Fenêtres sur Courts 2014

« J’espère que ce livre te plaira, fidèle lecteur. Je crains qu’il ne te plaise pas autant qu’un roman, parce que la plupart d’entre vous ont oublié les réels plaisirs que procurent les nouvelles. La lecture d’un bon gros roman est à maints égards comparable à une longue relation satisfaisante […] La nouvelle, c’est tout autre chose. C’est comme le baiser furtif d’une inconnue dans le noir. Rien à voir, bien sûr, avec une liaison ou un mariage mais les baisers peuvent être suaves et leur extrême brièveté exerce en elle même une attraction. « 

C’est par ses mots que Stephen King introduisit Brume, un de ses nombreux recueils de nouvelle. Si l’on se permet de recopier ces mots, c’est que ce sentiment vis-à-vis de la nouvelle pourrait tout aussi bien s’appliquer à son homologue cinématographique : le court-métrage. Explorer ce format est une aventure enthousiasmante ou décevante mais toujours excitante par son imprévisibilité. C’est à cette aventure que l’association PLAN 9 nous a convié pour la 19ème édition du festival Fenêtres Sur Courts, à Dijon. Sur un millier de films reçus, il en a été retenu moins d’une centaine. Des choix drastiques et nécessaires afin de fixer un standard de qualité pour le moins élevé. Mais le moindre mérite de ces choix est surtout de ne pas s’être montré sectaire. Comédie, drame, fantastique, science-fiction, horreur, animation, documentaire… La sélection a brassé large et proposé un panel de saveurs apte à satisfaire tout un chacun.



Compétition Nationale : Humour & Comédie


Zygomatiques de Stephen Cafiero

Pour la première fois dans l’histoire du festival, le jury et le public se sont mis d’accord pour récompenser ensemble Zygomatiques de Stephen Cafiero (coréalisateur des Dents De La Nuit). Produit par Canal+ dans le cadre de « La Collection Des Sept Familles », le court jouit de la présence de deux acteurs de poids avec Alexandre et Simon Astier. Le premier joue un docteur chargé d’étudier le second atteint d’une maladie psychologique inconnue jusqu’alors : le rire. Le résultat est un pastiche réjouissant de film de contagion du type Le Mystère Andromède. Cafiero intègre parfaitement les codes du genre (des différentes approches parfois irresponsables pour comprendre la pathologie à un final aux augures apocalyptiques) et rend par là d’autant plus réjouissant le décalage lié à la nature de la menace. Il exploite en outre parfaitement le sens de la comédie de ses deux interprètes. Une qualité qui se retrouve également dans Premier Métro d’Hugo P. Thomas. Xavier Girard interprète un nouveau SDF qui expérimente différentes techniques pour faire la manche avant de sauter le pas. Les tentatives varient des excuses convenues (ma femme m’a quitté ou est morte) à d’autres plus élaborées (cécité, amputation des deux jambes), voire surréaliste (témoignage masqué avec visage pixélisé et voix déformée). L’abattage est hilarant et brillamment soutenu par le timing du montage. Mais son réalisateur se démarque clairement en réussissant à négocier le délicat virage vers une chute tragicomique. Un tour de force rendant amplement mérité son prix du scénario.

Dans un registre « c’est classique mais ça marche », on trouvera Bienvenue Chez Vous de Guillaume Desjardins où la simple visite d’un appartement va prendre un tour inquiétant. L’histoire au parfum de Quatrième Dimension profite totalement de sa brièveté pour atteindre une efficacité optimale tout en se permettant quelques appréciables idées de mise en scène. Un constat similaire se pose pour Je Suis Un Tombeur de Juliette Tresanini et Paul Lapierre. Un dragueur doit retrouver une information au fond de son cerveau pour que son rendez-vous ne tombe pas à l’eau. La structure évoque les scènes mentales de Dreamcatcher mais contrairement au navet réalisé par Lawrence Kasdan, le concept fonctionne ici grâce à une durée permettant de le traiter comme il faut. La preuve qu’on peut faire du bon en peu de temps se confirme avec le court animé Locked Up. En moins de deux minutes, le réalisateur Gabriel Grapperon brosse une fable à la morale traditionnelle mais rendue tout à fait savoureuse par son animation. Mentionnons aussi Mustang Sally du Happy Collectif où la Sally du titre reproche à son cher et tendre de ne pas suffisamment s’investir dans sa passion (ou plutôt obsession) pour le grand ouest. Le court trouve sa force en distillant par delà l’humour des situations une description tendre et juste des relations de couple.


