Joe Carnahan – The Human Factor

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Comme il l’expliquera dans le commentaire audio de True Romance, Quentin Tarantino a dû se résigner, face à l’échec de ce dernier, à ne devenir qu’un petit réalisateur se contentant de faire des petits trucs dans son coin et qui ne seront accueillis que par une poignée de fans fidèles. Si l’histoire prouvera qu’il avait tort de se laisser aller à un tel spleen, en ira-t-il de même pour Joe Carnahan ? Le bonhomme n’a techniquement pas à se plaindre. Ses œuvres bénéficient d’un accueil critique plutôt favorable et jouissent d’une certaine réussite commerciale (même si celle-ci tient avant tout à la parfaite maîtrise de ses budgets). Un nid douillet en somme qui ne convient toutefois pas à un cinéaste aussi talentueux. Car si critiques et public apprécient ce qu’il a à offrir, ils ne vont pas pour autant voir en lui l’un des plus grands réalisateurs actuellement en activité. D’une certaine manière, cette aura non perçue dans sa globalité rappelle celle de Tony Scott. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le réalisateur de Man On Fire, accompagné de son frère Ridley, ait produit ses deux derniers long-métrages. Les deux se situent en quelque sorte sous la même épée de Damoclès. De Tony Scott, on retient surtout une imagerie de film d’action bourrin avec des mises en scène hypertrophiées en foutant plein la rétine. Généralement, un spectateur qui sortira d’un film de Tony Scott dira juste que c’était bien fun et bien con. Pour autant, si on ne se laisse pas distraire par les contingents du genre investi, on se rend compte irrémédiablement que Scott n’est pas juste là pour aligner sottement les scènes d’action. Non, tous les films de Scott sont centrés sur le facteur humain de ses histoires. Il s’attache à des personnages simples qui doivent faire face à un monde à et un système prêts à exploiter leurs sentiments d’insignifiance. Les énervements de sa mise en scène ne sont que l’expression de leurs émotions dans cette lutte. Carnahan partage complètement cette vision du cinéma et choisira d’en faire le pinacle de sa carrière.

Ça sera d’ailleurs la note d’intention claire de son premier long-métrage en 1998 : Blood & Bullets (contraction française du titre original Blood, Guts, Bullets & Octane). On peut considérer le film comme une de ces œuvres fauchées cherchant surtout à montrer que le petit réal en herbe, il en veut. La jaquette du DVD scande d’ailleurs la promiscuité d’une production tournée en deux semaines pour huit mille dollars. Ce genre d’information reste toutefois peu vérifiable (par exemple El Mariachi de Robert Rodriguez coutera beaucoup plus cher en post-production que son budget officiel de sept mille dollars largement communiqué). Mais cela ne contredit pas l’évidence d’être devant une bande à très faible coût… et pas bien mémorable pour être honnête. En partie à cause de ses faibles moyens, Blood & Bullets ressemble à un misérable film d’étudiant faussement original. Au premier abord, on a l’impression de s’engouffrer dans une veine post-Tarantino faite de revendications godardiennes sur un cinéma libéré. Le film part du mauvais pied donc avec une prétention d’anticonformisme qui n’en est plus depuis six ans.

L’histoire en elle-même est mince : deux vendeurs de voitures d’occasion pratiquement ruinés acceptent de garder une mystérieuse Pontiac contre une rémunération substantielle. Le hic, c’est que tous ceux qui se sont accaparés le véhicule meurent les uns après les autres. On retrouve l’idée de mixer les genres (film de gangster, comédie, drame, etc…) avec des grands écarts d’humeur en alignant humour noir (les morts à la chaîne de l’ouverture) et patine référentielle (l’engueulade autour de l’homosexualité de Johnny Cash). La patte tarantinesque se sent également dans un récit éclaté où se multiplient les personnages ayant une grosse tendance à jacasser pendant que passe en fond sonore de la musique rétro. Assuré par Carnahan lui-même, le montage joue de son côté la carte de la non-linéarité. Il ne s’agit pas là de rompre la chronologie de l’intrigue façon Reservoir Dogs mais de rajouter au milieu des scènes des quantités astronomiques d’inserts surlignant ce qui se dit.

