ce plaisir qu’on éprouvait à inventer des histoires rocambolesques tous seuls dans notre chambre avec nos jouets. Le paradoxe de Bay sera qu’à longueur d’interview, il passera moins de temps à pointer cette connotation fantaisiste qu’à décrire sa recherche de réalisme par le recours à des spécialistes tels que des conseillers militaires (voir en ce sens la featurette de Bad Boys 2 où un ancien marines montre à Will Smith toutes les conneries qu’il a fait sur le premier film) ou des scientifiques de la NASA ici. Une quête de réalisme pas forcément déplacée sur tous les aspects (l’utilisation maximale de cascades et de pyrotechnie live sur les CGI) lorsqu’elle participe à la création d’excitantes d’images abstraites. Et de son vertigineux plan d’ouverture où retentit la grosse voix de Charlton Heston à son final pétaradant en forme de gros clip larmoyant, Armageddon nous en balance continuellement.

PEARL HARBOR
USA – 2001 – 3h03

En trois films, Bay a récolté trois succès monstrueux au box-office mondial. Malheureusement, la critique ne l’apprécie définitivement pas. Celle-ci épingle à longueur de papiers son style hystérique et ses excès pour le moins douteux. À leurs yeux, le réalisateur demeure un adolescent attardé auquel il n’est pas sain d’offrir tant de gros moyens. Sans forcément tourner à l’acharnement systématique (quoique…), la situation finit par peser sur Bay. Officiellement, il déclare ne pas y porter attention comme le font tant d’autres (Tarantino lui rappellera que si les journalistes le considèrent comme le diable, il jouit lui du statut d’antéchrist). Mais on avouera que c’est difficile à croire. On admettra plus facilement qu’il en a marre d’avoir été étiqueté tâcheron et veut montrer qu’il peut faire de belles choses. Ainsi se lance-t-il dans Pearl Harbor, reconstitution de la tristement célèbre attaque japonaise sur la base américaine stationnée à Hawaï. À lui de montrer à ces scribouillards qu’il est en réalité le David Lean des temps modernes, quand bien même ce qualificatif est déjà attribué à James Cameron. Mais bon, le réalisateur de Terminator est aux abonnés absents depuis quatre ans et Bay entend bien le remplacer. Epinglant à nouveau le film à sa sortie, la critique ne pourra d’ailleurs pas s’empêcher de se moquer de cette production qui veut se faire aussi grosse que Titanic. Si on revoit aujourd’hui Pearl Harbor, il apparaît que la comparaison est loin d’être sans fondement et pas forcément en complète défaveur de Bay.

Il est de bon ton de considérer que le film ne vaut que pour l’heure consacrée à l’attaque. Beaucoup de magazines invitaient même le spectateur à arriver une heure en retard pour éviter l’insipide triangle amoureux et de partir une heure avant la fin pour ne pas se payer la grande vengeance de l’oncle Sam. En soit, il conviendrait d’apporter une nuance au regard du parallèle avec Titanic. Outre sa romance et son spectaculaire, Titanic trouve une résonnance dans le public par sa tonalité apocalyptique où le naufrage d’un navire symbolise la fin d’un monde/époque. Osons donc affirmer que Pearl Harbor se structure autour du même propos. Pendant la première heure dite de la romance neuneu, le film nous serine une véritable intrigue de roman de gare avec des nobles sentiments hallucinants d’incrédulité (toute la longue scène d’explication pour justifier l’abstinence sexuelle d’Affleck et Becksinsale), les rebondissements outrageants (les morts reviennent à la vie comme dans le pire des feuilletons à l’eau de rose) et une comédie d’une naïveté confondante (au moins ça cadre bien avec son époque). Bay, lui, s’engouffre dans cette voie ouverte par le script de Randall Wallace (Braveheart les bons jours, L’Homme Au Masque De Fer les mauvais) en posant sa caméra et en composant des plans qui tiennent plus de la carte postale creuse que d’une splendeur académique. Une incapacité de Bay à s’exprimer à travers un nouveau mode d’expression ? Ou bien une manière de placer ses pions par rapport à la catastrophe à venir ? Les personnages sont tous de jeunes idéalistes (interprétés par une belle troupe d’endives) qui souhaitent servir leur pays en partant à la guerre. L’horreur de celle-ci va s’abattre sur eux sans crier gare et transformer leurs principes douillets en une effroyable réalité. L’idée d’une première heure niaise et à la beauté paradisiaque assez surfaite permet de transmettre cette idée d’un monde creux à l’abri de tout et qui va faire durement l’apprentissage de la vie.