La Femme Qui Flottait de Thibault Lang-Willar / Le Pique-Nique de Jessica Garcia

Un peu moins aboutis, Mort Ou Fisc de Jérôme Blanquet et Jérémy Rochigneux et Baby Phone d’Olivier Casas arrivent néanmoins à convaincre par leur soin de fabrication. Un même soin se trouve dans Welkom de Pablo Munoz Gomez opposant une situation absurde (un homme est persuadé d’être marié à une poule) à une absurdité encore plus grande (celle de l’administration). La Femme Qui Flottait de Thibault Lang-Willar (coscénariste de Territoires) aurait pu lui prétendre rejoindre le haut du panier. Il s’agit d’une alléchante comédie noire où un quidam découvre un cadavre apparu dans sa piscine et tente de s’en débarrasser avec l’aide de son voisin. Le traitement des personnages dépassés par la situation est tout à fait brillant et il est regrettable qu’une conclusion expéditive ruine quelque peu le visionnage.

Pour finir, arrêtons-nous sur deux court-métrages chargés de pop culture malheureusement pas totalement convaincants. Killing Melanie Machin d’Aymeric Goetschy part d’un postulat hilarant (deux amis déguisés en frères Dardenne veulent se faire accepter par un club sélect de cinéphiles) avant de s’éparpiller rapidement et de rater parfois méchamment sa cible (le sosie de Roger Avary qui ne ressemble aucunement à Roger Avary). Ne reste que quelques amusantes insertions cinéphiliques (Gremlins est le plus grand film politique jamais réalisé !). Le Pique-Nique de Jessica Garcia est quant à lui un court d’animation à base de découpages. Une demoiselle échappe au tableau dans lequel on veut la coller et s’enfuit à travers des pages de magazines. L’artiste lance alors King Kong (ben quoi ?) à ses trousses pour la ramener. Là encore un concept euphorique dont les possibilités ne semblent qu’à moitié exploitées.

Compétition Régionale


Drôle De Guerre de Simon Panay

Il apparaît toujours étrange de voir des lieux que l’on connaît et fréquente quotidiennement par le prisme du cinéma. C’est principalement ce qui ressort du Prix De La Fiancée de Touria Benzari, tourné dans le centre-ville dijonnais. Un sentiment renforcé par la présence d’un directeur de la photographie professionnel en la personne de Laurent Dailland (Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre). Pour le reste, l’auteur de ses lignes pourra difficilement parler d’un court constituant la dernière partie d’une trilogie sur le mariage forcé dont il n’a pas vu les deux premiers actes.

Il pourra toutefois dire qu’il a fort apprécié Drôle De Guerre de Simon Panay et considère absolument mérité son grand prix. Pendant que sa mère doit subir un traitement médical, un enfant va habiter un temps chez son grand-père. Dans une campagne bucolique, il tente de s’occuper comme il peut. En fouinant dans les affaires de l’ancêtre, il trouve quelques reliques de la seconde guerre mondiale. Le court séduit d’emblée par son grand soin visuel. Très joliment photographié, composant formidablement avec les décors à disposition et minimisant judicieusement les dialogues dans sa première moitié, Panay arrive à dépeindre avec brio cet esprit de l’enfance. La seconde partie où le garçon raconte à sa sauce le passé de son grand-père est moins performante mais la mise en scène demeure pleine de charme. Loin d’être aussi extraordinaire, De Bon Matin d’Anthony Lecomte profite lui aussi d’un paysage campagnard joliment filmé et offrant là un décor parfait pour cette petite histoire classique.


Série J de David Ribotti

Comme expliqué plus haut, la durée d’un court-métrage peut permettre de faire fonctionner une histoire. Mais l’inverse est aussi possible. C’est ce qui arrive avec Série J qui souffre de son format réduit. Le réalisateur David Ribotti raconte le parcours de Julien (Kelyan Blanc, plus connu pour être la voix française de Daniel Radcliffe) qui est amené à enquêter sur le passé de son grand-père et par extension de son père (Luc Bernard qui prêta lui sa voix à Dolph Lundgren). Il se construit un récit d’investigation tout à fait passionnant dans ses intentions mais gangréné par un certain manque de développement. N’ayant jamais trop le temps d’explorer les motivations du héros et de mettre en place les obstacles apparaissant sur sa route, le court finit par manquer de cohérence. Une durée plus conséquente aurait très certainement permit au scénario de mieux respirer et de bénéficier d’une structure narrative plus solide.