Toutefois, le film dans son ensemble se montrera bien loin d’être aussi horripilant que ce que cette présentation laisse penser. Si on traversera le film en croyant que cette liberté de ton n’est que gâchis (la qualité variable de l’image n’arrange pas les choix de montage) et maladresses innombrables (la régulière caméra à l’épaule ne semble pratiquement jamais savoir quoi filmer), le final exige une réévaluation immédiate du film dans son entier. Au cours de celui-ci, on suit l’intrigue avec circonspection. Noyé dans la galerie de personnages et assommé par les effets de style expérimentés par Carnahan, le spectateur ne voit plus qu’un gros bordel dans cette histoire de Pontiac. On prie pour avoir une explication raisonnable à ce capharnaüm. Celle-ci arrive et dépasse tellement nos maigres espérances qu’elle en devient dévastatrice. Car cette histoire pleine de violence et où tous les personnages sortent démolis (ou juste morts) est dûe à un seul homme. Un homme qui par amour voudra commettre l’innommable pour sauver sa femme. Se moquant d’un enfer auquel il prédestiné, toute la motivation qu’il a mise dans ce plan macabre vient d’un des sentiments les plus purs qui soient. Bien plus qu’un simple twist, cette portée émotionnelle tardive redéfinit tout le film que nous venons de voir. Derrière une œuvre ouvertement bancale et peu innovante se cache un cœur qui bat et qui imprègne chaque parcelle. Dans le film, Carnahan joue un des deux personnages principaux qui, conformément aux préceptes du film de gangster, s’attend à se faire poignarder dans le dos. A l’inverse de son compagnon acceptant de se satisfaire de ce qu’il a, cette croyance le conduira à la mort. De là y voir un processus d’expiation pour sa futur carrière, il n’y a qu’un pas à franchir.

Malgré la faible audience de ce premier long-métrage, celui-ci devient pour Carnahan ce qu’il désirait probablement : une belle carte de visite. Avec ce goût de l’humain très prononcé, il attire logiquement à lui quelques grands acteurs y voyant de belles possibilités artistiques. Ainsi lorsqu’il lance le casting de Narc en 2002, son script attire des noms comme Alec Baldwin ou Harrison Ford. C’est finalement Ray Liotta qui emportera le morceau et qui se chargera de défendre un projet qui aura du mal à se monter. Si Narc marque l’entrée de Carnahan dans le milieu professionnel, il se retrouve pourtant encore dans une situation précaire. Soutenu par plus d’une vingtaine de producteurs, le film ne rassemble que quelques millions dollars pour se faire. Une situation qui oblige forcément à des sacrifices que ce soit pour les têtes d’affiche (Liotta et Jason Patric travailleront pratiquement pour rien) ou l’équipe (la production sera dans l’impossibilité de verser les salaires pendant un certain temps). Malgré ces difficultés, le film voit le jour par une sorte de communion autour de la passion d’un metteur en scène. Car même en ayant apprécié sa première œuvre, on peut difficilement imaginer à quel point il s’est surpassé et a acquit en maturité.

L’histoire de Narc poursuit Carnahan depuis plusieurs années déjà. Celle-ci prend pour base un documentaire d’Errol Morris nommé Le Dossier Adams relatant l’enquête sur l’assassinat d’un policier. Pendant ses études universitaires, Carnahan en aura déjà tiré un court-métrage nommé Gunpoint. Comme tous l’auront remarqué à sa sortie, le film s’inspire allègrement du cinéma des années 70 et tout particulièrement de celui de William Friedkin. Il n’est guère étonnant que ce dernier dresse des éloges au long-métrage puisque Carnahan s’aventure dans son champ de prédilection : l’ambiguité. Comme il le résume dans le making of, Narc parle de la relativité de la morale. Les policiers sont par définition les gardiens de l’ordre et de la morale. Ils traversent pourtant un monde chaotique dont ils doivent régulièrement adopter les règles pour arracher le mal à la racine. En ce sens, comment réussir à savoir où commence le bien et où finit le mal lorsqu’on se retrouve perpétuellement à jouer sur tous les tableaux ? Comment ne pas se laisser corrompre par un monde délabré qu’il semble impossible de redresser ? Comment ne pas finir par être convaincu que tous les moyens sont bons pour préserver le peu d’innocence de ce monde ? Ces interrogations ne sont pas nouvelles et une partie du public ne manquera pas de critiquer l’héritage pesant de Friedkin. Toutefois, Carnahan offre là un travail au niveau du graphisme on ne peut plus personnel. Si la caméra à l’épaule (formidable intro coup de poing) et les prises sur le vif (Patric interrogera des vrais passants dans la rue) sont courantes, les choix esthétiques de Carnahan sont plus que pertinents. Ainsi transmet-il l’idée de forces en présence par l’utilisation de différents jeux de photographies. Les extérieurs sont des rues crades baignant dans une bleutée craquelante alors que les bureaux de la police sont aseptisés et que le foyer des personnages principaux comporte les seules tonalités chaudes.