Lorsqu’il se lâche dans l’attaque, Bay n’y va en conséquence pas de main morte. Reconstituée sur les lieux mêmes du drame, cette séquence est un morceau de barbarie. Bien que se voulant moins hystérique qu’à l’accoutumée au regard de la solennité qu’appelle son sujet, Bay ne renie pas son style. La séquence est d’une vitalité exceptionnelle rythmée par les assauts aussi rapides que meurtriers des avions japonais. Pour la plupart, ce seront d’ailleurs de véritables engins qui ont été remis en état pour l’occasion, donnant un sentiment plus tangible à la menace. Il en sera de même pour les conséquences de l’attaque qui favorisent les véritables explosions et destructions à l’emploi des CGI (cela n’empêche pas ces derniers d’impressionner également). Qu’il suive le vol des avions sur leurs cibles ou qu’il se place au niveau de ses trouffions, Bay nous implique dans l’horreur du massacre avec une énergie scotchante. Évidemment, la question se pose si il est naturel de se montrer captivé par tant d’horreur surtout que Bay ne fait pas dans la légèreté (ses images de dizaines d’hommes carbonisés marchant vers la caméra), surtout dans une director’s cut virant carrément au gore (décapitation, démembrement, éventration et autres giclées d’hémoglobine y retrouvent leurs places). Une scène tente de désamorcer la problématique. Il s’agit de celle du triage. Dans cette séquence, les infirmières sont obligées de sélectionner quels soldats doivent être soignés en premier. Bay lui donne une distance en employant différentes techniques de distorsions sur l’image. Cela tend à traduire la sensation d’irréalité vécue dans une telle situation. La même chose peut s’analyser pour le début de l’attaque. À l’approche des avions, Bay fait défiler des valeurs de la culture américaine (des boy-scouts, des enfants jouant au baseball, une mère étendant son linge). Il s’agit pour Bay de trouver une illustration forte de cette invasion du quotidien et il l’exprime de cette manière. Toutefois, si Armageddon fonctionnait grâce à un concept avec une touche SF permettant une distance immédiate avec la pure réalité, Bay peine ici à trouver un juste milieu entre puissance abstraite de l’image et hommage à une réalité tangible. En ce sens, tout ce qui tient à la pure reconstitution des évènements dans les hautes sphères est expédiée comme une obligation historique formalisée parfois juste par une réplique ou une image. On se passionnera ainsi bien peu pour les élans va-t’en guerre du président Roosevelt (Jon Voight en flagrant délit de cabotinage n’aide pas) ou la description minimale du point de vue japonais (la célèbre citation du général Yamamoto à l’issu de l’attaque est balancée sans la moindre considération).

La fin de la séquence de l’attaque laisse toutefois un goût amer et annonce l’horreur du dernier acte. En soit, la référence de la séquence apparaît clairement être l’ouverture de Il Faut Sauver Le Soldat Ryan de Steven Spielberg. Pour rappel, après une tuerie sans nom à peine adoucie par un brin d’humour noir, le réalisateur d’E.T montre une victoire sans joie des alliés sur les troupes allemandes. Si Bay nous a fait ressentir l’horreur de Pearl Harbor, il rompt avec tout pessimisme dans les derniers instants. L’ahurissement est total devant la transformation de la tragédie en victoire sous le simple prétexte que nos deux héros ont abattu une poignée d’ennemis. On pourrait cela dit minimiser la chose (surtout vu le caractère abracadabrantesque des actions exécutées) si la dernière heure ne venait pas enfoncer le clou. Dans l’ultime ligne droite, nos héros vont organiser un assaut sur le Japon pour rendre la monnaie de leur pièce aux bridés. L’organisateur de l’opération déclare d’ailleurs « Ce raid sera comme une piqure d’épingle mais une piqure en plein coeur ». On ricanera doucement après ça qu’Affleck se défende que Pearl Harbor soit une œuvre de propagande. Cette dernière heure vire carrément au puant par l’exécution d’une vengeance puérile par une bande de mauvais perdants (ironiquement l’autre production Bruckheimer du moment, La Chute Du Faucon Noir de Ridley Scott, passera au grill ce type d’attitude). En soit, Bay n’a pas su où s’arrêter dans son hommage aux victimes de la tragédie et se targue tellement de les honorer qu’il ne se rend pas compte de la monstruosité qu’il fait naître. Avec cette dernière heure, Bay tombe dans un patriotisme écoeurant et démolit son concept apocalyptique d’origine pour offrir une lueur d’espoir nauséabonde. Lorsque sortira trois ans plus tard Team America (hilarant démontage de la machinerie Bruckheimer), Trey Parker et Matt Stone écriront une chanson nommée Pearl Harbor sucks. Cette chanson rappelle à quel point cette erreur de jugement qui conduit le film a loupé son sujet dans les grandes largeurs. Il en aurait peut-être été autrement si le film avait été produit quelques mois plus tard. Il faut rappeler que Pearl Harbor est sorti juste une poignée de semaines avant le onze septembre. On a pu avec le temps clairement voir comment l’attentat du World Trade Center a fait évoluer la vision du spectacle hollywoodien vers quelque chose de plus désenchanté et de moins glorieux. Suite à ces évènements, Bay aurait peut-être reconsidéré sa position. En l’état, sa vision demeure et devient l’un des derniers représentants d’une époque où l’Amérique croyait encore à sa toute puissance.

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