A côté, d’autres réalisateurs se permettent de manipuler un peu trop consciencieusement le format court pour des résultats d’une grande vacuité. C’est le cas de Lucky Loser de Cécile Vuiallat, petite fantaisie à l’imagination inodore. Quant à IDrogue de Nicolas Fluchot, il charge de manière simpliste l’utilisation abusive de l’Iphone à grands coups d’effets fincherien. Ce sens de la critique facile se perçoit aussi dans Déchainez de Lucie Mouquet et son discours contre ce démoniaque objet de formatage qu’est la télévision. Toutefois, le court tire son épingle du jeu par son approche documentaire. La réalisatrice interviewe plusieurs habitants du village de Bouilland. Ils évoquent leurs activités au sein du village et concluent en faisant part de leurs sentiments vis-à-vis de la télé. Si on pourra reprocher au court la banalité un brin honteuse du propos, la sincérité transparaissant de ces entretiens a quelque chose d’attachant.

Compétition Européenne


Cadet de Kevin Meul

Au sein de la compétition européenne, on trouvera un autre représentant de cette mouvance avec le danois Le Triangle Du Bonheur de Jannik Dahl Pedersen. Le court ne vit que pour sa critique envers une famille bourgeoise ruinée tentant à tout prix de maintenir l’illusion quant à son statut social. Il a toutefois le mérite de bénéficier d’un plaisant sens comique. C’est également le cas de l’espagnol Democracia de Borja Cobeaga où un PDG désire revigorer l’esprit d’entreprise en organisant un enterrement forcé. Un efficace abattage comique et une chute maligne assurent le spectacle. Le reproche de la critique facile est par contre totalement évité par le belge Cadet de Kevin Meul. « Une atmosphère glaçante se dégage de ce film » déclare le programme. Or ça n’est précisément pas le cas et c’est ce qui constitue la force du court-métrage. Il aurait été pourtant aisé de jouer justement cette carte avec cette histoire autour d’un père entraînant son fils à l’athlétisme et le dopant à son insu. Par là aurait pu se construire le sévère discours d’individu obsédé par la quête de perfection et aveugle face à la destruction qu’elle engendre. Meul offre quelque chose de bien plus élaboré et arrive à marier plusieurs tonalités qui enrichissent ce discours basique. Naviguant entre le drame et des aspects plus comiques, il n’hésite pas à dépeindre les sentiments véritables entre le père et son fils malgré le caractère irresponsable de la situation. Du beau travail qui touche énormément.


I Love Hooligans de Jan-Dirk Bouw / Ich Hab Noch Auferstehung de Jan Gerrit Seyler

L’espagnol 0,60 MG de Gerard Marti Rodriguez n’atteindra pas le même résultat. La faute a une écriture virant trop à l’exercice de style dans son élaboration du suspense. Dommage puisque de celui-ci découle une relation entre frères vraiment attendrissante. Emouvant, l’est également Luminita d’André Marques, court-métrage portugais tourné en Roumanie. On pourra certes dire qu’on a vu mille fois ce type d’histoire fait de réunion familiale donnant lieu à des règlements de comptes suivi de réconciliations. Le film fonctionne par une photographie travaillée, une interprétation de qualité et la création de moments silencieux qui en disent long. L’anglo-espagnol No Kissing de Manuel de la Cuerda et l’italien Piume d’Adriano Giotti s’en sortent eux aussi par des qualités disparates (comédiens formidables dans le premier, mise en scène rigoureuse chez le second) qui compensent une écriture ronflante. No Kissing aura néanmoins bien plus convaincu le jury qui lui octroiera le grand prix de cette compétition.

On s’avouera plus raccord avec le prix lycéen octroyé au foudroyant I Love Hooligans du belge Jan-Dirk Bouw. Il n’est guère aisé de parler du vandalisme footballistique et le court s’en sort avec les honneurs. Bouw opte pour une forme se rapprochant de l’excellent Valse Avec Bachir. L’interview de ce hooligan homosexuel est ainsi traitée par le biais de l’animation et le choix est totalement pertinent. Par ce biais, le réalisateur peut transmettre le manque de recul de l’intervenant sur sa passion. Celle-ci le conduit à renflouer son identité jusqu’à se dissoudre dans la masse comme le signifie le magnifique plan final où il ne devient plus qu’une ombre parmi d’autres. Dans le genre bouleversant, il y a également l’allemand Ich Hab Noch Auferstehung de Jan Gerrit Seyler. Un garçon et une fille jouent en coopération à des MMO. Lorsque le garçon fait part de son envie de rencontrer la fille en vrai, elle quitte le jeu. Le garçon décide alors de partir à sa recherche. La bonne idée du court est d’évacuer immédiatement ce qui aurait pu constituer la révélation finale de la quête. Par là, Seyler se laisse la latitude pour pouvoir creuser la relation entre ses deux personnages. Ce qu’il arrive à faire avec une grande sensibilité.