Carnahan revendique la même ambition que celle de Florent Emilio Siri lorsqu’il s’attelle à la même époque à Nid De Guêpes : offrir une pure œuvre de cinéma qui fonctionne par l’image et non les dialogues. En ce sens, il réutilise certains concepts du montage de Blood & Bullets mais en les perfectionnant sévèrement. Dans la featurette disponible sur le DVD de Mi$e A Prix, Carnahan déclare détester les montages trop rapides et qu’il n’en utilise pas… à l’exception de son premier film. En justification, il lâchera juste qu’il devait masquer que tout le monde était nul. Pour Narc, il réemploie la prolifération d’inserts dans certaines séquences. Sauf qu’il ne s’agit plus de camouflage de défauts mais d’un moyen pour véhiculer les émotions des personnages. Il reconstruit par ses images ce qui se passe dans la tête de ces derniers. L’un des emplois-clés de cette technique sera le meurtre au centre de l’affaire. Sa première représentation se base sur les éléments connus et avérés. La scène est filmée à distance avec une mise au point mettant plus l’accent sur l’environnement que sur les personnages. A force de preuves, cette séquence sera réinvestie et mise en scène selon le nouveau point de vue acquis. Cette acuité se retrouve à chaque instant du découpage où Carnahan dit le maximum de chose par ses cadrages (la distance entre les personnages établissant les rapports de force ou un changement d’axe dans la scène finale introduisant une nouvelle piste à explorer). La richesse de la mise en scène est incroyable et il serait fastidieux de tout décomposer. Tout est là pour nous faire partager le désordre des personnages perdus dans les ténèbres.

Lors de sa projection au festival de Sundance, le film fera forte impression sur Tom Cruise et sa productrice Paula Wagner. Ceux-ci pousseront Paramount à prendre en charge la distribution. Le succès est timide mais le film récupère au moins sa mise et Carnahan est définitivement introduit en tant que réalisateur prometteur. Cruise lui propose ainsi la réalisation de Mission Impossible III. L’acteur de Top Gun n’a pas réussi à s’entendre avec David Fincher mais il devrait bien s’accorder avec le nouveau venu et sa capacité à tailler des rôles sur-mesure. Pour prouver ses capacités en tant que réalisateur de film d’action, il accepte de tourner un court-métrage pour BMW sur un concept de David Fincher (!!!). D’une durée de huit minutes, Ticker est une longue course-poursuite incroyablement impressionnante. L’intérêt principal est toutefois de voir que non content de se montrer d’une efficacité redoutable, le court-métrage ne trahit en rien son travail. L’histoire est encore mince et évoque assez celle de Blood & Bullets (un transport houleux d’une marchandise garantissant la vie de quelqu’un) mais propose des résonnances émotionnelles fortes pour un programme aussi court. Servis par des acteurs prestigieux (Clive Owen, Don Cheadle, F. Murray Abraham), le film crée un attachement immédiat aux motivations de ses personnages grâce à quelques images et un montage transcendant allègrement l’ensemble par la parfaite gestion de sa non-linéarité. Un travail d’orfèvre sur lequel Carnahan rencontrera quelques personnalités importantes pour sa future carrière. Ticker sera ainsi son premier contact avec les frères Scott, le directeur de la photographie Maurio Fiore et le compositeur Clint Mansell.

Pour l’heure, ce court-métrage promet de belles choses pour la troisième aventure d’Ethan Hunt. Malheureusement, le projet n’aboutira pas. Raisons invoquées : les incontournables divergences artistiques. Il faut dire que les choix de Carnahan sont loin de rassurer les ambitions mainstream de la star scientologue. Reprenant le projet là où l’avait arrêté Fincher, Carnahan développe son histoire autour des marchés noirs et du trafic d’organes en Afrique (un contexte lointainement introduit sur Ticker). D’après le storyboardeur Rusty Dumas, il allait probablement sortir le plus réaliste des films d’espionnage. Face à un sujet si risqué et peu commercial, Cruise se demande si il a fait le bon choix. Après plus d’un an de travail et juste à un mois des prises de vues, Carnahan quitte le navire et laisse sa place à un J.J Abrams plus à même de correspondre aux intentions de l’acteur. Après ce fiasco, Carnahan dira que c’est la fin de sa carrière hollywoodienne… ce qui ne sera fort heureusement pas le cas.

Une telle expérience a de quoi remonter le bonhomme qui va se surpasser pour son film suivant. Celui-ci se nomme Smokin’ Aces ou Mi$e A Prix dans la peu inspirée langue de Molière. Au cours d’une interview donnée dans le cadre du festival de Cognac (où il remportera le prix spécial du jury), Carnahan explique que son film est une réaction vis-à-vis de la situation en Irak. Voilà qui paraît bien présomptueux pour un film vendu comme un divertissement à la Guy Ritchie tout à fait inoffensif. Par là, il faut comprendre que Carnahan construit une œuvre entièrement centrée sur la notion de désinformation. On ment volontairement que ce soit par approximation ou omission pour tirer un profit et cela conduit à une situation chaotique. Mi$e A Prix ne parle pas de la traque fantoches des armes de destruction massive de l’ami Saddam mais se base sur le ressenti de ce contexte et le régurgite sous une forme de fantasme cinématographique. L’action ne se passe pas à Bagdad mais dans un hôtel de Las Vegas. Dans le penthouse se trouve Buddy Israel (ça c’est du nom évocateur). Prestidigitateur de renom, il se prend pour un Frank Sinatra des temps modernes et s’acoquine avec le milieu de la pègre. Le FBI lui a mis le grappin dessus et s’apprête à signer un deal avec lui pour faire tomber tout un clan de mafieux. Forcément, ces derniers contre-attaquent en embauchant un tueur pour la modique somme d’un million de dollars. Un petit pactole qui va attirer d’autres as de la gâchette prêts à transformer l’hôtel en champ de bataille pour remplir le contrat.

Sans dévoiler les tenants et aboutissants d’une intrigue retorse, il faut toutefois noter que le pitch succinctement exposé comprend un certain nombre d’erreurs que partageront les personnages. Suite à plusieurs problèmes dans la compréhension des évènements (ça n’est pas innocent si le personnage central est un illusionniste), des fausses données vont se répandre et dicter les agissements des personnages. L’absence de coordination et l’opposition des forces en présence proviennent directement d’une incapacité à communiquer les bonnes informations, laissant le tout tomber dans la catastrophe la plus absolue. De cette situation, Carnahan offre un développement bigger & louder de Narc. Là encore, il se concentre sur un point de vue humain. Sauf que sa précédente réalisation se reposait principalement sur deux personnages, alors qu’il doit avec Mi$e A Prix gérer une large galerie de caractères. Les archétypes pullulent (duo d’agents du FBI, garde du corps, tueuses lesbiennes, expert en maquillages, fratrie nazie…) mais prennent toute leur densité lorsqu’ils sont lâchés dans cette architecture du chaos. Certains s’en sortiront (les plus professionnels sortiront du bâtiment avec une facilité déconcertante), d’autres mourront (la tueuse acceptant son sort avec un semblant de satisfaction). Certains trouveront la paix dans le désordre (un couple d’amoureux se formera), d’autres verront juste leurs valeurs morales voler en éclat (la fin est un summum de désespoir). Mi$e A Prix transporte ainsi par tout un éventail d’émotions. Le montage a là encore son importance significative arrivant à jongler entre toutes ces saveurs et à les relier avec une aisance quasi-arrogante. Toujours aussi accomplit dans la représentation cinématographique des émotions de ses personnages (voir par exemple le jeu avec les miroirs et les lentilles lorsque Buddy Israel se comprend piégé de toute part), Mi$e A Prix constitue probablement le plus belle ouvrage de Carnahan à ce jour.

Après cette remise en scelle, Carnahan semble s’atteler à ne pas reproduire les mêmes erreurs que pour l’après-Narc. Plutôt que de se concentrer sur un seul projet, il va se diversifier et s’occuper du mieux qu’il peut en attendant de faire aboutir une de ses prochaines réalisations. Il signe le pilote télé Faceless où un procureur infiltre le crime organisé (la série ne verra malheureusement pas le jour). Il participe aux réécritures du Prix De La Loyauté que réalisera son ami Gavin O’Connor. Il supervise lointainement la suite DTV de Mi$e A Prix. Il produit Phénomènes Paranormaux d’Olatunde Osunsanmi, histoire d’abduction extraterrestre sous la forme surexploitée d’un faux documentaire (ça sera pourtant loin d’être le plus déshonorant représentant du genre). Un agenda donc chargé, en marge de quoi il tente de monter deux films pour le moins ambitieux. Le premier est Killing Pablo sur la traque du célèbre trafiquant de stupéfiant Pablo Escobar. A l’instar de sa version de Mission Impossible III, le projet est ambitieux mais pour le moins risqué. Malgré le petit succès de Mi$e A Prix, les studios ne sont pas prêts à lui laisser les coudées sur une telle entreprise. Son deuxième projet semble plus apte à aboutir. Il s’agit de l’adaptation du roman de James Ellroy White Jazz. Outre que la simple idée d’associer les univers d’Ellroy et de Carnahan est alléchante, le style particulier du roman avec son écriture quasi-télégraphique offre de merveilleuses possibilités de mise en scène à ce dernier. George Clooney est engagé pour tenir le rôle principal et la pré-production avance à bon train (plusieurs artworks circuleront d’ailleurs sur le net). Malheureusement, ayant pris de trop nombreux engagements ailleurs, le VRP de Nespresso abandonne le projet. Sans tête d’affiche à quelques mois du tournage, celui-ci est purement et simplement annulé.