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8 Balles de Frank Ternier / Bang Bang de Julien Bisaro

Après de telles réussites, on trouvera des tentatives d’expérimentation pas bien glorieuses. Le français Gli Immacolati de Ronny Trocker rappelle que la distance entre artiste et autiste est très mince. Le court propose un long plan-séquence traversant dans tous les sens une ville numérique désertée (le tout parsemé de bugs graphiques dont on se demande s’ils sont là volontairement). Une voix-off rythme le tout en relatant un fait divers. Le court pose si fièrement son refus des conventions que ça tiendrait presque de la parodie. Le bulgare Deniat Na Kurvavite Ventsi de Dimitar Dimitrov a au moins le mérite de proposer quelque chose de véritablement intéressant dans son travail d’animation même si le court peut laisser indifférent. Comparativement, on admettra une préférence pour le néerlandais Mute. En exploitant sur une poignée de minutes un concept aussi absurde qu’incohérent (un monde où personne n’a de bouche), le court offre une euphorisante bouffée de fraicheur.

Du côté de la France, on retiendra le brillant court animé 8 Balles de Frank Ternier. Situé à Taiwan, un homme essaie de retrouver celui qui a tué sa femme. Son seul indice est une odeur de poisson frit. L’argument de film noir est déjà en soit formidablement bien tenu et est transcendé par son visuel. Le personnage principal ayant pris une balle dans la tête, son état mental est très précaire et la réalisation ne cesse d’en traduire tout le désordre. Les graphismes aux traits simples se retrouvent soumis à une animation très triturée et des assemblages perturbants avant d’être agrémentés d’une bande sonore aux multiples voix-off. Le résultat est peut-être un peu excessif dans ses effets mais a le mérite d’être percutant. Autre réussite en matière d’animation, Bang Bang de Julien Bisaro (qui a notamment travaillé sur le magnifique Brendan Et Le Secret De Kells). Le court opte pour la technique de l’animation 3D avec un rendu graphique de 2D à la manière du fameux Paperman de Disney (comparaison renforcée par l’usage du noir et blanc dans les deux cas). Commençant classiquement sur la relation entre un père et sa fille par rapport à la reprise de l’entreprise familiale, le court dérive vers les plates-bandes de Miyazaki à mi-parcours. Le poids de la référence est lourd entre motif musical directement inspiré par Princesse Mononoké et incontournable dieu-cerf. Cela n’empêche pas le court d’atteindre sa cible, utilisant parfaitement son imagination comme prolongement onirique de la relation entre les deux personnages.


On/Off de Thierry Lorenzi

Centré sur un personnage en pleine dérive mentale à l’instar de 8 Balles, On/Off de Thierry Lorenzi est par contre une grosse déception. On retiendra surtout la formidable qualité des effets spéciaux situés dans l’espace. On est naturellement loin du standard fixé dernièrement par Gravity mais avec des moyens moindres, Lorenzi offre un rendu stupéfiant pour ses scènes de sortie spatiale. Le reste a malheureusement tendance à partager les défauts de nombreuses œuvres françaises de genre entre une narration maladroite et une direction d’acteur approximative. On montrera plus d’indulgence pour To Be Delivered de Pierre Amstutz Roch et son autostoppeur embarqué malgré lui dans une histoire de dingue. Le récit est décliné de manière un peu trop sage mais fait passer un bon moment. Co-production franco-américain, Jonathan’s Chest de Christopher Radcliff est lui plus frustrant que décevant. Intriguant dans sa proposition, il s’apparente au final à une introduction (ou conclusion, selon le point de vue) arrachée à son long-métrage d’origine. On en vient à se réconforter avec des courts traditionnels sans bout de gras comme Pourquoi Je Fais Ca d’Olivier Rosenberg autour des affres de la jalousie ou Chaîne De L’amour de Martin Plura et sa déconvenue amoureuse.

Finissons avec le film de clôture de la sélection, le belge L’être Venu D’ailleurs de Guy Bordin et Renaud De Putter. Dédée, prostitué en vitrine, nous y fait part de ses quarante ans d’expérience dans le métier. Pour faire bref, si vous êtes fan de l’émission Strip-tease, ce documentaire est juste indispensable.

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