Ce manque de confiance des studios pourrait-il expliquer que Carnahan ait choisi de montrer patte blanche en acceptant de tourner un gros divertissement mainstream ? Est-ce pour cela qu’il accepta de se coller à l’adaptation cinématographique de L’Agence Tous Risques ? En théorie, on aurait pu voir là la vengeance de Carnahan sur Mission Impossible. On retrouve là l’idée de la série télé autour d’une équipe accomplissant des missions par des méthodes pour le moins farfelues. Le projet reste même en accord avec les préceptes de sa filmographie, l’équipe devant faire face à un gouvernement qui veut les empêcher de faire ce pour quoi ils sont les meilleurs. Pourtant, Carnahan semble ici prendre soin de ne pas faire de vague et se contente de se couler dans la moule. Cela ne l’empêche pas toutefois de faire une démonstration de professionnalisme et de soin dans sa tâche. Dans son commentaire audio (apparemment un brin encadré à voir les extraits vidéo), Carnahan ne peut s’empêcher de lâcher des déclarations montrant son amusement d’être à la tête d’une production avec un giga-budget supérieur à cent millions de dollars. Lui qui n’a jamais eu que des budgets modestes dont il tirait le meilleur parti, le voilà dans un univers gigantesque où l’argent coule à flot. Il ne manque ainsi pas de noter comment l’équipe a pu claquer du fric le plus bêtement du monde. Il y a les petits détails assassins que personne ne voit dans la gigantesque logistique du tournage comme les lunettes de soleil de Jessica Biel reflétant l’équipe et obligeant à des retouches en post-prod. Il y a aussi les gros moyens utilisés pour pas grand chose tel la construction d’un tunnel d’égout de plus de soixante mètres de long et qui n’apparaîtra que dix secondes à l’écran.

Au milieu d’une ménagerie où le studio semble avoir dicté quelques règles (Jessica Biel apporte une présence féminine à un pur film de mecs et permet une romance mettant en avant le tout fraîchement starifié Bradley Cooper), Carnahan accepte ce qu’on lui propose sans broncher et fait de son mieux. Malgré une intrigue mettant un peu plus en avant Futé que les autres, Carnahan esquisse une portée émotionnelle inhérente au rôle de chacun (Hannibal et ses responsabilités de leader, Futé et son poste confortable d’éternel second, Barracuda et sa force brute) et prend la peine d’équilibrer leur emploi dans les scènes d’action. Le montage de ces dernières montre à nouveau l’attention du cinéaste sur ce point. Les scènes majeures voient ainsi l’exposition, la préparation et l’exécution du plan mélangées. Bien qu’il invoque des contraintes de temps, le choix de Carnahan fait ressortir le plaisir immédiat de son divertissement où enjeux et action se juxtaposent dans un maelstrom de jubilation. En résulte, un spectacle fait pratiquement de joie enfantine dans l’exploitation de son spectacle (voir le climax en forme de festival sons et lumières). Mené à un rythme soutenu (quasiment surnaturel dans le morne cinéma d’action récent) et traversé de passages hilarants (c’est le seul film au monde avec de la VRAIE 3D), L’Agence Tous Risques est loin de procurer les mêmes émotions que les précédentes œuvres de Carnahan mais s’avère une récréation plutôt fun où il s’est fait plaisir. Un plaisir partagé face à un film où dans un élan d’altruisme, il immortalisera le cul de sa femme avec un gros plan parfaitement gratuit. Voilà qui devrait vous convaincre à quel point c’est un chic type !

Que cela soit une raison supplémentaire pour vous motiver à aller voir Le Territoire Des Loups, son nouveau long-métrage fraîchement sorti. Car qui sait, le succès de ce dernier pourrait enfin lui permettre de faire aboutir les projets White Jazz et Killing Pablo qu’il n’a aucunement abandonné. Alors que d’autres se résignent (Ellroy considère l’adaptation de son roman comme définitivement morte de son côté), Carnahan montre toute sa ténacité. Une passion qui est bien l’apanage des grands.

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